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pas être bien considérable, ces nouveaux sujets de l'Empire annexés à l'une des provinces des Gaules virent s'ouvrir pour eux, sous ce régime, une ère de développement et de prospérité dont on peut encore, à l'aide de l'histoire et des monuments, constater les effets, surtout dans la partie occidentale de la Suisse.

Mais cette prospérité fut bientôt compromise par les attaques toujours plus menaçantes que dirigeaient, contre les avant-postes de l'Empire romain, les peuples de la Germanie. L'Helvétie eut particulièrement à souffrir de cette position périlleuse, et, quand les digues qu'elle-même devait protéger furent définitivement rompues, les flots d'un nouveau peuple se précipitèrent sur elle, et la domination romaine balayée de son territoire fit place à l'occupation barbare.

II

LES ALLÉMANS

Lorsqu'au commencement du cinquième siècle la cohue des peuples germaniques se rua sur l'Empire romain, et que chacun de ces peuples prit pour lui un lambeau différent du géant renversé, ce fut aux Suèves ou Allémans et aux Burgundes que l'Helvétie échut en partage. Les premiers s'installèrent à l'est, les seconds dans la partie occidentale du pays, et dès lors jusqu'à aujourd'hui l'histoire a vu se perpétuer, entre ces deux fractions de la Suisse, des diversités de destinées, de mœurs, de langue et de législation.

Tandis que les Burgundes, comme les Francs, trouvèrent

les contrées où ils s'installèrent trop peuplées et trop civilisées pour faire table rase des habitants et des institutions, en sorte que, sans se fondre entièrement avec les vaincus, ils en respectèrent les lois, en prirent la langue, en adoptèrent la religion et en imitèrent le gouvernement, les Allémans, au contraire, en franchissant le Rhin, rencontrèrent dans l'Helvétie orientale une population moins considérable et moins civilisée, et sur laquelle l'influence romaine avait moins profondément agi. Ils détruisirent ou expulsèrent la portion des habitants qu'ils ne purent s'assimiler, et ils asservirent le reste à leurs coutumes nationales, à leur idiome maternel, à leurs formes politiques et à leurs croyances païennes 10.

Plus grossiers dans leurs mœurs, plus ennemis des villes plus attachés à l'idolâtrie, plus épris de l'indépendance individuelle et, en même temps, de l'amour de la tribu, les Allémans représentaient, mieux qu'aucun autre peuple de la même race, cette rudesse primitive et sauvage, cette liberté farouche qui caractérisent le clan germanique, et qui, sous une forme adoucie, se retrouvent chez les montagnards des petits cantons. Un écrivain moderne, qui n'a pas cherché ce rapprochement, le fait ressortir en peu de mots lorsqu'il dit des Allémans: < Ils avaient des mœurs de rustres, pour villes des villages, un grossier idiome, mais un vif sentiment de bravoure et de fidélité ". >

La chasse, l'agriculture, le soin des troupeaux formaient leurs principales occupations. Ils s'adonnaient avec passion à l'exercice du chant, < entonnant leurs airs, › a dit un écrivain qui les avait entendus lui-même, < avec une voix qui ressemblait aux cris stridents des oiseaux 12. » Ne dirait-on pas ces roulades de gosier qui font encore retentir de leurs

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sons aigus les montagnes des petits cantons (Jodeln)? Toujours prêts à prendre les armes et doués d'une rare intrépidité guerrière, ils étaient plutôt campés que solidement fixés dans les lieux qu'ils occupaient; pour eux les villes étaient des prisons, et ils préféraient les habitations disséminées aux établissements agglomérés.

Mais, tandis que les nobles, mis par la conquête ou par la munificence du roi en possession de vastes domaines qu'ils faisaient exploiter par des serfs plus ou moins nombreux, y vivaient isolés, les hommes libres, petits propriétaires, se groupaient en associations qui, à la possession allodiale et personnelle des héritages privés, ajoutaient l'usufruit des terres communales appartenant indivisément à tous. Répartie en dizaines, en centaines et en comtés, la population libre, qui devait au roi le service. militaire et l'impôt, était en outre appelée à prendre part aux assises dans lesquelles, suivant une jurisprudence déterminée par la nature et la gravité des cas, se jugeaient les causes civiles et criminelles. A la tête des trois divisions administratives dont nous venons de parler étaient placés les fonctionnaires publics, dont le principal était le comte, chargé d'exécuter les sentences rendues dans les assises qu'il présidait, et de conduire à l'armée du roi le contingent militaire de son comté 13.

Cette organisation sociale, qui était évidemment plus propre à favoriser la liberté qu'à fortifier le pouvoir, se rapprochait des formes politiques dont Tacite a tracé le tableau en décrivant les mœurs des Germains, et, après avoir persisté sur le sol suisse avec peu de modifications essentielles jusqu'au treizième siècle, elle a transmis à des générations plus récentes encore, sinon les formes,

du moins l'esprit qui l'animait. Il n'est pas jusqu'au nom d'Allemanni qui, dans la double étymologie qu'on lui attribue, ne puisse recevoir de l'histoire de la Suisse primitive sa justification. Qu'il exprime, en effet, l'idée de la bravoure virile ou celle de l'union fédérative 14, les victoires et les ligues des Waldstätten en ont confirmé la double signification.

Les Allémans formaient politiquement moins un corps de nation fortement uni, qu'une confédération de tribus semblables, et quand ceux d'entre eux qui s'étaient établis près du Mein furent vaincus, sur la fin du cinquième siècle, par Clovis, roi des Francs, les peuplades qui occupaient la Suisse orientale et les Grisons se placèrent, pour échapper au même sort,' sous la protection du roi des Ostrogoths, le fameux Théodoric. Mais quarante ans plus tard, cette protection leur ayant fait défaut, ils furent contraints de subir la domination des monarques francs qui, à la même époque, mirent dans leur dépendance le royaume des Burgundes, dont Genève était la capitale (536).

Dès le milieu du sixième siècle tout le territoire qui forme aujourd'hui la Suisse faisait donc partie intégrante de la monarchie mérovingienne, et, quand celle-ci se fut morcelée en trois royaumes, on vit de nouveau les rois de Bourgogne étendre leur domination jusqu'à la rive gauche de la Reuss, tandis que les souverains d'Austrasie durent exercer leur autorité sur la partie orientale du sol helvétique, occupée par les Allémans. Ces derniers, depuis qu'ils avaient perdu leur indépendance politique, avaient cependant conservé à leur tête un chef ou des chefs qui portaient le titre de duc, et qui, tout en relevant nominalement des rois francs, conservaient au peuple conquis, dont les lois particulières

avaient été respectées, une autonomie proportionnée à la faiblesse même des monarques suzerains. Cette période de l'histoire des Allémans est, du reste, couverte d'un voile épais. Tout ce que l'on en peut recueillir se résume dans ce double fait que, d'une part, l'organisation intérieure dont nous avons plus haut marqué les principaux traits fut maintenue, et que, de l'autre, le christianisme prit, dans le duché d'Allémanie, la place du culte païen.

C'est, en effet, dans la première moitié du septième siècle que, sur l'ordre des rois Clotaire II et Dagobert I, fut rédigée, sous la forme où elle nous est parvenue, la loi des Allémans, dans laquelle on retrouve, à côté de dispositions d'une autre origine, tous les traits de l'état social que nous venons d'esquisser 15. C'est alors aussi que des missionnaires partis d'Irlande apparaissent au milieu de ce peuple, et que saint Gall, qui fut en Suisse le plus illustre champion de cette pieuse croisade, construit l'ermitage d'où la foi nouvelle devait rayonner dans tout le territoire soumis à la juridiction spirituelle de l'évêché de Constance 16. Vers le même moment, la portion de ce territoire située entre la Reuss, le Rhin, le lac de Constance et les Alpes, recevait le nom officiel de Thurgau (Thurgovie), ou comté de la Thur". Cette dénomination administrative comprenait, par conséquent, comme la dénomination ecclésiastique dont nous venons de parler, les trois vallées qui entourent le lac des Waldstätten, mais qui n'avaient pas encore reçu à cette époque, sinon leurs premiers habitants, du moins les premiers éléments de leur organisation sociale.

On ne voit, en effet, jusqu'au septième siècle rien qui atteste, dans ces régions, l'existence d'une société ou d'une communauté régulièrement constituée, rien, par conséquent,

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