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précéda et amena la fondation définitive de la Confédération. Nous les avons scrupuleusement consultés et suivis dans notre exposition historique, et c'est pour cela que l'on ne retrouve dans celle-ci aucune trace des faits que la tradition nationale perpétue et que les documents non-seulement ignorent, mais démentent péremptoirement.

Nous rappellerons d'abord, en quelques mots, les traits généraux de cette tradition, telle que l'ont faite les développements successifs qu'elle a reçus, car elle n'est pas arrivée du premier coup à revêtir la forme définitive sous laquelle elle est aujourd'hui connue. Comparée aux autres variétés de la légende, celle dont nous allons reproduire les principaux éléments mérite, par l'autorité qu'elle a prise, d'être considérée comme la version classique ou orthodoxe. Voici ce qu'elle raconte :

< Les habitants des Waldstätten appartiennent à une race du Nord distincte des populations voisines, et ils ont possédé de temps immémorial une pleine indépendance, dont ils ont joui, sauf les concessions qu'il leur plaisait de faire à l'Empire, jusqu'au moment où le roi Albert d'Autriche a tenté de la leur ravir, en soumettant les trois vallées d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden à une intolérable oppression. Les agents de ce despote n'ont que trop fidèlement suivi la consigne qui leur avait été donnée. L'un d'entr'eux, nommé Gessler, a provoqué, par ses entreprises et par ses menaces, une vive irritation au milieu de ces populations paisibles, et, poussant même la tyrannie jusqu'à la démence, il a forcé Guillaume Tell d'Uri, qui s'était refusé à rendre au symbole de la domination étrangère un avilissant hommage, à décocher une flèche contre une pomme placée sur la tête de son enfant; mais il a payé de sa vie

ce malfaisant caprice. Un autre bailli autrichien, nommé Landenberg, a fait, par un caprice semblable, crever les yeux à un paysan de l'Unterwalden dont il voulait s'approprier les bœufs; son lieutenant Wolfenschiess, ayant tenté de déshonorer la femme d'un paysan, a péri sous la hache du mari. L'irritation contre tant de méfaits a donné naissance à une conjuration où trois confédérés, Walter Fürst d'Uri, Werner Stauffach de Schwyz, Arnold de Melchthal d'Unterwalden ont juré, dans une réunion secrète tenue au Grütli, de rendre à leur pays son antique indépendance. Leurs concitoyens excités par eux ont, en un même jour, le premier de l'année 1308, détruit les châteaux qui servaient de citadelle aux tyrans, et chassé les tyrans euxmêmes. De ce soulèvement national est sortie la Confédération suisse. >

Si l'on a prêté quelque attention à la première partie de ce volume, on ne peut qu'être frappé de la divergence qui existe entre les faits qui y sont racontés et le sommaire qu'on vient de lire. Car la légende a contre elle tout à la fois le témoignage et le silence de l'histoire. L'histoire ne dit rien de ce que dit la légende, mais surtout elle dit des choses qui, si elles sont vraies, rendent la tradition reçue nécessairement fausse. La légende suppose que les habitants des Waldstätten ont eu une autre origine que les populations avoisinantes; l'histoire montre que, comme tout le reste de cette partie de la Suisse, les trois vallées ont été occupées et colonisées par des hommes de race allémanique. La légende suppose que, de temps immémorial, les Waldstätten ont été libres et qu'ils n'ont rendu à l'Empire que des devoirs momentanés auxquels ils s'étaient euxmêmes astreints; l'histoire montre que la condition poli

tique de chacune des vallées n'était point la même, que toutes ont été longtemps soumises, non-seulement à la suprématie générale de l'Empire, mais encore à des conditions particulières de dépendance et d'assujettissement, et que c'est depuis le commencement du treizième siècle seulement, que l'on voit apparaître, pour l'une plus tôt, pour les autres plus tard, les rudiments de l'indépendance. La légende suppose que les Waldstätten, violemment dépouillés par la maison d'Autriche de leurs antiques libertés, sont tombés dans un état de servitude intolérable, auquel une insurrection populaire a pu seule mettre fin, et que c'est de là qu'est issue leur confédération; l'histoire ne laisse entrevoir aucune trace de la tyrannie brutale qu'auraient exercée des agents de l'Autriche sur les populations des Etats forestiers. Elle atteste, au contraire, que, sous les règnes des rois Rodolphe de Habsbourg et Albert d'Autriche, leur maison a pu jouir en paix des droits de suzeraineté qu'elle possédait dans les vallées, et que ces dernières ont toujours eu à leur tête, pendant ce temps, des landammanns tirés de leur sein et non pas des baillis d'origine étrangère. Elle atteste, en outre, que le premier pacte, dont l'original subsiste encore, était conclu bien avant qu'eût éclaté la prétendue révolution, qui, selon la légende, aurait donné naissance à la Confédération. Elle atteste enfin, que c'est lentement, mais ouvertement, par des succès graduels, mais prudemment acquis, puis couronnés d'une victoire éclatante, et non point par un soulèvement secrètement comploté, que les Waldstätten sont entrés, à des intervalles distincts, et les uns après les autres, en possession des libertés et des franchises particulières qu'ils ont fini par placer sous la sauvegarde de leur commune fédération.

L'histoire ne laisse, par conséquent, aucune place pour cette série d'épisodes dramatiques, dont le caractère forme d'ailleurs un si frappant contraste avec les habitudes, les mœurs, la réelle physionomie des premiers confédérés. L'impression produite par l'étude des documents historiques est en pleine contradiction avec la peinture que fait la légende nationale de la situation intérieure des vallées et des dispositions morales de leurs habitants. La couleur du tableau n'est pas, sous le pinceau de la tradition, plus vraie que le dessin.

‹ Mais, › dira-t-on, < cette contradiction que vous signalez entre les documents et le récit traditionnel n'est après tout qu'une appréciation personnelle sujette à contestation, et vous ne pouvez même point invoquer contre la légende le silence de ces mêmes documents, qui est effectivement incontestable; car on sait assez que l'absence fortuite de pièces relatives à tels ou tels faits ne suffit pas pour qu'on puisse légitimement conclure à la fausseté de ces faits. Les documents authentiques ne sont pas tout dans l'histoire: il y a d'autres sources et d'autres preuves qui sont admises en témoignage et dont on peut accepter les allégations avec confiance: telle est en premier lieu la tradition transmise de bouche en bouche dès l'époque même à laquelle elle se rapporte; tels sont ensuite les récits dus à la plume d'historiens bien informés. ›

Nous tombons d'accord de tout cela; nous admettons que l'absence ou le silence des documents ne peut pas toujours être envisagé comme un argument suffisant contre la réalité des faits. Il y a des événements qui se sont accomplis sans qu'aucune pièce officielle en ait jusqu'à nos jours gardé le souvenir, et dont cependant la mémoire a pu se

conserver par tradition. Mais, pour que cette tradition orale soit recevable, il faudra avant tout (on le reconnaît) qu'elle remonte jusqu'à la génération qui fut témoin des événements qu'il s'agit d'attester. Il faut que l'on puisse constater, en outre, qu'elle est restée dès l'origine semblable à elle-même, et qu'elle a exactement retenu les traits et les incidents auxquels s'attache de préférence le souvenir populaire. Car si elle n'a originairement laissé aucune trace, ou si les traces qu'elle a laissées dans son apparition tardive dénotent une tradition qui commence à se faire, au lieu d'une tradition qui dure et se transmet fidèlement par héritage, les conditions d'autorité et de créance lui font absolument défaut. Or, tel est précisément le cas pour les traditions relatives aux origines de la Confédération suisse. Ce qui leur manque pour posséder voix au chapitre, c'est ce double caractère d'ancienneté et de perpétuité, qui seul peut inspirer pour une tradition des présomptions favorables. Quod semper, quod ubique, quod ab omnibus.

La suite de notre étude montrera qu'il n'y a effectivement dans la transmission des faits, telle que la tradition vulgaire les rapporte, ni fixité, ni unanimité, quoique ces faits fussent de nature, s'ils étaient réels, à s'être imprimés fortement et conservés de même dans la mémoire du peuple au milieu duquel ils se seraient passés. On verra, de plus, que cette transmission s'est opérée d'après un procédé inverse de celui qu'on observe dans la propagation des traditions authentiques. Tandis que ces dernières débutent par les faits frappants, concrets, précis, qui sont de nature à attirer l'attention de ceux qui en ont été les premiers témoins, les traditions erronées commencent au contraire par des affirmations vagues et générales, qui peu à peu

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