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offre de nouveau un repas splendide en signe de réjouissance. Après avoir amplement fait honneur à ses mets et à son bon vin, nous nous empressons de revenir auprès de notre cher abbé. Le plaisir de nous revoir l'émeut jusqu'aux larmes, et pour mieux témoigner sa joie, il nous fait servir un copieux banquet, où circulent les coupes pleines. Ainsi reconfortés, nous laissons s'écouler la journée avec un plaisir sans mélange.

< J'ai fini; ô mes vers, reposez-vous, il en est temps. Je n'ai point voulu faire une œuvre savante, je n'ai point cherché par de faux ornements à embellir la vérité. Comme les choses se sont passées, je les ai écrites; que ce soit de même qu'on les lise, et veuillent les critiques pardonner à l'auteur les péchés de sa muse. >

Rodolphe de Radegg ne se trompait pas en pensant que ce serait l'intérêt historique de ses vers qui les sauverait de l'oubli. Sans doute les mœurs que décrit son poëme forment un frappant contraste avec les complaisantes peintures de la tradition nationale, et avec l'auréole fantastique dont elle aime à entourer le berceau de la liberté helvétique. Mais ce tableau, peint d'après nature, nous place en face de la réalité, et il nous faut bien rabattre quelque chose de cet esprit de dévotion et d'attachement à l'Église que l'on prêtait aux premiers confédérés, comme aussi de cette longanimité et de cette mansuétude, dont les excès de leurs oppresseurs les auraient en quelque sorte forcés de se départir. Ce qui reste entier et incontestable, c'est leur passion pour la liberté; mais il est permis de penser qu'ils ne mettaient pas à la satisfaire tous les ménagements possibles.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que si, dans un sentiment d'irritation très-excusable et qu'égaye pourtant

plus d'un éclair de jovialité, le maître d'école d'Einsiedeln n'a rien dissimulé de la brutalité excessive des gens de Schwyz, il n'en laisse pas moins entrevoir que, dans leurs violences, il entrait plus de sauvagerie que de méchanceté. Après tout, les choses ont souffert beaucoup plus que les hommes, dont aucun, à ce qu'il semble, n'a mêmè reçu une égratignure. Se venger de l'interdit, se faire craindre des moines, se mettre à l'abri des contestations juridiques en brûlant leurs archives, voilà sous quelles inspirations un amour déréglé de l'indépendance avait poussé les Schwyzois à une expédition où ils devaient recueillir plus de butin que de gloire.

Ils ne purent, il est vrai, enlever aux religieux l'emploi des armes spirituelles, mais ils n'en avaient pas moins réussi à se faire redouter, et nul n'osa, en se déclarant contre eux le champion du monastère, leur demander raison de leurs excès. Il faut voir avec quelle expression de courtoisie et quel ton plein de ménagements, les seigneurs du voisinage intercèdent, auprès du landammann Werner Stauffach et des gens de Schwyz, en faveur des moines prisonniers. Bien loin de faire entendre aucune menace, ils garantissent aux Schwyzois que nulle conséquence fâcheuse ne résultera pour eux de ce qui s'est passé. Cependant le seigneur de Regensberg avait son fils parmi les captifs, Rodolphe de Habsbourg un de ses vassaux; mais ils se contentent, comme le comte de Toggenbourg et Ulrich de Güttingen, d'implorer la générosité des agresseurs 67. Ils ne songent nullement à invoquer contre ces derniers une autorité supérieure, telle qu'aurait pu l'être celle du duc d'Autriche, qui était à la fois leur propre suzerain et l'avoué d'Einsiedeln, et ils rendent par conséquent hommage à la pleine

indépendance des hommes de Schwyz. En appeler au chef de l'Empire était impossible, le trône était toujours vacant. Il ne fut occupé de nouveau que six mois plus tard, le 20 octobre 1314.

La compétition pour la royauté s'était d'abord établie entre le fils de l'empereur Henri VII, Jean, roi de Bohême, et le duc Frédéric le Beau, fils aîné du feu roi Albert d'Autriche; mais, à la suite de longs démêlés et d'intrigues entre les Électeurs, Jean fut écarté d'un commun accord, et la majorité des voix proclama Louis de Bavière roi des Romains. La minorité s'était prononcée en faveur de Frédéric d'Autriche, et elle refusa de reconnaître l'élu de la majorité 68. L'Allemagne avait deux rois, et à l'interrègne succéda un schisme qui dura huit ans. Il fut pour les Waldstätten de grande conséquence. Entre le souverain régulièrement élu et le duc d'Autriche, qui usurpait le titre de roi, la lutte ne comportait pas de ménagements, et chacun d'eux devait tout faire pour attirer à lui et détacher de son rival le plus grand nombre possible d'adhérents. Les Waldstätten se retrouvaient ainsi dans une position semblable à celle qu'ils avaient occupée lors de l'avénement d'Henri VII, quand ce souverain était encore aux prises avec la maison d'Autriche. Il y avait toutefois cette différence entre les deux situations, que, dans le cas présent, la réconciliation des antagonistes était infiniment moins probable, et que, par conséquent, les circonstances offraient aux trois États forestiers beaucoup plus de chances favorables pour mener à bon terme leur entreprise d'émancipation politique.

Déjà, pendant l'interrègne qui leur rappelait l'époque où, à la suite de la mort du roi Rodolphe, ils avaient conclu le

pacte du 1er août 1291, ils avaient dû s'entendre pour remettre celui-ci en vigueur et pour continuer, comme cela leur avait été possible pendant le règne d'Henri VII, à associer leurs destinées. Les progrès qu'ils avaient faits sous ce prince, pour parvenir à former une unité fédérative, devinrent encore plus marqués quand, tout pouvoir central manquant, ils se sentirent livrés à eux-mêmes et éprouvèrent de plus en plus le besoin de resserrer les liens de leur confédération pour faire face aux périls que courait leur liberté. Il semble même que, comprenant tout le parti qu'ils peuvent tirer de l'anarchie de l'Empire, ils cherchent, en quelque sorte, à la faire durer pour ce qui les concerne, en ne s'empressant point, comme dans d'autres circonstances, de requérir de l'adversaire de la maison d'Autriche, appelé au trône par la majorité des Électeurs, la confirmation de leurs priviléges et de leurs franchises. C'est Louis de Bavière, au contraire, qui fait vers eux les premiers pas, et eux-mêmes n'en appellent à son intervention royale, que lorsque celle-ci leur paraît nécessaire pour tenir en échec leurs propres ennemis.

Le 17 mars 1315, le roi Louis, mal assis sur le trône et qui cherchait à se concilier des partisans, adressa à tous les hommes d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden une lettre par laquelle il les informe qu'il était résolu à réprimer < l'audacieuse arrogance des ducs d'Autriche, qui mettaient en péril le bien public et menaçaient de tout bouleverser. » Dans ce but, il convoquait à Nuremberg une diète impériale pour le jour de la Pentecôte, et il engageait les hommes des vallées à demeurer, en attendant, de fidèles et fermes adhérents de sa cause. Les Waldstätten, que Louis de Bavière envisageait ainsi comme formant dans leur

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triade une unité politique, les Waldstätten répondirent à cet appel du roi en reconnaissant sa suprématie et en invoquant immédiatement son intervention, afin d'être relevés des effets de l'excommunication religieuse et de l'interdit politique que l'abbé d'Einsiedeln, pour se venger de leurs hostilités, avait réussi à faire lancer contre eux 7. TO A cette requête le roi Louis répondit le 25 mai 1315, que l'archevêque métropolitain de Mayence s'était engagé envers lui à lever l'excommunication, et qu'annulant lui-même le décret par lequel ils avaient été mis au ban de l'Empire, il les rendait à leur liberté première (in statum pristina libertatis restituentes). Il les assurait, du reste, qu'il donnait à tous ses adhérents les ordres les plus précis pour les secourir et les défendre chaque fois qu'ils en seraient requis.

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Cette missive royale n'ayant pas suffi, toutefois, pour mettre les Waldstätten à l'abri des désagréments que leur causait le décret de proscription dont Frédéric le Beau les avait frappés, Louis de Bavière rendit, le 17 juillet 1315, un arrêt solennel, par lequel il fait savoir à tous les fidèles du saint Empire romain,› qu'il a relevé de cette injuste sentence d'interdit< la communauté des hommes d'Urach, de Switz et d'Unterwalden, › et que, vu leur attachement persévérant pour sa personne et pour l'Empire, il veut les mettre à l'abri des ennuis ou des dangers (tædium seu pericula), qui peuvent en résulter pour eux". Nous avons ici le premier acte authentique, étranger aux États forestiers eux-mêmes, dans lequel leur confédération est comprise sous une appellation commune et reconnue comme constituant une société politique distincte. On voit, du reste, que leurs adversaires pensaient de même, puisque l'abbé d'Einsiedeln et, sur sa demande, Frédéric d'Autriche avaient

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