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Renouvelant, sans en parler, l'acte de confédération, conclu entre eux vingt-quatre ans plus tôt, les gens d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden (wir die Lant Lute von Ure, von Swits, und von Underwalden) donnèrent à leur pacte, daté de Brunnen le 9 décembre 1315, un caractère et une portée que n'avait pas le traité fédéral du 1er août 1291. Sans attacher à la différence des langues employées pour la rédaction de ces deux pactes une importance exagérée, on peut cependant l'envisager comme un indice de la part plus ou moins grande qu'y avait prise l'ensemble de la communauté. Celui de 1291, écrit en latin, paraît avoir été destiné au petit nombre, celui de 1315, écrit en allemand, était mis au contraire à la portée de tout le monde. Il est permis de penser que Morgarten, où tous les citoyens avaient payé de leur personne, donnait à chacun d'eux le désir et le droit de savoir ce qu'on stipulait pour lui. On sent d'ailleurs, en comparant ces deux actes, les progrès déjà faits par les confédérés durant l'intervalle qui les sépare, et surtout ceux qu'ils se préparent à faire encore pour entrer en complète possession de l'autonomie politique. La révolution, qu'ils avaient tenté, sans y pleinement réussir, d'accomplir après la mort de Rodolphe de Habsbourg, se consomme et s'achève après la défaite de son petit-fils, Léopold d'Autriche. Aux stipulations que renfermait le pacte de 1291, et que retient toutes celui de 1315, ce dernier ajoute des clauses nouvelles qui ont pour objet d'établir sur un fondement plus solide l'indépendance des personnes, celle des cantons et celle de la confédération elle-même 95.

Mais on n'y trouve rien qui indique que la constitution intérieure des vallées ait subi quelque changement essentiel, ou se soit modifiée sous l'influence d'une révolution violente.

Seulement les progrès mêmes que, grâce à la protection d'Henri VII, les Waldstätten ont pu faire vers leur émancipation les rendent plus jaloux encore et plus inquiets du maintien de leurs libertés. Et, comme c'est par l'Autriche surtout que, depuis Morgarten, ils doivent les croire menacées, c'est contre l'Autriche évidemment qu'ils prennent de nouvelles précautions, soit que les princes de cette maison veuillent faire valoir ce que les confédérés regardent comme des exigences injustes, soit que le royaume d'Allemagne tombe aux mains de l'un d'entre eux, auquel cas les vallées se réservent de ne pas reconnaître sa souveraineté.

Ainsi, quoique les obligations résultant du droit seigneurial soient toujours maintenues dans ce qu'elles ont de juste et de convenable (gelimphlicher und cimelicher), tous les individus qui habitent les vallées, hommes et femmes (ez si wib oder man), sont cependant dispensés de s'y conformer, dans le cas où celui envers lequel ils en sont tenus voudrait attaquer les confédérés ou les soumettre à d'injustes exigences (mit gewalt angrifen wolde oder unrechter dinge genoeten wolde). Lors même qu'on doit voir, avant tout, dans cette clause, une précaution prise directement contre tout retour agressif de l'Autriche, elle n'en a pas moins pour effet de relever le sentiment de l'indépendance individuelle, d'atténuer les conséquences du vasselage et d'effacer les différences entre les diverses classes de la population, en appelant tous les individus qui les composent à user indistinctement du droit de résistance contre l'usurpation.

D'un autre côté, chacune des communautés contractantes est envisagée comme conservant son existence politique

distincte, puisqu'on prévoit même le cas où l'une d'entre elles peut se trouver en lutte avec un autre des États confédérés. Elles n'aliènent de leur juridiction particulière que ce qu'elles jugent bon de placer sous la garantie du pacte commun. Celui-ci étant conclu en vue de maintenir le mieux possible la paix et la concorde et de protéger, aussi complétement qu'il se peut faire, les personnes et les biens, › c'est pour atteindre ce résultat que non-seulement les confédérés s'engagent à se défendre les uns les autres, au dedans et au dehors, contre les agresseurs quels qu'ils soient qui chercheront à leur nuire, mais encore que chaque canton consent à remettre à la Confédération les pouvoirs dont celle-ci peut, dans son ensemble, plus utilement faire usage que chacun de ses membres en particulier.

A l'intérieur, les règles déjà posées pour l'intervention d'arbitres, à l'occasion de dissentiments entre des confédérés, sont maintenues, et l'on ajoute que si, à la suite d'un différend ou d'une guerre entre deux cantons, l'un de ceux-ci se refuse à entrer en accommodement avec l'autre, le troisième prendra le parti de celui qui veut suivre les formes du droit. La sanction fédérale continue à être accordée à tout ce qui concerne l'exercice de la justice pénale, et le principe de n'avoir aucun juge étranger aux vallées est de nouveau consacré.

Quant à l'extérieur, le pacte ne renferme aucune stipulation d'où l'on puisse déduire que les confédérés s'envisageaient comme dégagés de tout rapport avec l'Empire germanique et comme ne relevant absolument que d'eux-mêmes. Le pacte suppose, au contraire, qu'il doit exister au-dessus d'eux une autorité suprême: seulement ils s'engagent à ne reconnaître pour dépositaire de cette autorité, que le mo

narque dont ils auront, d'un commun accord et après une entente réciproque, constaté les droits (dekeinen herren nemen ane der ander willen und an ir rat), et il est difficile de ne pas croire que cette clause repose sur la prévision (qui pendant un siècle ne se réalisa point) de l'accession au trône d'Allemagne d'un prince de la maison d'Autriche. En faisant cette réserve, les confédérés donnent la mesure du degré d'indépendance auquel ils se croient parvenus. Ils s'interdisent, en outre, la faculté de contracter aucune alliance particulière, si ce n'est de l'aveu commun, et ils s'obligent également à n'avoir aucun pourparler avec des étrangers, tant que les Waldstätten n'ont pas eux-mêmes reconnu le chef de l'Empire, et qu'ils demeurent, par conséquent, sans maître au-dessus d'eux (die wile untz daz diu Lender unbeherret sint). Ceux qui manqueraient à ces engagements, ou qui trahiraient l'un des États confédérés, seront déclarés parjures, et leurs personnes comme leurs biens deviendront la propriété des cantons (sol sin lip und sin guot dien Lendern gevallen sin) 9.

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Ces précautions prises par les confédérés contre les périls que pouvait leur faire courir toute ingérence étrangère, attestent que, dès l'origine, l'esprit de liberté s'associa chez eux à un sentiment de salutaire défiance, et que c'était en se concentrant toujours davantage sur eux-mêmes, qu'ils espéraient mettre le plus sûrement à l'abri leur indépendance nationale. Ils persistaient, du reste, sous l'influence d'un patriotisme plein de foi, à donner à leur pacte et aux conditions qui s'y trouvaient contenues une imprescriptible et éternelle durée (daz die vorgeschribene sicherheit und diu gedinge ewig und stete beliben). De favorables circonstances et un invincible amour de la liberté ont jusqu'ici permis que

leur audacieuse prévision n'ait pas été démentie. C'est sous l'influence et selon l'esprit des principes qui étaient posés dans cet acte d'alliance, que la Confédération suisse s'est définitivement constituée.

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Résister inflexiblement et à tout prix aux prétentions politiques de l'Autriche, et entrer tour à tour avec elle, selon qu'elle cède ou qu'elle insiste, en accommodement ou en lutte; atténuer de plus en plus les conséquences de la suzeraineté impériale, en relâchant peu à peu des liens que la force des choses contribuait d'ailleurs à rendre de jour en jour moins sensibles; arriver par ce double chemin à obtenir de l'Autriche d'abord, puis de l'Empire, la pleine et absolue reconnaissance de l'indépendance politique et nationale de la Confédération successivement agrandie par de nouvelles alliances et consolidée par de nouvelles victoires; - parvenir enfin à faire prendre à la Suisse, sous la sanction du droit public, une place parmi les États, inégalement puissants, mais également souverains, qui composent l'Europe; voilà de quelle manière les confédéres ont, dans le cours des siècles, compris et accompli la tâche qu'ils s'étaient donnée en plaçant leurs libertés sous la sauvegarde de leur perpétuelle union.

-

L'insuffisance et l'existence précaire du premier pacte de 1291 avaient instruit, sans les décourager, ceux qui en avaient été les auteurs. Ils avaient reconnu que ce n'était pas assez, pour assurer la perpétuité d'une libre alliance, de lui attribuer ce caractère sur un parchemin. Ce qu'il y fallait de plus, ils venaient de l'acquérir. La victoire du Morgarten leur avait enseigné à quel prix et par quels moyens un peuple s'assure, autant qu'il est en lui, dans ce monde où tout passe, une durable existence et un long

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