Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

commises dans les registres officiels des paroisses de cette vallée 23. Le caractère apocryphe du nom de Guillaume Tell est démontré par les fraudes mêmes auxquelles il a fallu recourir, pour en faire un nom historique. On peut se demander, toutefois, si c'est bien sous sa forme primitive qu'il apparaît dans la ballade où on le trouve, à ce qu'il semble, pour la première fois ? N'en a-t-il pas une autre qui se montre simultanément, sinon même un peu plus tôt, et qui permet de douter que le nom consacré soit le nom original ?

Mais, avant d'examiner cette question, nous devons rappeler que la légende de Tell avait très-promptement reçu de nouveaux développements, et qu'à côté de la ballade, qui en forme comme le noyau primitif, la tradition d'Uri s'enrichissait de détails plus complets sur le héros qu'elle avait adopté. Il est possible que ce soit aussi dans un chant populaire qu'ils aient été originairement consignés, et que de là ils soient passés dans la chronique qui est le plus ancien document où on les rencontre aujourd'hui.

Cette chronique, dont l'auteur connaissait également le chant de Tell que nous avons traduit, est l'œuvre d'un lucernois, nommé Melchior Rüss, qui l'a composée vers l'an 1480. Elle renferme un chapitre intitulé: La guerre des trois Waldstätten contre les seigneurs d'Autriche et de Habsbourg,› qui n'est que la reproduction textuelle (superflue pour nous, par conséquent,) du récit de Justinger. Seulement, tout au milieu de cette narration, et à l'endroit où Justinger parle des violences commises par les seigneurs de < Habsbourg » et par leurs officiers, Rüss ajoute: < Ainsi qu'il advint aussi à Guillaume Tell, qui fut contraint par les baillis à abattre une pomme posée sur la tête de son propre

fils, ou, s'il n'y réussissait pas, il devait lui-même perdre la vie, comme vous l'apprendrez ensuite dans une chanson (liedt). Que cette chanson fût la ballade même dont nous avons reproduit le texte, c'est ce qui ressort clairement de l'étroite ressemblance qui existe entre les strophes de celle-ci relatives à Guillaume Tell et la courte analyse de Melchior Rüss. L'identité eût été évidente, s'il avait tenu sa promesse de donner lui-même la chanson; mais il a oublié de l'intercaler dans sa chronique, et, après avoir achevé de copier Justinger, il insère, au lieu du chant de la pomme, un chapitre intitulé: Ce qui advint à Guillaume Thell sur le lac15. >

< Apprenez maintenant comment Guillaume Thell voulut venger le méfait que le bailli, ainsi que vous l'avez cidevant entendu, avait commis contre lui; car il ne pouvait plus le supporter et il vint à Uri et rassembla la communauté, et, les yeux en pleurs, il leur fit de lamentables plaintes sur ce qui lui était arrivé et sur ce qui lui arrivait journellement encore. Le bailli en fut informé, et il lui fit lier les quatre membres, dans l'intention de le mener à Schwitz, dans le château dans le lac; et le bailli lui-même se mit en route avec lui, et, quand ils furent sur le lac, alors (peut-être par la volonté de Dieu) il se leva un vent si impétueux, que jeunes et vieux, femmes et enfants, poussèrent des cris de détresse et de supplication vers Dieu et vers les saints; et, comme Guillaume Thell était un homme robuste, plus qu'aucun de ceux qui étaient dans la barque, et qu'il connaissait bien la navigation, et que ceux qui étaient dans la barque ne pouvaient gouverner la barque, tous demandèrent au bailli qu'on mit Guillaume Thell en liberté; et, comme le bailli tenait aussi à conserver

<

sa vie, il lui dit : « Si tu as le pouvoir et la volonté de nous pousser à terre, je te ferai mettre en liberté. ›

< Là-dessus Guillaume Thell lui répondit qu'avec l'aide de Dieu il se chargeait de les conduire à terre, si on lui accordait du temps et des garanties. En conséquence on le mit en liberté. Alors il commença à ramer si vigoureusement, qu'il parvint, avec la grâce de Dieu, vers une plateforme, et il poussa la barque contre la plateforme, laquelle s'appelle encore aujourd'hui la plateforme de Guillaume Tell, et il saisit son arbalète qui était à l'arrière de la barque, puis il sauta sur la plateforme, lâcha son coup et tua le bailli. Et ils ne purent, à cause de la grande agitation, ramener la barque vers la plateforme, ni vers la terre. Alors il reparut de nouveau dans les vallées et fit entendre de plus grandes plaintes qu'auparavant; ce qui eut pour effet d'amener un grand conflit entre les seigneurs et les vallées. >

On voit que ce complément de la légende de Tell, qui fait de lui le promoteur exclusif du soulèvement des Waldstätten, correspond exactement aux prétentions exprimées dans la première ballade, et qu'il doit, en conséquence, être très-probablement rapporté à la même origine. Seulement, Rüss précise la date de la révolte dont Guillaume Tell fut le premier auteur, ce que ne faisait pas la ballade; mais loin de la fixer, avec la tradition aujourd'hui régnante, à l'an 1307, c'est, au contraire, dans la période des luttes contre la branche cadette des Habsbourg, au milieu du treizième siècle, qu'il la place, et il se rapproche sur ce point de Justinger et de Hemmerlin. Il diffère en outre de la légende vulgaire pour ce qui concerne le meurtre du bailli, sur lequel, comme nous l'avons vu, la ballade était restée muette. Ce qui est certain, c'est que le chroniqueur lucernois, par l'usage

qu'il fait des matériaux dont il dispose, achève de donner à la tradition d'Uri une physionomie particulière, qui la distingue nettement de ce qu'on peut nommer, par opposition, la tradition commune des Waldstätten.

3. LA LEGENDE COMMUNE

Cette seconde branche de la légende nationale apparaît en même temps que l'autre, sans que l'on puisse dire si elles se sont simultanément ou successivement emparées des croyances populaires. Mais, qu'elles soient nées et se soient développées sous des influences différentes, le contraste qui les sépare ne permet guère d'en douter. La divergence est complète entre ces deux versions d'une même histoire, soit qu'il s'agisse de l'ensemble du sujet, ou du détail des incidents communs à toutes deux. Les origines de la Confédération, comme les aventures de Guillaume Tell, y sont représentées sous des aspects entièrement différents. Nous sommes en face de cette première période de l'élaboration légendaire, où le champ reste encore libre pour les inventions capricieuses et les embellissements fantastiques. En d'autres termes : nous sommes en face, non pas de faits historiques qui auraient trouvé dès l'origine, dans une affirmation constante, leur indiscutable et identique consécration, mais de créations factices qui, sur le même sujet, se contredisent et s'excluent, parce qu'elles ont pour fondement l'imagination et non la réalité.

L'ouvrage où se trouve renfermée pour la première fois, et sous sa forme définitive, sinon complète, la seconde branche de la tradition nationale sur l'affranchissement des Waldstätten, est une chronique anonyme, renfermée

dans un manuscrit des archives de Sarnen, qui a été écrit vers l'an 1470 et qui, de la couleur de sa reliure, a reçu le nom de Livre blanc . Cette version de la légende n'a été découverte et mise au jour qu'il y a peu d'années, mais son texte ayant passé, presque sans changement, dans la chronique de P. Etterlin publiée en 1507, et qui est le premier livre imprimé en Suisse où ait été racontée l'histoire de la Confédération, ce texte a pris possession de l'opinion et la narration qu'il contient s'est rapidement propagée. Elle est ainsi devenue la tradition dominante. Mais, au lieu de l'étudier de seconde main dans l'ouvrage d'Etterlin, comme cela devait se faire avant qu'on eût connaissance du Livre blanc, nous pouvons la prendre à sa source, dans le manuscrit même où elle fut transcrite en 1470. Est-ce alors aussi qu'elle fut composée, ou bien le texte qui se trouve dans les archives d'Obwald n'est-il que la copie d'un plus ancien original? Certains indices autorisent cette dernière supposition, sans permettre toutefois de rien préciser sur la date, antérieure à 1470, où l'on peut placer la rédaction première de cette chronique; mais nous verrons bientôt que, sur un point tout au moins, elle a conservé la trace d'une forme de la légende qui a dû exister avant le moment où s'introduisit, dans la tradition d'Uri, le nom de Guillaume Tell.

Disons d'abord que cette chronique de Sarnen, qui est, sinon la source première, du moins le plus ancien témoin de la tradition commune, débute par les plus étranges travestissements historiques qu'on puisse imaginer. Elle se tait sur l'origine des gens d'Uri, mais elle prétend que l'Unterwalden a été peuplé par des Romains et Schwyz par des Suédois. Après une longue période de tranquillité les comtes

« ZurückWeiter »