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procédé contre les trois vallées réunies, et non pas contre celle de Schwyz seulement, quoique seule elle eût été en lutte avec Notre-Dame des Ermites. On regardait dès lors les confédérés comme solidaires les uns des autres dans leurs relations avec l'étranger. Cette solidarité allait être mise à une rude et décisive épreuve.

Le pouvoir de Louis de Bavière était encore trop mal affermi pour que son assistance pût être d'un grand secours pour les Waldstätten, auxquels il n'avait pas même envoyé de bailli impérial afin de protéger ses droits et les leurs contre les menaces de l'Autriche. Il est permis de croire que ce fut alors que Frédéric le Beau rendit, en vertu de son autorité royale, un décret qui, mettant à exécution ce que Henri VII avait laissé en suspens, attribuait à sa famille la possession des trois vallées". Les confédérés pouvaient donc se dire que le moment n'était plus éloigné où, à de simples réclamations, succéderaient, de la part des ducs d'Autriche, des mesures plus énergiques et plus efficaces. Dans la haute Allemagne, la cause de Louis de Bavière ne comptait pas un seul adhérent. Berne et Soleure n'avaient reconnu aucun des deux rois, et les plus proches voisins des Petits Cantons se déclaraient d'une manière plus ou moins prononcée en faveur de Frédéric. C'était sur cette situation que les Waldstätten devaient régler leur conduite. Tandis qu'ils sont en mésintelligence ouverte avec ceux des partisans ou des subordonnés de l'Autriche qu'ils ne peuvent pas se flatter d'attirer à eux, ils usent de ménagements envers les voisins dont ils espèrent gagner la neutralité.

La ville de Lucerne et le comte de Strassberg, qui gouverne pour l'Autriche dans l'Oberland, sont du nombre des

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ennemis que les trois vallées ne peuvent espérer de détacher de la cause autrichienne, et envers lesquels elles démeurent, durant tout l'été de 1315, dans un état d'hostilité plus ou moins déclarée ". Les préparatifs de guerre qui se faisaient alors à Lucerne, et dont les détails sont consignés dans les registres du Conseil, auraient seuls suffi pour justifier les mesures de précaution que les confédérés jugeaient bon de prendre. Les gens d'Uri, redoutant tout ce qui aurait pu favoriser chez eux les prétentions de la maison d'Autriche, s'opposent à ce que Werner de Homberg, ancien bailli des Waldstätten, prenne possession du péage impérial de Fluelen, dont le roi Frédéric lui avait confirmé l'inféodation 4. Menacés par Lucerne du côté du lac, ils s'efforcent en outre de conjurer les attaques dont leur vallée aurait pu être l'objet sur leurs frontières de l'est et du sud, et, en même temps qu'ils travaillent à s'attacher les habitants du bailliage autrichien d'Urseren, ils concluent, le 25 juillet 1315, avec ceux du bailliage autrichien de Glaris, une réconciliation dans laquelle sont compris < tous les gens de bien que cela concerne (mit allen dien erbern lüten die darzu hoerent)". Cet engagement, auquel prennent part, entre autres signataires, Werner d'Attinghausen et Walter Fürst, trouve son parallèle, à Schwyz, dans l'alliance que les Schwyzois se préparent à contracter avec le bailliage d'Art, pour le détacher de la suzeraineté autrichienne et s'en faire un rempart qui protége à l'ouest l'entrée de leur territoire. Les gens d'Unterwalden s'entendent, de leur côté, avec ceux d'Interlaken pour une trêve, qui leur laisse néanmoins la liberté de repousser, le cas échéant, du côté du Brünig, les agressions du comte de Strassberg ".

Toutes ces mesures défensives n'étaient pas superflues,

car si l'orage, en vue duquel elles étaient prises, n'avait pas encore éclaté, on l'entendait déjà gronder dans le lointain. L'automne de 1315 ne devait pas finir, avant qu'il eût fondu sur les Waldstätten. C'était le duc Léopold d'Autriche qui avait pris sur lui la tâche d'exécuter le décret par lequel son frère, le roi Frédéric, avait placé les trois vallées sous la dépendance de sa maison. Profitant d'une sorte de suspension d'armes entre les deux prétendants au trône et de l'impossibilité où était Louis de Bavière d'intervenir dans la haute Allemagne, Léopold se décida à s'y rendre luimême vers la fin du mois d'octobre, et à trancher, par la force des armes, une question que, malgré ses instances. auprès d'Henri VII et de Jean de Bohême, il n'avait pu réussir à faire résoudre selon les formes du droit.

Nous n'avons pas à juger ici le fond d'un procès où chacune des parties pouvait, sans se tromper, croire avoir pour elle la raison et la justice. La querelle entre la maison d'Autriche et les Waldstätten n'était qu'un des épisodes de cette longue période de transformation politique qui remplit les derniers siècles du moyen âge, et où l'on voit aux prises, avec des succès divers, la liberté républicaine et l'autorité princière. Les principes du droit public étaient alors trop incertains, les règles de la jurisprudence politique trop arbitraires, la compétence de l'autorité suprême trop mal établie, pour que, dans cette grande crise historique, on doive se préoccuper beaucoup de l'observation plus ou moins correcte d'une législation perpétuellement contestée. Chacun obéissait aux instincts et aux instigations de son ambition particulière, profitant à qui mieux mieux du désarroi des institutions pour se faire la place qui convenait à ses intérêts et à ses goûts. Les princes devenus

souverains voulaient étendre leur puissance; les peuples devenus libres voulaient conserver leur liberté. Qui peut dire qu'ils n'eussent pas les uns et les autres également raison? L'histoire enregistre, plus qu'elle ne prétend juger, ces tendances contraires. Mais il n'est pas interdit à l'historien d'avoir ses préférences, quand il raconte une lutte entre un pouvoir qui veut rester ou devenir le maître, et un peuple qui pense qu'en fait de maître il ne doit pas en avoir d'autre que lui-même. Réjouissons-nous donc du fond du cœur de ce que, dans le conflit qui s'éleva il y a plus de cinq siècles au berceau de la Suisse, ce ne soit pas le peuple qui ait succombé!

L'objet du débat n'était d'ailleurs pas si clair, que les contemporains eux-mêmes ne le considérassent déjà de points de vue différents. Aux yeux des uns, la résistance des confédérés était juste: « C'était, disaient-ils, une race de montagnards qui, sous la simple mouvance de l'Empire, vivaient libres du joug de tout maître, et qui, sans rien savoir du métier de la guerre, s'occupaient du soin des troupeaux et du travail des champs. Léopold, frère du roi Frédéric, désirant augmenter la puissance de sa maison, voulut les soumettre par la force à sa domination. La défense de leur liberté leur mit les armes à la main 78. › Aux yeux des autres, la résistance des confédérés constituait une rébellion: < On avait affaire à des rustres qui, se croyant en sûreté derrière leurs montagnes, s'étaient soustraits à l'obéissance et aux obligations auxquelles ils étaient tenus envers le duc Léopold et qui prenaient les armes pour lui résister 79. Si les contemporains que nous venons de citer ne s'entendaient pas sur le fond de la question, ils en présentaient du moins très-exactement les deux aspects con

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traires, et ils s'accordent à montrer comment l'emploi de ⚫ la force était le seul moyen qui restât de résoudre les prétentions de l'un et de l'autre parti.

Bien que les Waldstätten fussent moins ignorants du métier des armes que ne le suppose celui de ces deux témoignages qui leur est favorable, ils n'en devaient pas moins entrevoir avec inquiétude une lutte où toutes les mauvaises chances semblaient être de leur côté. Comment auraient-ils pu envisager, sans une perplexité mêlée d'effroi, d'une part, les faibles ressources dont ils pouvaient disposer, de l'autre, les redoutables moyens d'attaque que leur ennemi avait dans sa main. Aussi, bien loin de prendre eux-mêmes le rôle d'agresseurs, se renfermèrent-ils strictement dans la défensive et cherchèrent-ils même à obtenir, par des concessions, que le coup dont ils étaient menacés fût détourné loin d'eux. Ils avaient toujours su mesurer leur audace à leur force, et ils préféraient sacrifier quelque chose plutôt que de risquer de tout perdre. Mais, les intentions de leur adversaire devaient être précisément l'opposé des leurs. Le duc Léopold ne pouvait douter de sa prépondérance, ni par conséquent de son succès, et il devait préférer l'absolue soumission, qu'il se croyait sûr d'obtenir, à une transaction qui aurait encore laissé aux Waldstätten une partie de leur indépendance.

< Les montagnards, > dit à ce sujet celui des chroniqueurs déjà cités qui tient pour l'Autriche, les montagnards eurent recours, afin que la paix ne fût pas troublée, à la médiation du comte de Toggenbourg, qui fit, en effet, tous ses efforts pour amener entre les deux parties une complète réconciliation. Mais, après avoir mis tous ses soins à tenir équitablement compte des intérêts de chacune d'elles, il

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