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flétrir d'abord d'un jugement qui le déclarera prévenu du crime, et le retenir provisoirement dans une prison jusqu'à ce que le directeur du jury ait rendu un second jugement provisoire sur sa liberté!

Je cherche en vain, je l'avoue, en quoi l'ancien régime était plus vicieux que celui-là. Je ne sais pas même s'il ne pourrait pas nous faire regretter jusqu'à la juridiction prévôtale, moins odieuse Sous beaucoup de rapports, et qui parut un monstre politique précisément parce qu'elle remettait dans les mêmes mains une magistrature civile et le pouvoir militaire.

M. Goupil s'appesantit particulièrement sur l'idée désastreuse qu'entraîne après soi un jugement qui ne laisse aucun moyen de revision. Rappelant à l'Assemblée un décret rendu, qui admet la rédaction des témoignages au civil, il demande si l honneur et la vie des citoyens sont moins précieux que leurs richesses et leur fortune. I demande donc que les témoignages soient rédigés par écrit.

(La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.)

M. le Président lève la séance à trois heures et demie.

ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU 27 DÉCEMBRE 1790.

NOTA. M. Hell, député de Hagueneau, fit imprimer et distribuer son opinion sur l'organisation de la justice. Ce discours, quoique n'ayant pas été prononcé, fait partie des documents parlementaires de l'Assemblée nationale et c'est à ce titre que nous l'insérons dans les Archives.

M. Hell, député de Hagueneau (1). Messieurs, le salut du peuple est la première loi; c'est le salut du peuple qui est le précieux objet de nos

travaux.

C'est d'après ce principe sacré que vous vous dé erminerez à adopter la forme la plus salutaire d'administrer la justice. C'est d'après le même principe que vous déciderez la question de savoir si vous adopterez oui ou non des jurés.

Pour connaître par qui la justice peut être administrée le plus fidèlement et le plus promptement, il faut auparavant déterminer Is formes dans lesquelles là justice doit être administrée.

Pour determiner cette forme, il faut connaître ce qui, dans l'ancien régime, peut avoir été bon, et ce qu'il y a eu de vicieux.

Avant que d'adopter une nouvelle forme, il est essentiel de se garantir des attraits d'une brillante théorie: si cette forme se trouve établie quelque part, il faut interroger l'expérience et juger la loi par ses effets.

Le législateur doit la justice au peuple, il doit la lui faire parvenir par le chemin le plus court possible, et lui causer le moins de depense de temps et d'argent qu'il est possible.

Revêtus de cette fonction divine, vous voulez

(1) L'opinion de M. Hell n'a pas été insérée au Moni

teur.

être instruits, vous voulez connaître avant que de décréter la loi.

De mon côté, il est de mon devoir de mettre Sous vos yeux ce que ma longue administration de la justíce m'a appris.

Je ne crains pas, Messieurs, de vous dire que les formes qui devaient assurer le salut du peuple, sont devenues des armes meurtrières, dont les suppôts et la justice dévastent nos campagnes. Les abus sont si grands dans la ci-devant province d'Alsace, que la chicane y a fait plus de mal que les impôts et tous les autres fléaux et vexations dont elle a été accablée. Enfin, Messieurs, sa position est telle, que si vous ne la délivrez pas de la chicane, quelque avantageuse que puisse lui être d'ailleurs votre Constitution, vous n'aurez rien fait pour elle.

Je ne répéterai pas ce que j'ai dit dans mon projet de réforme de l'administration de la justice, imprimé chez Knapen et fils, en 1789, sur ce qui précède, accompagne et suit les procès. Je ne répéterai pas les moyens de les empêcher que j'y propose; je hasarderai uniquement de soumettre à vos lumières la marche que je désirerais être tracée aux habitants de la campagne qui se croiront dans le cas de recourir à la justice, et un moyen simple et fidèle de les préserver de la voracité de ses satellites.

Je vous supplie de me permettre d'en faire la lecture.

1o Nul ne pourra intenter d'action en justice réglée sans y avoir été autorisé par avis de cinq de ses parents ou alliés, à son choix, et à leur défaut d'amis.

2o Cet avis sera exprimé dans une délibération, qui sera faite par-devant la municipalité du lieu de la demeure do demandeur, sur un mémoire combinant la vérité des faits appuyés de pièces justificatives.

3° Si le demandeur est autorisé de plaider, il laissera ses pièces pendant quinze jours au greffe de la municipalité, où le défendeur sera averti d'en prendre communication, et le défendeur ne pourra être assigné par-devant le juge, qu'après cette quinzaine.

4 Après laquelle quinzaine, le demandeur déposera ses pièces au greffe de la justice, sur un état dont le greffier lui délivrera copie avec l'acte de dépôt au bas signé de lui; pour être publié par la municipalité du lieu de la demeure du défendeur, de laquelle publication il sera fait mention dans le livre de la municipalité, et sur cette copie, qui sera rendue au demandeur, après que le président aura signé le certificat de publication qui tiendra lieu d'assignation.

5° Celui qui aura été assigné passera par les mènes formalités, et il ne pourra fournir ses éfenses qu'après y avoir éié autorisé par une délibération, et après la quinzaine, à compter du jour de l'avertissement fait au demandeur, pendant laquelle ses titres resteront au greife de la municipalité pour la communication."

6° Tous les avertissements se feront par publication, de la part de la municipalité du lieu de la demeure des parties; et lorsqu'elles ne seront pas les deux du même lieu, la municipalite qui aura reçu une deliberation portant permission d'attaquer ou de défendr, priera celle du lieu de la de neure de la partie adverse, de faire faire cette publication et de lui envoyer le certificat.

7° Lorsque les deux parties auront été trouvées fondées à plaider, leurs parents et alliés ou amis respecufs qui ont fait les dénbérations, seront tenus de s'assembler devant la municipalité,

d'examiner conjointement les raisons des deux plaideurs, et de proposer des moyens de les concilier. S'ils parviennent à les arranger, il en sera passé acte dans le livre. S'ils sont unanimes sur les articles de l'arrangement, et si l'une des parties refuse de l'accepter, la cause ne pourra être portée à l'audience du juge, que deux mois après le jour auquel l'arrangement aura été proposé, à moins que les deux parties ne sollicitent conjointement sa décision. Et si la partie contre laquelle les avis des delibérants s'étaient réunis succombe, elle subira toutes les condamnations d'un plaideur de mauvaise foi.

8° Les titres et pièces déposés par les plaideurs aux greffes des justices, étant non seulement devenus communes entre eux mais publics, les greffiers seront tenus de les communiquer sans déplacer, à toutes les personnes, même étrangères, qui demanderont à les voir, et de leur en donner des copies ou des extraits, s'ils en sout requis (1).

go Les causes seront portées à l'audience du juge dans l'ordre du dépôt fait des pièces du greffe; pour lequel effet il en sera fait un rôle tous les mois, au bas duquel le juge mettra la date du jour auquel elles devront être jugées, pour le dit état être adressé à toutes les municipalités du bailliage, et y être publié et affiché (2).

10 Ces publications et affiches serviront d'avertissement ou d'assignation aux parties de se préparer à plaider elles-mêmes ou à faire plaider par qui elles voudront leurs causes, à prendre communication et copie des pièces au gre fe du siège, et de se trouver à l'audience du juge au jour, lieu et beure fixés.

11 Les as ignations, les avenirs, les sommations ou autres significations par écrit n'auront plus lieu, et les honoraires des avocats et procureurs ne pourront pas être récupérés.

12° Si les deux parties comparaissent, la cause sera plaidée et jugée d'après les principes et dans les formes qui seront indiquées.

13° S'il n'en comparait qu'une, il en sera simplement fait mention sur les registres d'audience, et la cause sera remise sur le rôle du mois suivant. Si la même partie fait encore défaut à l'audience suivante, les conclusions de celle qui se sera présentee, lui seront adjugées, sans que celle qui aura fait defaut puisse en revenir, à moins de commencer par satisfaire en plein au jugement par défaut, et ensuite seulement de passer de nouveau par les mêmes formalités cidessus prescrites, pour être autorisée à se pour

voir.

14. Si les parties ne comparaissent ni l'une ni l'autre aux jours fixés, leur cause sera remise au rôle six mois de suite, après lesquels elle en sera rayée, et elle ne pourra y être remise que sur la demande que les deux parties en auront faite conjointement, ou par une seule après qu'elle aura de nouveau rempli les formalites ci-devant prescrites.

15° Lorsqu'une des parties voudra employer

(1) Je propose cette publicité, parce que c'est un moyen de plus d'empêcher les procès et de fixer l'opinion publique.

(2) Ces publications suffiront, parce que les parties sont prévenues par les avertissements et les démarches préliminaires faites par devant les municipalités; l'atiaque étant connue, il ne faut plus perdre de vue son ennemi. Outre les publications et les affiches, dans les lieux où on a l'occasion de la presse, on pourra faire imprimer les assignations et les avertissements ainsi que la liste des jugements.

une autre pièce que celles produites lors de sa délibération, elle sera obligée de supporter tous les frais et les dommages-intérêts de ses parties adverses jusqu'à la présentation de la nouvelle pièce, saus pouvoir en rien récupérer.

16° Lorsque l'audience sera close, le greffier en fera un précis portant ce qui aura été fait ou prononcé sur chaque cause, pour être envoyé à la municipalité de chaque endroit, et y être publié et affiché.

17° Lorsqu'une cause aura été jugée et qu'elle sera de la nature de celles dont on pourra appeler, la sentence ne pourra être mise à exécution qu'un mois après que le précis de l'audience aura été publié et affiché dans le lieu de la demeure des parties, et ensuite seulement huit jours après un avertissement d'y satisfaire, que la municipalité fera faire.

18 Après lequel temps elle sera exé utée nonobstant appellation, mais sans y préjudicier.

19° Aucun appel ne pourra plus être interjeté que sur de nouvelles délibérations que les appelants seront tenus de faire faire, et les mêmes formalités s rout observées au tribunal d'appel, qu'a celui de première instance, tant pour la manière de procéder que pour l'éxécution des jugements.

Voilà, Messieurs, un des moyens de diminuer les procès. La crainte d'abuser de votre temps précieux m'empêche de répéter tous les autres moyens que j'ai proposés dans mon imprimé sur cette matière. Mais il m'en reste un de diminuer les effets désastreux de la guerre gripno-cratique, qui mérite toute votre attention.

Son extrême importance me ramène aux devoirs du législateur, le salut du peuple.

Je remonte à ce principe pour en poser d'autres qui en découlent immédiate uent.

Le salut du peuple est le fruit de la paix. Sans la paix, point de salut pour le peuple. La paix repose sur des lois qui uuissent les hommes. La paix est conservee par l'exécution de ces lois. L'exécution des lois est conliée à l'administration de la justice. Plus elle sera prompte et brève, plus tôt l'ordre prescrit par les fois, que l'erreur, la passion ou les circonstances pourraient avoir dérangé, sera rétabli. Le salut du peuple exige donc que la justice arrive a lui par le chemin le plus sûr et le plus simple.

Personne n'ignore le temps, les peines et les frais qu'il en coûte pour obtenir le remboursement le plus légitime d'un débiteur de mauvaise foi. C'est cependant de tous les procès (si l'on peut se servir de ce terme) le plus court.

Pour peu que la matière prête à l'industrie des suppôts de la justice, le dénombrement de tous les actes d'un côté, et de toutes les chicanes de l'autre, est effrayant. C'est un dédale ou les harpies dévorent lorsqu'un malheureux plaideur sème sur ses pas pour n'en pas perdre l'issue. S'il a le bouleur de la retrouver cette issue, d'autres monstres lui ravissent la toison qu'il croyait avoir arrachée des cent gueules de la chicane.

Quel bienfait plus grand, Messieurs, pourrezvous faire à l'humanite, que celui de la garantir de ces maux!

Ce bientait dépend de vous; vous nous le devez, vous le devez à votre gloire. Le législateur doit assurer à chacun la conservation de son bien, ou sa restitution, s'il se trouve en d'autres mains, par la voie la plus courte.

Je vous demande la permission de vous en

proposer une qui, si elle ne répond pas à l'étendue de vos vues, elle pourra peut-être servir de canevas à quelques articles des lois, par lesquelles vous allez nous assurer ce bonheur.

Comme les sommations, les assignations, les commandements, les saisies, les décrets et tous les autres exploits, ne sont que des degrés pour arriver à la satisfaction due à l'une des parties, ou plutôt des détours, qui l'en éloignent, ou qui l'en privent; j'espère que vous les proscrirez à jamais de l'Empire français. C'est dans cette douce espérance que j'ai formé le projet de décret, divisé en vingt-huit paragraphes, inséré dans mon imprimé, déjà cité plusieurs fois.

C'est encore le profond respect pour votre temps qui m'empêche de les répéter, mais je vous supplie d'écouter avec indulgence ce qui suit:

La justice devant être rendue gratuitement, l'exécution des jugements, ou la contrainte au payement des sommes dues, doivent pareillement être gratuites. D'ailleurs, nul homme ne devant faire son état, ni vivre de la détresse d'autres hommes; la loi qui veille au bonheur de tous, n'abandonnera plus aucun homme au danger de compromettre son humanité, pas même à ses yeux seuls. En conséquence, mon opinion est que toutes significations, exécutions et contraintes faites par des hommes en charge ou en office, provisionnés ou établis à cet effet, soient à jamais proscrites.

Que les sommations, assignations, avenirs, significations, commandements, perquisitions, saisies tierces, saisies de meubles, de bestiaux et de denrées, de fruits non récoltés, de biens-fonds ou de droits réels ou personnels, et tous les autres exploits sous quelque dénomination qu'ils soient connus, faits par les huissiers, sergents, ou autres officiers chargés jusqu'à présent, de l'exécution des jugements, ne soient plus faits par écrit à l'avenir, et que tous les exploits seront remplacés par les publicatious, les affiches ou la presse, ainsi que par la libre communication des pièces dans les greffes.

Oh, Messieurs! que de branches gourmandes vous rendriez fructifères, si vous adoptiez ce plan! que de génies malfaisants, que de mains nuisibles, que de bras dangereux vous rendriez utiles et honnêtes, si vous les restituez à l'agriculture, aux arts et au commerce.

Mon âme s'élance dans l'avenir: je jouis du bonheur que vous allez assurer à la France par l'anéantissement de la chicane (1). Mes principes font connaître la simplicité de mon opinion sur l'organisation et la composition des tribunaux. Je vous supplie, Messieurs, de me permettre de vous l'exposer telle que mon cœur la désirait pour la ci-devant province d'Alsace; si elle trouve grâce à vos yeux, il sera facile de l'adapter aux autres départements.

La ci-devant province d'Alsace entière ne présentant pas une surface plus étendue que celle fixée pour un département, il ne devrait y avoir qu'un département divisé en quatre districts qui seraient Altkirch, Colmar, Strasbourg et Wissembourg; qu'il ne devrait par conséquent y avoir que quatre tribunaux (2).

(1) Vous avez coupé la racine d'une foule immense de procès par la suppression des droits féodaux, des dimes, etc... etc... Vous pouvez par cette raison seule diminuer de beaucoup le nombre des tribunaux et des juges.

(2) Voyez mon projet de décret concernant le clergé d'Alsace, du mois d'avril 1790, de l'imprimerie du sieur Pierres, premier imprimeur ordinaire du roi. Quelle

Animé des principes consolants que l'Assemblée nationale consacre par tous ses décrets, et touché de tous les inconvénients occasionnés par la multiplicité des petites justices, je fais les vœux les plus ardents pour qu'il ne soit établi dans la ci-devant province d'Alsace que quatre tribunaux, dans lesdites quatre villes, composés ainsi qu'il sera décrété par l'Assemblée nationale, et seulement cinq ou six juges dans chacun de ces districts, dans les endroits qui seront indiqués par les corps administratifs et fixés par l'Assemblée nationale.

Il est essentiel en Alsace que les juges et tous les officiers de justice sachent les langues française et allemande.

Pour mettre les hommes à couvert de la mauvaise foi ou de l'ignorance, il est nécessaire de laisser à tout témoin et à tout accusé interrogé la liberté de rédiger ou dicter ses dépositions et ses réponses dans sa langue; il est nécessaire aussi qu'elles soient écrites à mi-page et la traduction en français mise à côté.

Que les témoins ou les interrogés liront euxmêmes leurs dépositions ou leurs réponses, ou qu'ils les feront lire par leurs adjoints.

Près de chaque tribunal il y aura des notables de chaque profession choisis par le peuple, qui auront voix délibérative lorsqu'il sera question d'une affaire de leur état.

Il n'y aura point de juré en matière civile (1). Il sera fait des lois qui fixeront les clauses et conditions de tous les contrats, pour que les contractants n'aient d'autres écritures à faire faire que celle de nommer la nature du contrat qu'ils passent, et d'y mettre la date et leurs signatures.

Les lois n'auront d'autre objet que d'unir les hommes et de les attacher à leur bonheur réciproque et général.

La liste des jugements qui sera publiée et affichée dans chaque municipalité tiendra lieu de signification et de commandement; de sorte que si celui qui a été condamné n'y satisfait pas, le créancier n'aura rien autre chose à faire que de suivre ce qui est prescrit dans mon projet de réforme de l'administration de la justice, pages 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28, et il parviendra à son payement sans saisies, sans significations et sans frais, par la vente des meubles ou immeubles du débiteur, jusqu'à la somme à lui due: en exceptant cependant les choses spécifiées par le paragraphe VI de ce projet, page 22, qui ne peuvent pas entrer dans l'hypothèque, pour assurer une créance, ni sous aucun prétexte être enlevés au débiteur, à moins que ce ne soit pour leur prix en faveur de celui qui les aura vendues, auquel elles resteront affectées par privilège, aussi longtemps qu'elles seront reconnaissables, et qu'elles pourront être reprises sans causer de dommage. Si elles ne peuvent être reprises, quoique reconnaissables, sans endommager celles auxquelles elles auront été employées, le vendeur sera privilégié pour leur valeur pour autaut qu'elles auront augmenté le prix de la vente des choses auxquelles elles auront été réunies.

Je ne me suis pas dissimulé en rédigeant mon

dépense n'aurions-nons pas épargné à la ci-devant province d'Alsace, si nous n'y avions établi qu'un depar tement! Voyez aussi mon opinion sur cet objet, imprimé chez le même.

(1) Voyez dans mon projet de réforme de l'administration de la justice, imprimé chez Knapen en 1789, les autres moyens d'empêcher les procès et de terminer les différends qui pourraient en occasionner.

projet de réforme de l'administration de la justice, que s'il devait avoir lieu, l'état d'un grand nombre de personnes serait rendu nul par le fait, et peut-être cent mille familles seraient réduites à la misère.

Cette considération me touche d'autant plus vivement que je suis moi-même dans ce cas; mais voici mes principes :

Les législateurs nous doivent la justice; ils doivent nous la faire rendre avec le moins de frais, et le plus promptement possible. Tout citoyen est responsable du mal que le peuple souffre s'il peut l'empêcher tout comme il l'est du bien qu'il peut faire et qu'il néglige. Témoin continuel et souvent l'instrument forcé des maux causés par l'administration de la justice et l'exécution des jugements, je me suis livré depuis longtemps à des projets de réforme de nos ordonnances; j'ai eu l'honneur d'en remettre un à M. de Miromesnil en mains propres, en 1778, à peu près dans le goût de celui imprimé chez M. Knapen. Je demandais à être admis à en faire le développement et à répondre aux objections. Ma démarche étant restée sans réponse, je m'imposai silence.

Mais aujourd'hui que la nation a repris ses droits; mais aujourd'hui qu'elle vous a chargé d'assurer son bonheur par une bonne Constitution, je ne puis, sans trahir mon devoir, vous laisser ignorer tout ce que je crois être propre à y contribuer.

C'est le bien général qui fait l'objet de votre importante mission, un de ses objets est de rendre tous les hommes utiles, d'augmenter le plus qu'il est possible la masse du produit des terres, de l'industrie et du commerce, et d'assurer à chaque individu la tranquillité dans ses occupations; un homme qui fera croître deux épis de blé où cidevant il n'en venait qu'un, celui qui par sa main d'œuvre poussera à six livres le prix d'une livre de chanvre qu'on ne vendait qu'à trois livres, et celui qui en exportant cette même livre de chanvre façonnée, en retirera sept livres, voilà des hommes vraiment utiles, et un de ces hommes vaut plus à l'Etat que cent mille suppôts de la justice (1).

Non seulement ceux-ci ne produisent rien; mais tous leurs travaux ne tendent qu'à affaiblir les sources de la prospérité publique.

Si ces considérations vous déterminent à adopter le plan de réforme que j'ai l'honneur de vous proposer, ou tout autre que vous trouverez meilleur que le mien, la justice vous impose des devoirs indispensables envers les familles qui perdraient leur moyen de subsistance.

Chaque citoyen a le droit d'être nourri et entretenu par la société, s'il met dans la société sa part du travail ou des fonctions auxquels par sa naissance et son emploi il a été destiné.

Si, pour le plus grand avantage général, la société juge que ce travail ou ces fonctions lui sont inutiles, elle doit les réformer; mais elle ne peut

(1) Je suppose que par la réforme dans l'administration de la justice cent mille familles soient rendues à l'agriculture, aux arts et métiers et au commerce. Je suppose chaque famille composée de cinq personnes y compris un domestique; je suppose chaque famille composée de cinq personnes y compris un domestique; je suppose la journée ouvrable de chaque personne ne valoir que dix sols, cela fera un produit au profit de l'Etat de près de soixante millions: je suppose par contre qu'aujourd'hui chaque famille ne coûte à l'Etat que 1200 livres par an, ce qui fait 120 millions au lieu de 180 millions.

laisser dans le malheur le citoyen, qui, sous la sauvegarde de la justice, élevait sa famille dans des occupations et dans des sentiments propres à son état, et nullement fait pour les travaux d'un autre état elle doit le dédommager, soit en lui confiant d'autres emplois analogues à ses talents, soit en lui fournissant sa subsistance, et les moyens de continuer l'entretien de sa famille et l'éducation de ses enfants.

Chaque district se chargerait avec transport de cette dépense momentanée, si elle lui était présentée comme le prix de sa délivrance de la chicane et comme un impôt qui successivement diminuerait et s'éteindrait par les gages que le roi accordera aux officiers de justice, et qui sera infiniment moins désastreux que l'impôt de la chicane.

Je finis, Messieurs, et pour toute péroraison, je vous prie de me permettre de répéter:

Si vous ne garantissez pas nos habitants de la campagne de la chicane, vous n'aurez rien fait pour eux; et je conclus qu'il ne faut point de juré en matière civile.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. D'ANDRÉ.

Séance du mardi 28 décembre 1790, au matin (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin.

M. d'Estagniol présente à l'Assemblée une adresse de félicitation du tribunal du district de Sedan. En s'applaudissant de la commission honorable d'annoncer une installation qui le dépouille de l'office de grand-sénéchal; qui, après avoir été possédé par l'immortel maréchal de Faber, a été accordé à un de ses pères en récompense de ses services et à ceux de sa famille, il ajoute qu'il a détourné ses regards des sacrifices multipliés d'intérêt personnel, de fortune et de vanité que les circonstances exigent, pour se livrer avec transport au doux plaiFir de concourir, avec ses collègues, au bonheur de sa patrie.

(L'Assemblée, après avoir donné de justes applaudissements au patriotisme de ce membre, ordonne qu'il sera fait mention de cette adresse dans son procès-verbal.)

M. Varin, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, qui est adopté.

MM. Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun, Le Borlhe de Grandpré, curé d'OradouxSannois, et Montjallard, curé de Barjols, se présentent successivement à la tribune et y prétent le serment prescrit par le décret du 27 novembre dernier.

M. Gossuin, au nom du Comité de constitution. La commune de La Bresse, département des Vosges, par une exception dont il n'existe pas d'exemple, jouit, depuis plusieurs siècles, du droit de nommer les juges qui composaient le

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

tribunal auquel étaient soumises toutes les contestations que vous avez attribuées aux juges de paix; ils avaient même une compétence plus étendue, et ils rendaient gratuitement la justice.

La population de cette commune est de deux mille deux cents âmes; ses habitations sont isolés et éparses comme le sont celles d'un peuple pasteur; elles sont situées dans une contrée coupée par les montagnes les plus escarpées des Vosges, et inaccessibles dans une partie des saisons de l'année.

L'aisance, la paix dont jouissent ses habitants sont dues à l'exception dans laquelle ils se sont maintenus, que les princes de Lorraine ont toujours confirmée, actuellement devenue constitutionnelle. Ils demandent, Messieurs, de ne la point perdre; le département appuie ce vœu comme nécessaire à la prospérité de ces paisibles montagnards; le comité de Constitution propose à l'Assemblée nationale de l'accueillir: il est dans l'esprit de ses décrets; les habitants de la commune de La Bresse recevront avec joie ce bienfait de la Constitution.

Plusieurs départements vous demandent l'établissement de plusieurs juges de paix et tribunaux de commerce dans différentes villes. Je vous propose sur le tout le décret suivant :

« L'Assemblee naționale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, sur les pétitions des assemblées administratives des départements des Vosges, de Saône-et-Loire, de l'Ain, de la Mayenne, de l'Isère, de la Gironde, de l'Allier, de la Meuse, de la Loire-Inferieure, de la Sarthe, de la Haute-Loire, de la Dordogne, du Pas-de-Calais et du Loiret, décrète ce qui suit :

« La commune de La Bresse, département des Vosges, district d'Epinal, aura un juge de paix particulier.

Il sera nommé un juge de paix dans la ville d'Autun, deux dans les cantons des villes et bourg de Laval et de Mayenne.

Les limites de leurs juridictions seront déterminées par les assemblées administratives de leur département respectif.

« sera établi des tribunaux de commerce dans les villes d'Autun, de Vienne, de Libourne, de Moulins, de Bar-le-Duc, de Nantes, du Mans, du Puy, de Périgueux, de Bergerac, d'Arras, de Boulogue, de Calais et de Saint-Omer; les tribunaux de ce genre actuellement existants dans les villes où ils sont établis continueront leurs fonctions, nonobstant tous usages contraires, jusqu'à l'installation des juges, qui seront élus conformément au decret.

Ils seront installés et prêteront serment dans la forme établie par les lois, sur l'organisation de l'ordre judiciaire.

"

« Il sera nominé un sixième juge au tribunal du district d'Orléans.

La paroisse de Bussière-Poitevine, et la partie de celle du Pont de Saint-Martin, située sur la rive gauche de la rivière de Gardempe, département de la Haute-Vienne, sont unies et demeureront attachées au district de Bellac, en conformité de l'arrêté de l'assemblée administrative de département. »>

(Ce projet de décret est adopté sans discussion).

M. le Président annonce qu'il vient de recevoir une lettre de M. Delessart, qui lui fait passer copie d'une iction sur le décret de l'Assemblée nation de ce mois, qu'il a

remise sous les yeux du roi, qui l'a approuvée. (L'Assemblée a renvoyé cette instruction pour être déposée aux archives.)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi sur la police de sûreté, la justice criminelle et l'institution des jurés, présenté au nom des comités de Constitution et de jurisprudence criminelle.

M. Prugnon. Les deux principales questions sur lesquelles doit s'établir votre délibération sont celles-ci: 1° le juge de paix aura-t-il, dans tous les cas, le droit de donner un mandat d'amener contre un citoyen quelconque domicilié ou non ? 2° les dépositions faites par-devant les jurés seront-elles écrites ou non ?... Je ne sais pas comment les comités de Constitution et de judicature ont pu vous proposer de confier à l'homme à qui l'on n'a pas voulu attribuer le jugement des affaires au-dessus de 50 livres le droit d'arrêter un citoyen sans formalité préalable et sur la simple déclaration d'un dénonciateur, sans même le rendre responsable de l'illégalité de l'arrestation. Cet arbitraire est effrayant sans doute; mais je conçois bien moins encore comment on ose vous proposer de cumuler dans les mêmes mains, c'est-à-dire de donner à un officier de maréchaussée, les deux despotismes les plus terribles, le despotisme judiciaire et le despotisme militaire. Cet établissement, quoi qu'on en dise, aura toujours la physionomie de la tyrannie prévôtale. Montesquieu disait que le despotisme a cent bras; ici il est divisé à l'infiui. Peut-on rien concevoir de plus terrible à l'entrée de la justice que l'arbitraire de la police réuni au despotisme militaire ? Un citoyen, sur le dire et la declaration sommaire du premier dénonciateur et sur les caprices d'un juge de paix, pourra être incarcéré. Le coupable adroit échappera à toute cette filière que le comité vous propose. Le pouvoir d'arrêter sans preuves, sans présomption légale, sera une désolaute vexa

tion.

Les juges de paix en Angleterre ne ressemblent pas aux uôtres; non seulement ils ne sont pas salariés, non seulement ils out un territoire plus étendu et sont choi-is parmi les citoyens les plus éclairés, mais ils sout obligés d'avoir cent louis d'or de rente. S'il n'y avait des juges de paix que dans les villes, on pourrait peut-être

ur attribuer la même juri iction qu'en Angleterre; mais comment coufier sans danger un pouvoir aussi étendu à des juges de canton, à des juges de village? Qu'on ne dise pas que l'innocent aura tous les moyens de se justifier: le soupçon se lasse de l'incertitude; il se fixe sur la tête du citoyen accusé, il s'y attache. Les ennemis de l'innocent que ce soupçon accable ne mauquent pas de dire: Il a eu le bonheur de s'en tirer, enfin, ce citoyen reste toujours environné d'un nuage déshouorant. La loi doit non seulement économiser le sang de l'innocent, mais prévenir les arrestations illégales. Je conclus à ce que le juge de paix ne puisse faire arrêter les Citoyens domicilies que dans le cas de meurtre ou d'assassinat, et dans celui où un homine arrêté par le peuple serait trouvé muni d'effets volės.

Je passe à la seconde question, et je dis que les dépositions par-devant jurés doivent être écrites; sans cette formalité la démonstration des preuves est impossible. Si les jurés sont partagés sur le sens de quelques dépositions, s'ils veulent

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