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Chacune des trois causes que nous venons de signaler plus haut a simultanément ou successivement concouru, sans doute, à peupler chaque vallée; mais il est vrai de dire aussi que, dans chaque vallée, l'une de ces causes a prédominé sur les autres. Ainsi, c'est l'action royale qui s'est fait surtout sentir dans le pays d'Uri; celle des grands propriétaires, laïques ou ecclésiastiques, dans les vallées d'Unterwalden; celle des hommes libres à Schwyz.

De là il ne faut point conclure que, dans le premier de ces petits territoires, il n'existât pas dès l'origine, à côté des colons établis sur la portion du sol attribuée au domaine royal, des individus de condition libre qui possédaient en propre, d'après les stipulations des lois carolingiennes, les terres qu'ils avaient eux-mêmes défrichées à leurs périls et risques; mais le gros de la population était formé de ces hommes du roi (fiscalini), qui, tout en rentrant dans la classe générale des serfs, y occupaient un rang supérieur et se rapprochaient à bien des égards de la condition des personnes libres. Ces mêmes hommes, devenus ensuite les ressortissants d'une abbaye de femmes, trouvèrent dans les priviléges accordés à cette abbaye une nouvelle cause d'émancipation, tandis que les hommes libres, pour obtenir de leur côté les avantages attachés aux immunités de ce monastère, se rangèrent peu à peu sous sa dépendance.

Comme le nombre des serfs appartenant à des seigneurs laïques était extrêmement faible dans la vallée d'Uri, et tendit toujours à diminuer, les hommes de l'abbaye et les hommes libres durent donc former dans ce petit territoire une population à laquelle les habitudes d'une administration régulière et douce imprimaient un caractère de sage modé

ration, tandis que l'homogénéité et l'accord de ses membres préparaient leur future indépendance. Si, d'un côté, les faits ultérieurs de l'histoire confirment cette appréciation, de l'autre, l'existence constante de biens communaux indivisément possédés par l'ensemble des habitants d'Uri, montre que, dès l'origine, ceux-ci composèrent une peuplade compacte, dont l'unité doit être cherchée dans la colonisation royale qui en fut le principe et comme le noyau central 24.

A Schwyz, le même phénomène de biens communaux, indivisément possédés par tout l'ancien pays, dénote aussi une unité originelle. Mais ici les hommes libres ne sont pas l'accessoire comme à Uri; ils forment, au contraire, l'élément primitif et principal de la population. Les documents, comme les faits de l'histoire, l'attestent avec évidence, et ils conduisent à penser que ce furent des individus ou des groupes d'hommes de condition libre encore épars dans la société allémanique, qui vinrent s'établir successivement ou en masse au pied des Mythen, dans le lieu qui porta primitivement le nom de Suuites. Tous les traits qui caractérisent l'esprit d'indépendance dont les Allémans, parmi les Germains, offraient le type le plus marqué, sont empreints dans ce qu'il nous est donné de savoir du développement de cette petite peuplade. L'impatience de toute usurpation, le goût des coups de main, l'amour de l'égalité, l'esprit d'exclusion poussé jusqu'à ses dernières limites, le sentiment plus vif de son droit que de celui des autres, ont laissé dans les destinées du peuple de Schwyz des traces trop profondes pour qu'on ne doive pas faire remonter, jusqu'aux origines mêmes de sa formation, des dispositions qui se manifestent dès sa première apparition dans l'histoire.

Les libres Schwyzois ont eu à côté d'eux, en petit nombre, des ressortissants de monastères ou des serfs de grands propriétaires nobles, mais ils ont toujours formé, quelles que fussent les obligations politiques que leur imposait leur situation particulière, une société d'hommes entièrement indépendants dans leur état civil, et qui se sont peu à peu assimilé, pour la conquête des libertés de tout genre, le reste des habitants du sol. Dans cette conquête, ils ont fait preuve d'une persévérance et d'une résolution qui, couronnées enfin d'un glorieux succès, sont devenues le fondement de cette Confédération à laquelle ils ont mérité de donner leur nom $5.

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Quant au pays d'Unterwalden, on n'y retrouve pas un principe d'unité primitive semblable à celui qui se rencontre dans les vallées de Schwyz et d'Uri. Sa division en deux territoires distincts et le morcellement des biens communaux entre chaque paroisse, ainsi que le nombre considérable des propriétés nobles et ecclésiastiques qu'on y découvre dès les premiers temps, attestent que ce fut surtout par l'intervention des monastères et des grands seigneurs, que ce pays fut peuplé. La classe des roturiers de condition libre y est peu considérable, tandis que la petite noblesse y tient beaucoup plus de place que dans les deux autres vallées. Le fractionnement du sol et l'état de dépendance où se trouvait le gros de la population eurent pour effet de retarder à Unterwalden, plus qu'à Uri et à Schwyz, la fondation d'une communauté libre. Aussi, dans toute l'histoire du développement politique des Waldstätten, les vallées de Sarnen et de Stanz occupent-elles une position secondaire, qui résulte de ce que ce fut seulement sous l'influence des deux pays voisins que, peu à peu, leurs habitants parvinrent à con

quérir une émancipation à laquelle leur organisation originelle ne les avait pas préparés 26.

Du reste, ce n'est pas avant le milieu du treizième siècle, que l'on découvre les traces d'une sorte d'alliance entre ces trois peuplades qui, jusques alors, paraissent avoir suivi chacune, sans l'intervention ni l'appui de leurs futurs confédérés, le cours de leur humble destinée. Loin donc de confondre les trois pays dans une commune histoire, c'est au contraire séparément les uns des autres qu'il faut d'abord les étudier. De cet isolement réciproque on ne doit cependant pas conclure que chacune de ces vallées, s'appartenant à elle-même, n'avait rien à démêler avec le reste du monde, et que c'est uniquement dans son développement intérieur qu'il faut chercher les causes des vicissitudes de son histoire.

Bien loin qu'il en fût ainsi, rien n'est plus propre à placer sous un faux jour les origines historiques des Waldstätten, que de les détacher des événements contemporains et des institutions de ce vaste empire germanique, dans le sein duquel les futurs <Petits Cantons étaient alors absorbés. Quand l'histoire commence à s'occuper d'eux, au lieu de les trouver en possession d'une existence indépendante et d'une autonomie immémoriale, elle les surprend, au contraire, dans une condition politique et sociale toute semblable à celle des territoires dont ils étaient entourés.

Malheureusement, la rareté des documents historiques dignes de foi rend l'étude de cette première période de leurs annales singulièrement imparfaite. Jusqu'au treizième siècle, la route n'est éclairée que de lueurs intermittentes, et c'est comme à tâtons que l'on s'avance, si, du moins, au lieu de prendre la fantaisie pour guide, on s'en tient aux témoi

gnages des documents contemporains, qui seuls méritent de trouver créance auprès d'esprits sérieux. A l'excessive parcimonie des informations succèdent, dans le treizième. siècle, des sources de renseignements un peu plus abondantes, qui dispensent une lumière fort incomplète encore, mais dont les rayons éclairent pourtant d'un jour plus vif et plus sûr, l'époque où furent véritablement semés les germes de l'affranchissement politique, dont la victoire du Morgarten fut l'épanouissement.

Ces sources, toutefois, ne nous révèlent que des aspects très-généraux de la situation, et elles ne valent que par les déductions qu'on en tire; elles ne fournissent aucun de ces traits individuels, elles ne nous font connaître aucune de ces figures, qui animent les récits de l'histoire et en rehaussent l'intérêt. Dans la suite de notre exposition, comme nous avons dû nous y résigner jusqu'ici, les personnages que nous aurons à mettre en scène seront donc surtout des populations, et presque jamais des individus.

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