Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Observations sur la propriété actuelle du PalaisRoyal.

M. d'Orléans possède le Palais-Royal, appelé anciennement Palais-Cardinal, et auparavant l'Hôtel de Richelieu, à la représentation de Philippe, fils de France, duc d'Orléans, son trisaïeul, frère unique. Louis XIV, qui l'avait cédé à ce prince par lettres patentes du mois de février 1692, en augmentation d'apanage, pour lui et ses hoirs males, après l'avoir eu comme ayant succédé au trône par le décès du roi Louis XIII, à qui le cardinal de Richelieu en avait fait don en 1636.

La possession du Palais-Royal par Philippe, fils de France, et successivement par Philippe, duc d'Orléans, son fils, qui fut régent du royaume, par Louis, duc d'Orléans, par M. le duc d'Orléans, dernier décédé, et par M. d'Orléans actuel, à titre d'augmentation d'apanage, est constante; ce qui embrasse un siècle, à deux ans près. La concession en augmentation d'apanage à Philippe de France, pour lui et ses hoirs mâles, est également certaine. Les lettres patentes qui la contienent furent enregistrées au Parlement. Elies apprennent que le Palais-Royal fut concédé à Monsieur, afin que le frère du roi et sa postérité masculine pussent y avoir un logement qui répondit à la grandeur de leur naissance; et comme on prévit que re palais serait encore insuffi-ant, il fut dit, que Monsieur pouvait y faire telles augmentations, améliorations ou décorations que bon lui semblerait; et qu'en cas de réversion ses héritiers en seraient remboursés par le roi.

Lors des lettres patentes, l'origine et la nature du Palais-Royal étaient parfaitement connues. Elles portent, en termes précis, qu'il avait été donné au feu roi par le cardinal de Richelieu ; et l'on ne peut douter que toutes les clauses de la donation furent examinées avec soin, et qu'on n'y trouva rien qui mit obstacle à ce que le roi disposât de ce palais à titre d'augmentation d'apanage, en faveur de Monsieur et de sa postérité masculine. Voyons cependant si l'on peut élever quelque doute à ce sujet.

Le cardinal de Richelieu ayant obtenu du roi la permission de faire à Sa Majesté la donation de l'hôtel de Richelieu, elle autorisa, le 1er juin 1636, M. de Bouthillier, suri tendant des finances, à en faire l'acceptation. L'acte contenant ce pouvoir, porte que Sa Majesté ayant agréable la très humble supplication qui lui a été faite par M. le cardinal de Richelieu, d'accenter la donation de la propriété de l'hôtel de Richelieu, au profit de Sa Majesté et de ses successeurs, rois de France, sans pouvoir être aliéné de la couronne, pour quelque cause et occasion que ce soit, à la réserve de l'usufruit dudit hôtel, la vie durant dudit sieur cardinal et à la réserve de la capitainerie et conciergerie dudit hôtel pour ses successeurs ducs de Richelieu; Sa Majesté a commandé au sieur de Bouthillier,conseiller en son conseil d'Etat et surintendant de ses finances, d'accepter, au nom de Sadite Majesté, ladite donation aux susdites clauses, et d'en passer tous actes néc ssaires, même de faire insinuer, si besoin est, ladite donation; promettant Sadite Majesté d'avoir agréable tout ce qui, par ledit sieur Bouthillier, sera fait en conséquence de la présente instruction. »

Le 6 du même mois, la donation fut faite. Il est dit dans l'acte, « que M. le cardinal de Richelieu donne à Sa Majesté sun hôtel de Richelieu,

sans autres clauses et conditions que celles qu'il a plu à Sa Majesté d'agréer et commander d'être insérées en la donation; savoir que M. le cardinal jouira, sa vie durant, de l'hôtel et de ce qui en dépendait; qu'après son décès, son principal héritier, duc de Richelieu, et ses successeurs ducs de Richelieu, seront à perpétuité capitaines-concierges dudit hôtel, et y auraient le logement qui leur sera désigné pour cet effet. »

Le même acte ajoute, « que l'hôtel de Richelieu demeurera à jamais inaliénable de la couronne, sans même pouvoir être donné à aucun prince, seigneur ou autre personne, pour y loger sa vie durant ou à temps; l'intention dudit seigneur cardinal étant qu'il ne serve que pour le logement de Sa Majesté, quand elle l'aura agréable, ses successeurs rois de France, ou de l'héritier de la couronne seulement, et non autre; ne s'étant porté à bâtir cette maison avec tant de dépenses, que dans le dessein qu'elle ne servira qu'à là première, ou au moins à la seconde personne du royaume, en faveur même duquel Sa Majesté ou ses successeurs ne pourront jamais disposer que de l'usage et habitation seulement. »

M. de Bouthillier, pour Sa Majesté, déclare accepter la donation aux clauses et conditions cidessus, en vertu du pouvoir qui lui en avait été donné, et qui fut annexé au contrat.

Après la mort de M. le cardinal de Richelieu, arrivée le 4 décembre 1642, Louis XIII prit posse-sion de l'hôtel de Richelieu, appelé alors le Palais-Cardinal.

Ce prince décéda au mois de mai 1643, Louis XIV, alors mineur, monta sur le trône, la reine régente quitia le Louvre, et fut, avec le roi, habiter Le Palais-Cardinal, qui, à cette époque, prit le nom de Palais-Royal.

En 1652, le roi étant retourné au Louvre, le Palais-Royal fut occupé par la reine d'Angleterre, et ensuite par d'autres personnes jusqu'en 1692, qu'il fut donné à Philippe de France, en augmentation d'apanage.

L'acte du 6 juin 1636 ne formait point d'empêchement à cette concession.

Les clauses qu'il renferme, et dont on pourrait prendre un prétexte pour avancer que Louis XIV ne put donner à Monsieur, en augmentation d'apanage, le Palais-Royal, peuvent se réduire à deux; l'une concernant la prohibition d'aliéner de la couronne l'hôtel de Richelieu, et qui contient l'expression du désir du cardinal, que cet hôtel fut habité par le roi ou l'héritier présomptif de la couronne, et l'autre qui réserve aux successeurs du cardinal de Richelieu, ducs de Rchelieu, la place de capitaine-concierge de l'hôtel, et un logement convenable pour cet effet.

Mais, d'abord, ces différentes clauses n'emportent point de condition proprement dite.

La prohibition d'aliéner de la couronne, n'est accompagnée d'aucune stipulation de retour au donateur ou à ses héritiers, en cas qu'on y contrevienne.

D'ailleurs, l'hôtel de Richelieu, au moyen de la donation faite au roi et à ses successeurs, rois de France, a été réuni dès l'instant au domaine royal. Le priuce, à qui cet hôtel a été donné en augmentation d'apanage, ne l'a possédé, et M. d'Orleans ne le possède encore maintenant que comme une portion de ce domaine, auquel la condition de réversion, à défaut d'hoirs mâles, le doit toujours faire considérer comme attaché.

Le désir du cardinal de Richelieu, que l'hôtel de Richelieu fût habité par le roi ou par l'héritier présomptif de la couronne, et non par d'au

tres, n'est qu'une destination qui n'oblige pas. C'est une simple invitation, et non une condition véritable.

Il en est de cette clause, comme de celles qui portent qu'un legs ou une donation sont faits en faveur de mariage, en faveur des études ou pour aider à marier, lesquelles n'empêchent pas que la disposition ne soit pure. « Je soutiens (dit un auteur (1), qui a fait un traité des donations, et un autre des dispositions conditionnelles, en parlant de ces sortes de clauses) que tant s'en faut qu'elles puissent rendre un legs conditionnel, qu'elles ne le font pas seulement dilatoire, et ne produisent aucun retardement en la donation, parce que ces clauses regardent seulement l'emploi et la destination des deniers, qui est une chose extrinsèque, et qui n'affecte pas la substance du legs, lequel se trouve parfait par les termes précédents. C'est une disposition pure et simple, accompagnée de cause, de motif, ou plutôt d'un simple avis pour employer le contenu au legs, suivant le vraisemblable besoin que le testateur a jugé lui être plus à propos, et n'emporte aucune nécessité en la personne du légataire; de sorte que, bien qu'il ne se marie pas, ou qu'il ne fasse pas ce qui lui a été indiqué par le testateur, le legs ne lui est pas moins dû, et lui ayant été payé, il ne peut pas être répété de lui.

Le même auteur (2) cite trois arrêts qui ont jugé en conformité du principe par lui posé.

De plus, ce n'est pas à celui à qui la donation a été faite, qui pourrait prétendre que la clause renferme une condition tacite de résolution, dans le cas où il aurait fait quelque chose qui y paraîtrait opposé. Ce ne serait que les héritiers du donateur; or, les héritiers de M. le cardinal de Richelieu ne se sont jamais plaints de ce que le désir du cardinal n'a pas été suivi. Ils ont gardé le silence depuis 1652, que Louis XIV cessa d'habiter le Palais-Royal, et ils le gardent en

core.

Quant à l'héritier présomptif de la couronne, il n'est pas donataire pour le cas où le roi ne voudrait pas habiter. C'est au roi seul que la donation est faite.

Le roi était, à la vérité, le maître de céder le Palais-Royal à l'héritier présomptif de la couronne, pour en faire sa demeure. Mais il a pu aussi le céder en apanage à son frère, dès que l'acte de don de 1636 ne contenait aucune clause irritante.

Quant à la place de capitaine-concierge réservée aux ducs de Richelieu, ils ne l'ont jamais réclamée, pas même après le décès du cardinal de Richelieu, quoique Louis XIV eût fait alors de l'hotel son habitation ordinaire.

En 1692, le droit des ducs de Richelieu était cené abandonné par cinquante ans de nonusage, et cet ab indon a été confirmé par le défaut de réclamation pendant quatre-vingt-dixhuit ans écoulés depuis.

Enfin, quand ce droit serait subsistant, il n'empêcherait pas que le Palais-Royal ne put être possédé, à titre d'apanage, surtout pour servir de logement aux descendants mâles d'un fils de France à,qui il a été accordé dans cette

vue.

Le Palais-Royal doit donc être considéré dans

(1) Ricard, Des dispositions conditionnelles, chapitre 2, numéro 43.

(2) Ricard, Des dispositions conditionnelles, n° 44, 45 et 46.

la maison d'Orléans comme une portion ordinaire du domaine de la couronne, donnée en apanage, avec cette différence cependant des autres portions de domaine qui avaient été concédées au même titre à Philippe de France, que la concession du Palais-Royal à eu un objet qui ne peut se remplir d'une autre manière, puisque c'était pour procurer à Monsieur, frère de Louis XIV, et aux princes descendants de lui, un logement qui répondit à la grandeur de leur naissance.

M. d'Orléans et ses auteurs ont regardé, en conséquence, le Palais-Royal comme devant servir à jamais de demeure aux princes de leur maison. Its y ont fait, non pas seulement des augmentations, amé iorations et décorations, mais des reconstructions qui sont telles qu'il ne reste plus de vestiges des bâtiments qui existaient, lorsque Philippe de France commença à en jouir. Les princes de la maison d'Orléans y ont, en outre, réuni plusieurs terrains, actuellement confondus avec ce qui composait autrefois l'hôtel de Richelien, indépendamment des réunions que Louis XIV y avait déjà faites.

Toutes ces dépenses vont au moins à vingtcin millions.

Si l'on ôtait le Palais-Royal à M. d'Orléans, la justice et l'équité exigeraient qu'il fût remboursé de cette somme.

Les lettres patentes de 1692 qui en font la loi pour le cas de réversion, les hoirs mâles venant à manquer, s'appliqueraient, à plus forte raison, à une dépossession forcée et inattendue. La nation, loin d'y gagner, y perdrait par conséquent beaucoup. Mais cette réflexion est surabondante. Le Palais-Royal a pu valablement être concédé à Philippe de France pour lui et ses hoirs mâles, pour leur servir de logement. Aucune clause de la donation faite de l'hôtel de Richelieu, par le cardinal de Richelieu, à Louis XIII, n'y mettait obstacle. La concession a été exécutée paisiblement et sans trouble pendant près d'un siècle, et par une suite nécessaire, là possession de M. d'Orléans est à l'abri de toute atteinte.

Réflexions sur la clause de la donation du PalaisCardinal, depuis Palais-Royal, portant que ce palais ne pourra être habité que par le roi ou l'héritier présomptif de la couronne.

Bien différente de ces conditions qui affectent les donations au point de vue d'en suspendre l'effet, une clause de cette espèce n'est pas même une condition, c'est une charge.

Quoique grevée de charges, une donation n'en est pas moins translative de propriété, de manière que, même avant d'avoir rempli l'obligation qui lui est imposée, le donataire peut disposer de l'objet de la donation.

Tel est le principe: « Comme, nonobstant la charge, dit Ricard, la propriété est d'abord transmise au donataire en vertu d'un titre légitime, il s'ensuit qu'il en peut disposer comme d'une chose qui lui appartient, et dont il est le véritable propriétaire (1) ».

Ainsi, quoique ne demeurant pas dans le Palais-Royal, Louis XIV en était le vrai et le seul propriétaire; et par conséquent, il pouvait, comme il l'a fait, en disposer en faveur de Monsieur, sou frère unique.

(1) Ricard, Des dispositions conditionnelles,chapitre IV.

.

Si quelqu'un pouvait demander que la charge imposée à la donation fût accomplie, c'était l'heritier du cardinal de Richelieu.

Mais cette action qui n'appartenait qu'à cet héritier seul, il ne l'a pas mise en activité.

La donation, de grevée qu'elle était par le titre de son établissement, est donc devenue pure et simple par le consentement de l'héritier.

Louis XIV, déjà maître de disposer, en vertu de l'acte de donation, le pouvait donc d'une manière encore plus absolue, en vertu du silence de la seule personne ayant qualité pour demander l'exécution de cet acte.

Mais inutilement, l'héritier aurait-il tenté de réclamer, tous ses efforts auraient échoué contre le principe, qui veut que la donation soit réputée pure et simple toutes les fois que la charge qui lui est imposée choque la liberté naturelle de l'homme, en obligeant le donataire de demeurer dans certains lieux.

Pour donner à ce principe toute la certitude dont une règle de jurisprudence est susceptible, il ne faut que rappeler quelques-unes des autorités qui l'établissent.

D'abord, c'est la disposition littérale des lois romaines, de ces lois dans lesquelles tous les peuples de l'Europe ont puisé les règles des conventions. Voici le texte :

Titio centum relicta fuerunt ut in illâ civitate domicilium habeat. Potest diei non esse locum cautioni per quam jus libertatis infringitur. (L. 71, § 2, ff. de conditionibus et demonstrationibus.)

« Si quelqu'un, dit Domat, a fait un legs, à condition que le légataire établirait son domicile dans certain lieu, cette condition étant contraire à la liberté juste et naturelle du choix d'un domicile, blesserait, en quelque façon, les bonnes mœurs et l'honnêteté. Ainsi, ces sortes de conditions n'obligent à rien, ainsi que celles qui sont naturellement impossibles, et elles sont tenues pour non écrites (1). »

Ricard, de tous les jurisconsultes français, celui qui a le plus approfondi cette matière, professe la même doctrine; et la raison qu'il en donne est qu'il y va de l'intérêt public de conserver la liberté des particuliers, puisque c'est le principal effet de la raison qui distingue l'homme des autres animaux (2) ».

[ocr errors]

A la suite du précepte, Ricard en présente l'application, en rapportant un arrêt du parlement de Paris, qui, dans l'espèce d'un legs fait par le testateur, de tous les biens qu'il avait dans les environs de la ville de Beaune, à l'aîné de ses neveux, à la charge par lui de de meurer dans cette ville, a adjugé les biens contenus dans le testament, à l'aîné des neveux du testateur, sans égard à la condition, et quoiqu'elle ne fût pas remplie.

Cet arrêt est du 3 juillet 1614.

I en existe beaucoup de semblables: leur énumération serait superflue. Nous en citerons néanmoins encore un du 24 juillet 1784.

Un parent de la demoiselle de Lorme lui avait léguée la terre de Cernay, à la charge de l'habiter, et que tout le temps qu'elle en serait absente, les fruits en appartiendraient aux pauvres de la paroisse.

L'intérêt si précieux des pauvres n'a pas fail trouver grâce à cette stipulation auprès des ma

(1) Lois civiles, livre III, titre 1er, section VIII. (2) Des dispositions conditionnelles, chapitre V, section II, n° 282.

gistrats. Attachés aux principes, ils l'ont rejetée; et la charge apposée dans le testament a élé expressément déclarée nulle, conformément aux conclusions de M. l'avocat général Joly de Fleury: ce sont les termes des auteurs de la derniére collection de jurisprudence, qui rapportent cet arrêt, et qui attestent en avoir vu la minute (1).

Si une pareille condition est nulle à l'égard d'un particulier, de quel ceil doit-elle être envisagée, lorsqu'elle est imposée à une donation faite à un roi, qui appartenant à la nation, dont il est le premier magistrat, ne peut avoir d'autre habitation que celle qui lui est indiquée par l'intérêt public.

Mais s'il faut effacer de l'acte de donation du Palais-Cardinal, la clause relative à l'habitation de nos rois dans ce palais, il ne reste qu'une donation pure et simple, et libre de toute espèce de charges.

Par conséquent, le Palais-Cardinal, en passant dans les mains de Louis XIII, est, à l'instant, devenu domaine public, et s'est fondu dans cette masse sans aucune espèce de distinction.

Rien, par conséquent, rien absolument ne s'opposait à ce que ce palais, comme toutes les autres parties du domaine, fut donné en apanage à un fils de France.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. PÉTION.

Séance du mardi 21 décembre 1790, au soir (2).

La séance est ouverte à six heures et demie du soir.

M. l'abbé Lancelot, secrétaire, fait l'annonce des adresses suivantes :

Adresse de félicitation, remerciement et adhésion de la société des Amis de la Constitution de la ville de Foix; ils supplient l'Assemblée d'accélérer la Constitution qu'elle a si glorieusement entreprise Qu'elle s'élève triomphante, disent-ils, et qu'elle verse des torrents de bienfaits sur ses amis et sur ses ingrats blasphémateurs!

Adresses des administrateurs du district de Tartas, et des juges du tribunal du district de Champlitte, qui consacrent les premiers moments de leur existence à présenter à l'Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement.

Lettre de M. de Béhagues, président du conseil supérieur d'administration, établi pour le régiment de Poitou, en garnison à Saint-Brieuc, contenant copie d'une lettre qui lui a été écrite par les sous-officiers et soldats de ce régiment, dans laquelle ils expriment la plus vive reconnaissance pour la bonté et la clémence du roi, et en même temps la soumission la plus entière aux décrets de l'Assemblée nationale, qu'il aura sanctionnés.

Lettre du président du directoire du département, séant à Perpignan, qui annonce que la plus grande tranquillité règne actuellement dans cette ville.

[blocks in formation]

M. Barrère, après avoir donné lecture d'une adresse de la veuve de J.-J. Rousseau, qui demande une pension alimentaire de 600 livres, dit: Vous avez décrété solennellement que les récompenses publiques pourraient devenir le partage des veuves des hommes qui ont servi la patrie, et j'ai l'honneur de vous présenter une adresse conforme à ces sages décrets. La veuve d'un homme célèbre vient réclamer aujourd'hui, auprès des représentants de la nation, des secours dans l'indigence qui la menace. Cette veuve est celle de J.-J. Rousseau; elle jouit de quelques modiques pensions qu'elle ne doit qu'au nom de son illustre époux'; mais ce ne sont là que des bienfaits précaires. Si les titres de ces bienfaits existent, elle ne les connaît pas; ces sources de sa subsistance peuvent tarir à chaque instant, et la laisser en proie aux angoisses du besoin.

C'est cette crainte qui lui fait implorer vos secours; et cette crainte est malheureusement justifiée par la perte d'un de ses bienfaiteurs, dont les enfants paraissent épuiser chaque jour la succession. J'entends déjà les clameurs de la calomnie. (Un grand nombre de voix : Ce n'est pas ici.) Elle a si longtemps tourmenté l'auteur du Contrat social, elle a si lâchement et si criminellement entrepris de remuer sa cendre, qu'elle ne pouvait pas sans doute épargner sa veuve. Cette femme respectable a été accusée d'avoir avili le nom célèbre de Rousseau dans les bras d'un second mari. C'est dans ce temple des lois qu'on doit venger la veuve du législateur de l'univers, trop longtemps calomniée. Non, elle n'a jamais manque à la émoire de Rousseau; elle ne voudrait pas changer le titre de sa veuve pour une couronne. (On applaudit.) Ce sont les propres expressions de sa sensibilité que j'ai recueillies, et que je n'ai pu entendre de sa bouche sans émotion.

[ocr errors]

J'en tiens dans les mains les témoignages authentiques, qui m'ont été remis de la part de MM. les curés d'Ermenonville et du Plessis-BelleVille, sur les paroisses desquelles elle demeure depuis son veuvage, en y donnant tous les jours l'exemple des bounes mœurs et de la bienfaisauce. Si j'avais besoin d'autres témoignages, j'invoquerais celui de Rousseau lui-même, dans une de ses lettres à M. Dubos, à Moutiers-Travers.

Elle a fait, dit-il en parlant de son épouse, elle a fait ma consolation dans mes mallieurs; elle me les a fait bénir; et maintenant, pour le prix de vingt ans d'attachement et de soins, je la laisse seule, sans protection, dans un pays où elle en aurait si grand besoin. Mais j'espère que tous ceux qui m'ont aimé lui transporteront les sentiments qu'ils ont eus pour moi; elle en est digne : c'est un cœur tout semblable au mien. » (On applaudit.) Athènes éleva la famille d'Aristide; que fera la nation française pour la veuve de J.-J. Rousseau ?... Je ne vous dirai pas qu'elle est vertueuse et indigente, et qu'elle est accablée du poids de sa douleur et de ses années. Vous êtes justes, vous êtes humains, et vous avez à cœur la gloire de la nation. Vous penserez peut-être qu'il Convient que la veuve de ce grand homme soit nourrie aux frais du Trésor public; mais il ne m'est pas permis d'oublier qu'elle a mis ellemême des bornes à votre bienfaisance; elle ne Veut accepter que la somme de 600 livres. (Un très grand nombre de voix : Ce n'est pas assez !) Je vous propose, en conséquence, le décret sui

vant :

L'Assemblée nationale, pénétrée de ce qu'elle

doit à la mémoire de J.-J. Rousseau, a décrété en faveur de sa veuve une pension viagère de 600 livres.» (Toute l'Assemblée applaudit.)

M. d'Eymar, député de Forcalquier (1). Qu'il me soit permis, Messieurs, en appuyant la motion de M. Barrère pour la veuve de J.-J. Rousseau, de vous rappeler celle que j'ai faite moi-même pour vous engager à honorer la mémoire de l'auteur d'Emile et du Contrat social. Je ne répéterai point ce que vous avez pu lire dans une feuille imprimée que j'ai fait parvenir à tous les membres de l'Assemblée. Je ne me permettrai dans ce moment qu'une seule réflexion.

Lorsque Rousseau, décrété par le parlement de Paris, rejeté même par sa patrie, qui lui refusait un asile, était réduit à traîner en pays étranger la vie errante d'un proscrit, il écrivait ces propres paroles :

« Oui, je ne crains point de le dire s'il existait en Europe un seul gouvernement éclairé, un gouvernement dont les vues fussent vraiment utiles et saines, il eût rendu d honneurs publics

à l'auteur d'Emile, il lui eût élevé des statues. Je connaissais trop les hommes pour attendre d'eux de la reconnaissance; je ne les connaissais pas assez, je l'avoue, pour en attendre ce qu'ils ont fait. »

C'est ainsi que dans l'amertume de son cœur devait se replier sur lui-même un homme injustement persécuté. Il devait chercher dans la conscience de ses intentions le dédommagement de notre ingratitude. La noble fierté de ses sentiments devait l'élever au-dessus de l'injustice dont il était la victime, lorsque, sous le règne du despotisme, personne n'osait élever la voix pour réclamer contre cette persécution. Aujourd'hui que, grâce à vous, il existe en France un gouvernement tel que Rousseau eût désiré de l'avoir pour juge, c'est devant ceux mêmes qui ont établi ce gouvernement que je sollicite avec confiance la réparation qui est due à la mémoire de JeanJacques Rousseau. Oui, j'ose l'espérer, dans le moment où la plus étonnante et la plus complète des révolutions s'opère en France par la seule force de la vérité et de la raison, lorsque dans cette grande et périlleuse entreprise vous n'avez d'autre appui que l'opinion publique, quelle reconnaissance ne devez-vous point à celui qui, en éclairant la volonté souveraine de la nation dont vous êtes les organes, vous a mis dans les mains les armes victorieuses avec lesquelles vous avez combattu le despotisme et assuré pour jamais nos droits et notre liberté? Je demande, au nom de l'honneur national, qu'après avoir donné un grand exemple au monde cette gloire soit encore réservée à la France, d'avoir, dès l'aurore de sa liberté, rendu les justes hommages qui sont dus à la vertu et au génie; d'avoir, à l'exemple des peuples anciens, honoré d'une manière digne d'elle et digne de lui l'homme immortel qui fut son bienfaiteur, ou plutôt celui du genre humain.

Voici mon projet de décret, amendé sur la motion de M. Barrère et sur les observations qui m'ont été faites par quelques membres de l'Assemblée :

L'Assemblée nationale, penétrée de ce que la nation française doit à la mémoire de Jean-Jacques Rousseau, et voulant lui donner dans la personne de sa veuve, un témoignage de la reconnaissance nationale, décrète ce qui suit:

(1) Voyez plus haut, page 127, séance du 29 novembre 1790, la motion de M. d'Eymar sur J-J. Rousseau.

« 1° Il sera élevé à l'auteur « d'Emile » et du « Contrat Social, une statue portant cette inscription : « La nation française libre, à JeanJacques Rousseau »; sur le piédestal sera gravé la devise: Vitam impendere vero.

« 2o Marie-Thérèse Leva-seur, veuve de JeanJacques Rousseau, sera nourrie aux dérens de l'Etat à cet effet, il lui sera payé annuell ment des fonds du Trésor national la somme de 1,2001.». (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.)

M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité des rapports sur l'affaire du 5 décembre à Perpignan.

M. Muguet-Nanthou, député de la HauteSaone (1). Messieurs, chargé au nom du comité des rapports, de vous rendre compte des événements arrivés le 5 décembre dans la ville de Perpignan, avant que de vous présenter ces affligeants détails, je dois, Messieurs, vous retracer succinctement les dispositions où étaient les esprits dans cette ville, et les craintes qui agitaient les administrateurs du département des Pyrénées-Orientales.

Le départ du régiment de Touraine avait laissé la garnison de Perpignan réduite au seul corps de Vermandois; une partie de ce régiment était destinée à la garde de la citadelle et à celle des villes de Monlouis et de Villefranche; l'autre, affaiblie par les congés, pouvait à peine suffire aux détachements fréq ents que le directoire du département était obligé d'envoyer pour assurer sur cette frontière la perception des impôts indirects, et s'opposer à l'exportation des grains.

La garde nationale dont une partie était divisée d'opinions, était insuffisante pour s'opposer au grand nombre de mécontents, dont l'audace augmentait chaque jour, et qui employaient ouvertement tous les moyens pour séduire et égarer le peuple.

Des officiers municipaux faibles, pour ne pas dire davantage, affectaient un silence coupable sur les abus de tous genres qui se commettaient Sous leurs yeux témoins des désordres, témoins des infractions continuelles faites à la loi, ils ne s'occupaient pas de les réprimer.

Tous ceux qui dans cette ville, attachés à l'ancien régime, regrettaient des abus ou des préjugés, les mêmes qu'il y a un an, s'étaient rasseinblés dans une église pour protester contre vos décrets, s'étaient réunis, y avaient formé entre eux une association redoutable, dans laquelle ils avaient entraîné un grand nombre d'esprits faibles; pour éloigner les soupçons qu'une pareille association devait excit r, ils s'étaient décorés du titre imposant d'amis de la paix et c'est sous ce nom trompeur qu'ils déguisaient les intentions hostiles que depuis ils ont manifestées.

Les prêtres ajoutaient encore aux inquiétudes que cette société inspirait. Pourquoi, ceux qu'un ministère saint appelle à donner l'exemple, comme le précepte de la soumission aux lois, se trouvent-ils si souvent mélés aux troubles qui affligent cet Empire? nous qui devions espérer de les voir les consolateurs de la patrie dans ses jours de deuil, par quelle fatali é faut-il que nous les rencontrions presque toujours au nombre de ses ennemis? L'intérêt de la religion m'ordonne de jeter un voile sur les torts de ses

(1) Le rapport de M. Muguet de Nanthou est incomplet au Moniteur.

ministres, et je ne vous détaillerai pas, Messieurs, tous les griefs que leur imputent les administrateurs du département; mais la vérité exige que je vous déclare qu'ils étaient forcés de les regarder comme les citoyens les plus opposés à la Constitution.

Telle était la situation critique de la ville de Perpignan les administrateurs du département ne se l'étaient point dissimulée; ils avaient reconnu qu'une force publique suffisante pouvait seule prévenir des malheurs; ils avaient solicité plusieurs fois do ministre l'envoi d'un régiment. Le ministre avait promis d'envoyer des troupes; mais les réclamations des administrateurs ont été sans succès, comme les promesses du ministre sans effet, et la garnison n'a pas été augmentée. Ils vous avaient fait part de leurs alarmes; le 3 de ce mois ils vous avaient envoyé une adresse, dans laquelle, en vous retraçant les circonstances que je viens de vous présenter, ils fai-aient entrevoir qu'ils craignaient que la ville de Perpignan ne devînt tristement fameuse par quelque catastrophe sanglante.

Leurs craintes malheureusement n'étaient que trop réelles, et les événements dont je vais vous faire le récit, les ont justifiées.

Le 5 décembre, à neuf heures et demie du soir, quelques habitants du faubourg entrèrent à la société des amis de la Constitution, dont l'accès était ouvert à tous les citoyens. Au moment où ils en sortaient, un d'entre eux, le sieur Gelis, fut atteint à la jambe d'un coup de fosil tiré de la maison où la société des amis de la paix était assemblée; ceux qui environnent le sieur Gelis, appellent au secours; ils s'approchent du lieu d'où le coup était parti; ils sont accablés de pierres, un second coup de fusil, tiré d'une des fenêtres de la même maison de la société des amis de la paix, atteint le sieur Corret, qui a la cuisse percée d'une balle. Les citoyens, indignés de se voir ainsi lâchement assassinés, courent aux armes de toutes parts on se rassemble; on environne la maison où étaient renfermés ces prétendus amis de la paix, qui avaient donné d'une manière si coupable le signal du carnage; des coups de fusil sont tirés de part et d'autre, plusieurs sont blessés. L'obscurité qui régnait alors, épargna sans doute des crimes et des malheurs, car il paraît, par les pièces adressées, qu'aucun n'a péri après plusieurs efforts les portes de cette maison sont enfoncées; l'on y trouve un grand nombre de fusils; l'on y arrête plusieurs personnes pour les soustraire à la fureur du peuple qui, ayant vu verser le sang des citoyens, voulait les venger on les conduisit dans la maison où le département tient ses séances, et où il y avait un poste de Vermandois. Au milieu de ces désordres qui durèrent toute la nuit, les officiers ne parurent point le maire Seul avec un officier municipal s'avança: il ordonna aux soldats de Vermandois de tirer sur le peuple ceux-ci déclarèrent que la loi martiale n'étant point proclamée, ils ne pouvaient exécuter cet ordre, et leur respect pour les formalités prescrites sauva peut-être la ville de Perpignan des plus grands désastres.

Le lendemain, le conseil du département se ras-emble; et, après s'être fait rendre compte des malheurs de la veille, et de l'inaction de la municipalité, il fait une proclamation pour rétablir la tranquillité publique et déclarer que tous les citoyens sont sous la sauvegarde de la loi, et que, fussent-ils coupables, la loi seule a le droit de les punir.

« ZurückWeiter »