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établis; je les invite à se rappeler qu'ils ont donné des éloges et des applaudissements à la mémoire des protestants qui ont quitté la France lors de la révocation de l'édit de Nantes, parce qu'ils ne voulaient pas se soumettre à cet édit. J'adopterais le principe que le législateur peut imposer aux fonctionnaires publics et aux salariés toutes les conditions qu'il juge convenables; mais sans détruire tout principe de justice, vous ne pouvez priver de leurs traitements ceux à qui ces traitements n'ont été donnés qu'en compensation d'une propriété. Les princes du sang ont un traitement, mais c'est une indemnité du patrimoine qui leur a été enlevé. (Il s'élève des murmures.) On ne soutiendra pas sans doute que les princes de la maison de France sont nés sans propriétés; on ne soutiendra pas que, si la nation n'avait pas voulu rendre le domaine indivisible et inaliénable, les princes n'eussent conservé chacun un domaine particulier; on ne soutiendra pas sans doute que les apanages soient une compensation égale de ces portions de domaines dont on les a privés. Les apanages ou les traitements qui les remplacent sont donc, entre les mains des princes, non pas un salaire, mais une propriété; ils doivent être soumis aux mêmes règles que les autres propriétés. Je pourrais ajouter une considération importante contre la proposition qui vous est faite de rappeler les princes; je ne ferai que l'indiquer seront-ils en sûreté dans ce royaume ? (Il s'élève des murmures.)

M. l'abbé Maury, s'avançant au milieu de la salle : Qui veut m'assurer de ma vie?

M. de Cazalès. Je crois pouvoir me dispenser d'entrer dans les tristes détails qui pourraient appuyer l'observation que je viens de faire. Je me contente de demander l'ajournement concernant les réfugiés français.

M. Le Deist de Botidoux. La question n'intéresse pas un grand nombre de citoyens; elle n'est pas constitutionnelle; on peut donc la traiter à présent. Tout le monde a le droit de quitter son pays et d'emporter sa propriété individuelle. Ainsi la question est simple les apanages sont-ils une propriété individuelle?

M. Barnave. Cette question ne doit pas être traitée en ce moment; je ne l'ai pas préjugée par le décret qui vous est proposé, puisqu'il n'y est question que de traitements et de salaires, et non pas d'apanages.

M. de Mirabeau. M. Botidoux vient d'avancer un principe qu'il a dit plusieurs fois n'être contesté par personne. J'en prends acte et je déclare que je le conteste.

M. Lafayette. Il est faux que les membres de la dynastie aient les mêmes droits que les autres citoyens. Quoique les projets des ennemis de la Révolution ne paraissent pas mieux conçus que leurs systèmes politiques, les désordres qu'ils excitent dans l'intérieur du royaume, les inquiétudes et les alarmes qu'ils produisent, tout me semble provoquer votre surveillance et votre sévérité; non que je craigne pour la liberté qu'une grande nation a acquise et que trois millions d'hommes défendent, mais, dans tous les cas, il est impossible que l'Assemblee ne s'occupe pas des propositions qui lui sont faites. C'est d'après

les principes mêmes de M. de Cazalès que je demande que le projet de décret du comité des recherches et l'amendement de M. Barnave soient adoptés. (L'Assemblée applaudit.)

M. d'Estourmel. Je demande la parole... D'après les propositions qui vous ont été faites, rien ne me paraît plus simple que d'aller aux voix.

(Une grande partie de l'Assemblée se lève pour demander qu'on aille aux voix.)

M. d'Estourmel. Je demande à être entendu. L'Assemblée ferme la discussion.

L'ajournement proposé par M. de Cazalès est écarté par la question préalable.

M. de Virieu. Vous ne pouvez pas obliger les citoyens à une résidence perpétuelle dans le royaume. Il est des français qui, soit pour leur santé, soit pour leurs affaires, ont été obligés de quitter le royaume. Par exemple, je connais un respectable vieillard qui vient d'aller chercher le soleil du Midi. Il est malade, il ne peut pas faire une lieue... Faites attention qu'on tend un piège à l'Assemblée, quand on lui propose des mesures attentatoires à la liberté individuelle. C'est précisément parce que ces français expatriés vous paraissent dangereux à la Révolution, qu'il faut bien se garder de les rappeler au milieu de vous. Je demande la question préalable.

M. de Mirabeau. Je ne puis m'empêcher de remarquer que le projet de décret qui vous est présenté relativement aux fugitifs dit trop, exige trop dans un sens, dit trop peu, exige trop peu dans un autre sens. Il y a trois classes de citoyens réfugiés les uns, de simples citoyens qui peuvent vivre où ils veulent; les autres, des fonctionnaires publics: ceux-ci doivent être privés de leurs salaires; enfin, les membres de la dynastie. Je ne vois pas qu'il soit de l'intérêt public de les rappeler en ce moment en France. J'ai entendu dire que les membres de la famille royale ne doivent pas être distingués des autres citoyens: je réponds qu'ils sont des privilégiés: la substitution à la couronne est une munificence de la nation qui les soumet à des charges auxquelles ne sont pas soumis les autres citoyens. Quand l'auguste chef de la nation a accepté notre Constitution, il a lié toute sa famille. Tous les membres de la dynastie doivent, à son exemple, jurer la Constitution, puisqu'ils sont appelés à la couronne. Je propose d'ajouter au projet de décret de votre comité la disposition suivante:

« L'Assemblée nationale déclare que les membres de la famille royale éventuellement appelés à succéder à la couronne sont tenus de jurer la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et déjà acceptée par le roi, et de prêter, en conséquence, le serment civique.

« Décrète que le roi sera prié de notifier la présente déclaration à MM. d'Artois, Condé et Bourbon, afin qu'ils aient à satisfaire à cette obligation dans un mois. »

M. Charles de Lameth. J'observe que la proposition du préopinant tient tellement à la Constitution qu'elle peut être regardée comme constitutionnelle elle-même. D'après cela elle ne doit pas être traitée dans une séance du soir; elle semblerait même, si les intentions de M. de Mirabeau n'étaient pas connues, avoir pour objet de détruire l'égalité des droits des citoyens. Je

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crois que son exposé manque de justesse. M. de Mirabeau vous a dit qu'il y avait dans le royaume des citoyens privilégiés. Non, il n'existe que deux hommes privilégiés, le roi et le dauphin. Vous avez déjà déclaré, par un décret solennel cette sainte et précieuse égalité publique. M. de Mirabeau lui-même vous a parlé avec justesse et énergie au moment où il s'est agi d'établir cette égalité. Je préfère donc le projet de décret de votre comité, en ce qu'il consiste à rappeler en France tous les fonctionnaires publics. Il faut que tous ceux qui ont des grades, des distinctions, qui sont déjà une fortune puisqu'elles portent aux grades supérieurs, rentrent dans leur patrie. N'est-il pas scandaleux que la plupart des lieutenants-généraux soient aujourd'hui occupés à nous susciter des ennemis dans les cours étrangères et que cependant ils jouissent encore du droit de venir prendre leurs rangs dans l'armée ? Je ne vous engagerai jamais à faire de votre puissance un usage trop rigoureux; mais il est temps que les ennemis de la patrie cessent de regarder Vos décrets comme illusoires.

Il faut que ceux qui ne s'y soumettent pas perdent au moins la considération dont ils jouissent. Quant aux princes, il n'y en a plus: M. de Mirabeau ne doit pas nous proposer pour eux des règles particulières. Il sait bien que vous avez repoussé la proposition qu'il vous fit au mois de juillet, relativement au ci-devant prince de Gondé. Il faut rappeler indistinctement tous les fonctionnaires publics et tous ceux qui vivent aux dépens de l'Etat. Il est temps de soulager le peuple des sacrifices qu'il ne cesse de faire pour ceux qui le trahissent et l'abandonnent. (On applaudit.) Je conclus en faveur de la motion de M. Barnave.

M. de Mirabeau. Je prends les mêmes conclusions, mais je demande que l'article que j'ai proposé soit ajourné à un jour très prochain. Le principe étant faux, selon moi, que tous les prétendants à la substitution de la couronne ne soient pas en ce sens des privilégiés, car ils sont une propriété nationale, je ne crois pas qu'une telle lacune doive rester sans être remplie. Quant à ceux qui me rappellent que a motion sur M. de Condé fut rejetée, je les invite à réfléchir et à considérer si cette motion décrétée alors ne nous aurait pas sauvé bien des inquiétudes et si ce que l'on propose aujourd'hui est autre chose que les débris, sinon les développements de ce que j'ai dénoncé.

(La proposition de M. de Mirabeau est renvoyée au comité de Constitution.)

L'Assemblée délibère successivement sur les divers articles du projet de décret du comité des recherches. Au moment où M. le président prononce l'adoption de l'article relatif au remplacement de la garnison de Lyon, M. Dillon observe que, bien loin qu'il n'existe aucune inculpation contre ces régiments, l'un d'eux (celui de Sonnemberg) a reçu des témoignages de satisfaction de l'Assemblée.

Sur cette observation, appuyée par M. Barnave, l'Assemblée ordonne le rapport de l'article, et décrète, sur la proposition de M. de Noailles, que le roi sera supplié d'ordonner, relativement à la garnison de Lyon, les mesures les plus propres à assurer la tranquillité publique.

Le décret en entier est définitivement adopté en ces termes :

DÉCRET.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de son comité des recherches, décrète ce qui suit:

Art. 1°r.

Elle charge son président de se retirer de vers le roi pour le prier de donner les ordres nécessaires pour que les sieurs Guillien, dit de Pougelon; d'Escars et Terasse, dit de Teyssonnet, soient transférés séparément et sous bonne et sûre garde, du château de Pierre-Scise, où ils sont actuellement détenus, dans les prisons de Paris.

Art. 2.

La municipalité de Lyon enverra incessamment au comité des recherches de l'Assemblée nationale tous les renseignements qu'elle aura pu se procurer sur la conspiration dont se trouvent prévenus lesdits sieurs Guillien, d'Escars et Terasse, ensemble leurs papiers.

Art. 3.

Le procès sera fait à ces particuliers par la haute-cour nationale, chargée de la connaissance des crimes de lèse-nation, ou par tel autre tribunal provisoire que l'Assemblée nationale jugera convenable.

Art. 4.

Le roi será prié de remplacer le sieur La Chapelle, commandant les troupes de ligne à Lyon, et de donner tous les ordres nécessaires pour le maintien de la tranquillité dans cette ville.

Art. 5.

Décrète que tous français, fonctionnaires publics, ou recevant des pensions ou traitements quelconques de l'Etat, qui ne seront pas présents et résidents dans le royaume, et qui n'auront pas prêté le serment civique dans le délai d'un mois après la publication du présent décret, sans être retenus dans les pays étrangers par une mission du roi pour les affaires de l'Etat, seront, par le seul fait, déchus de leurs grades et emplois, et privés de leurs pensions, appointements et traitements.

M. le Président. L'Assemblée se réunira demain dans ses bureaux pour la nomination d'un président. Les voix se sont divisées entre M. de Bonnay et M. d'Aiguillon, et il n'y a pas eu de résultat aujourd'hui.

MM. Bion, Armand (de Saint-Flour) et l'abbé Latyl, prêtre de l'Oratoire, ont été élus secrétaires en remplacement de MM. Castellanet, Salicetti et Poulain de Boutancourt, secrétaires sortants.

La séance est levée à dix heures du soir.

ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU 18 DÉCEMBRE 1790.

Opinion de Félix Faulcon, député du département de la Vienne, sur la clôture des travaux de l'Assemblée nationale (1).

Messieurs, un grand devoir m'appelle à cette tribune je veux vous proposer d'accélérer vos opérations, et de déterminer invariablement l'époque précise qui doit les voir finir.

Pour vous disposer à m'écouter avec indulgence, je pourrais vous parler de vingt mois déjà écoulés dans des travaux continuels, de toutes les peines, de toutes les inquietudes qui nous ont souvent poursuivis pendant le cours de cette longue carrière, et de cette tendance naturelle qui doit nous rappeler tous vers nos affaires, nos familles et nos amis que nous n'avons pas embrassés depuis si longtemps: sans doute, ce doit être là un besoin bien pressant pour nos cœurs; sans doute, il n'est aucun de nous qui, pendant une mission orageuse semée de tant d'ennuis et de contrariétés, n'ait tourné des regards d'attendrissement et de regret vers les lieux plus paisibles de ses habitudes journalières, vers les lieux où nous avons laissé les objets les plus chers et les plus douces jouissances... Mais je ne chercherai point à faire valoir ici des motifs d'intérêt personnel, qui toujours durent nous être étrangers, quand il s'agit de l'intérêt de cette Assemblée, et, j'ose le dire sans détour, de l'intérêt général du royaume.

Oui, Messieurs, il est de l'intérêt de cette Assemblée que nous fixions d'une manière authentique et irrévocable le terme de nos opérations... Vous le savez, des hommes malveillants que vous avez glorieusement aigris contre vous, en déracinant tous les abus et en fondant la liberté, n'ont point craint de nous reprocher et de faire répéter par le tas de libellistes obscurs qu'ils soudoient, que vous tendiez à vous perpétuer dans l'exercice de vos fonctions ils vous jugeaient d'après eux, Messieurs; ils pensaient, eux qui s'étaient maintenus avec impudeur dans la funeste possession d'accaparer toutes les places et toute l'autorité, ils pensaient, dis-je, ou du moins ils essayaient de persuader que vous ne voudriez pas abandonner le timon des affaires, qui avait été si longtemps prostitué dans leurs mains, et que vous avez victorieusement enlevé à leur insolente aristocratie.

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Il est temps, Messieurs, de montrer hautement à ces lâches ennemis de nos travaux, de montrer à la France entière, qu'en remplissant avec courage, dans des circonstances difficiles, les fonctions pénibles et delicates qui nous furent con

(1) J'avais écrit les pages suivantes, dans l'intention de les lire à la tribune; j'ai réfléchi depuis qu'une opinion pareille faite à l'improviste sur une matière isolée, pourrait être mal entendue et dès lors mal interprétée; j'ai donc mieux aimé la mettre sous les yeux de l'Assemblée par la voie de l'impression, et j'espère de messieurs du comite central qu'ils voudrout bien l'examiner attentivement et la présenter le plus promptement possible à la discussion. Cette opinion sera sans doute beaucoup mieux accueillie de leur part que de la mienne, puisqu'alors elle aura d'avance pour appui la sanction d'un comité et l'approbation supposée des membres éclairés qui le composent.

fiées, notre but unique a été le salut de la patrie, et non pas l'envie dangereuse d'acquérir pour nous-mêmes une puissance permanente : il est temps enfin de rentrer dans la carrière privée qui doit être notre partage, et après avoir fait des lois, d'y donner l'exemple constant de la soumission aux lois.

Je dis, en outre, avec franchise, qu'il est de l'intérêt général que nous accélérions nos travaux, et que nous en déterminions l'époque finale, afin que d'autres législateurs, plus unis et plus tranquilles, corrigent les fautes qui ont pu nous échapper à travers tant de troubles et d'intérêts divers, et qu'ils achèvent avec plus d'aisance et de rapidité les lois qui doivent compléter la régénération totale de cet Empire.

Il est trop vrai, Messieurs, et les archives de cette législature ne le manifesteront qu'avec trop d'évidence, que des sentiments et des passions contraires se sont placés souvent entre nous et les lois que nous voulions décréter.

Tel a été le malheur, et, je puis dire, la nécessité des circonstances... Les uns, fiers d'une domination abusive de plusieurs siècles, séduits encore par l'habitude et l'ascendan: des préjugés, n'ont pas voulu voir qu'il ne peut exister de prescription contre les règles éternelles de la justice, et ont cherché sans cesse à défendre avec opiniâtreté un ordre de choses qui était proscrit d'avance par la nature et par la raison : les autres, lassés enfin de leur long esclavage et de la foule d'abus innombrables qui pressuraient le peuple de toutes parts, ont redoublé d'efforts et de zèle pour refondre en entier une administration aussi vicieuse.

Il s'est nécessairement ensuivi de cette diversité d'opinions, que les délibérations continuellement croisées par des intérêts opposés, ont quelquefois laissé des taches légères sur les décrets qui en étaient le résultat: il faut donc que des hommes nouveaux, dégagés (s'il est possible) de toute prévention, et d'accord entre eux pour opérer l'utilité générale, viennent purger notre ouvrage de la lie que nos passions ont pu y déposer, et s'avantagent de leur concours unanime au bien commun, pour achever la législation française, avec cette plénitude de concorde et de bonne volonté que nous n'avons pas été assez heureux pour posséder.

A Dieu ne plaise, qu'en m'exprimant ainsi, je paraisse souhaiter que nos successeurs dérangent les bases de la Constitution que nous avons etablie! Non, sans doute, elles sont immuables ces bases, elles sout fondées sur des droits qui ne meurent jamais, sur des droits imprescriptibles des hommes et des nations.

Je peux bieu désirer, et tel en effet fut toujours mon vœu sincère et souvent manifesté, tel est aussi celui de tous les hommes purs et désintéressés qui veulent véritablement le bien saus ostentation comme saus amour-propre, je puis désirer, dis-je, que les législatures suivantes, éclairées par l'experience et le temps, ces premiers étais des bonnes lois, corrigent et améliorent plusieurs décrets réglementaires que la vehemence des discussions et la multiplicité de nos devoirs ne nous ont pas permis de perfectionner; mais la Constitution que j'ai jurée et la liberté qu'elle m'assure, sont et demeureront à jamais dans mon cœur, à côté des sentiments les plus chers de l'humanité et de la nature.

Je reviens à mon sujet, et je dis qu'il ne faut pourtant pas précipiter tellement la fin de nos travaux, que nous nous enlevions à nous-mêmes

le temps nécessaire pour poser les dernières pierres de notre Constitution; non, Messieurs, cette motion serait aussi daugereuse qu'inconséquente, et je vous exhorte à travailler encore pendant trois mois, et même pendant quatre, si vous le jugez nécessaire, de manière que vous ne finissiez vos travaux que le dernier jour de mars ou d'avril au plus tard: commençons donc par fixer cette époque désirée, occupons-nous ensuite avec une ardeur persévérante des opérations qui ne peuvent se remettre, et le reste, nous le placerons dans les mains de nos succes

seurs.

Il est encore une autre précaution bien essentielle à prendre; il faudra souger bientôt à convoquer les électeurs et les faire procéder, au moins un mois d'avance, à la nomination de ceux qui doivent nous remplacer, afin qu'ils nous suivent immédiatement dans l'exercice des fonctions que nous devons leur abandonner.

Peut-être, Messieurs, ces observations et les précédentes offenseront-elles quelques vues particulières, peut-être me reprochera-t-on de n'avoir consulté que moi dans la proposition d'un projet de cette importance; mais je me suis mis, dès longtemps, au-dessus de considérations pareilles, et quand je me sens soutenu par l'assentiment de ma conscience, je ne crains plus de témoigner ouvertement ma manière de penser: d'ailleurs, j'achèverai le cours de nos travaux politiques, sans avoir jamais appartenu à aucun club, ni à aucune association, et quoique j'aie l'estime la plus véritable pour la plupart de ceux qui composent quelques-uns de ces clubs, j'ai cru dans tous les temps, qu'en m'abstenant d'y paraître, mon opinion absolument dénuée d'impulsions étrangères, serait plus frauche et plus à moi; ainsi je n'ai pas été à même de prendre des éclaircisse nents préalables pour savoir quelles pourraient être les intentions de cette Assemblée relativement à la motion que je fais n'importe, je manifeste la mienne; je la crois juste, je crois son exécution indispensable, et dès lors rien n'a dû m'empêcher de in'exprimer avec cette vérité indépendante, qui convient à mes principes et au caractère dont je suis revêtu.

Qu'il sera beau, Messieurs, le dernier jour de nos travaux, pour tous ceux qui, dirigés constamment par l'amour du bien, n'ont pu perdre de vue, à travers toutes les traverses qui les agitèrent si longtemps, le calme et l'aimable obscurité de la vie privée !

Qu'il sera beau ce jour où, réunis sous les yeux de l'Eternel, dans l'un des premiers temples de cette capitale, le roi, cet excellent monarque, dont le nom sera toujours béni dans cet Empire, les législateurs actuels et les membres de la législature suivante renouvelleront le serment authentique et sacré de maintenir la liberté et la Constitution!

Ah oui, cette journée mémorable servira de pendant à celle de la confédération générale du 14 juillet; ces deux époques, tout à fait neuves l'une et l'autre dans les fastes de tous les pays et de tous les temps, seront immortelles dans les annales de notre histoire; et leur souvenir, lié de si près à celui des derniers efforts du despotisme et de la conquête de la liberté, demeurera éternellement gravé dans tous les cœurs français.

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, voulant annoncer d'a1re SERIE, T. XXI.

vance au royaume entier l'époque où elle finira ses travaux, et procéder sans délai à l'achèvement définitif de la Constitution, a décrété ce qui suit:

Art. 1. Le 30 mars prochain sera le jour irrévocablement fixé pour la clôture des séances de la législature actuelle.

Art. 2. Le comité central fera sous huitaine son rapport sur la détermination des travaux indispensables qu'il faudra faire d'ici à cette époque.

Art. 3. Le comité de Constitution présentera incessamment un mode de convocation, afin que les membres de la législature prochaine puissent être nommés dans le courant du mois de février.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. PÉTION.

Séance du dimanche 19 décembre 1790.

La séance est ouverte à onze heures et demie du matin.

M. Poulain de Boutancourt, secrétaire sortant, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, samedi, au soir.

Ce procès-verbal est adopté.

M. le Président. J'ai reça de M. le maire de Paris une lettre dont je donne connaissance à l'Assemblée.

Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous prévenir que la municipalité a fait hier l'adjudication de trois maisons nationales situées :

La première, rue Saint-Denis, louée 1,200 livres, estimée 17,000 livres, adjugée 44,100 li

vres;

La deuxième, petite rue de Nevers, louée 1,425 livres, estimée 17,000 livres, adjugée 33,500 livres;

Et la troisième, rue de la Mortellerie, louée 1,721 livres, estimée 29,000 livres, adjugée 45,300 livres.

Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. BAILLY.

M. d'André. Messieurs, il est douloureux, quand on a à gémir sur les maux de sa patrie, à pleurer la mort d'un ami, d'être obligé de parler de soi cependant, permettez-moi de vous entrenir un moment. Les bontes dont vous m'avez comblé me sont un sûr garant de votre indulgence.

M. Pascalis prononça, le 27 septembre, au par lement au nom des avocats, un discours dans lequel il témoignait de la manière la plus énergique son attachement pour les tribunaux que Vous avez supprimés et ses regrets pour l'àncienne constitution de Provence.

Ce discours fut dénoncé au comité des recherches par le département; de son côté, la municipalité informa contre M. Pascalis et le décreta d'ajournement..

M. Pascalis qui avait pris soin de ma jeunesse, auquel je dois, peut-être, l'honneur de siéger parmi vous, parce que c'est peut-être à son exemple que je dois la franchise, la fermeté et

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l'amour du travail qui m'ont valu, sans doute, le titre de représentant de la nation; M. Pascalis qui avait plus fait pour moi, en me donnant une femme qui fait le bonheur de ma vie, M. Pascalis crut qu'il trouverait en moi un défenseur, et il ne se trompait pas, car jamais je ne connus l'ingratitude.

Il m'écrivit en m'envoyant le discours qu'il avait prononcé; il me disait qu'il croyait avoir le droit d'exprimer librement ses opinions pourvu qu'il obéît aux lois; que l'Assemblée avait reconnu ce droit et qu'il en avait usé; qu'il n'avait point protesté contre les lois nouvelles; il se plaignait du département et de la municipalité; il assurait qu'il désirait être mandé pour parler à l'Assemblée avec la liberté d'un Français; il finissait par me dire qu'il s'attendait que je ne le laisserais pas condamner sans parler en sa fa

veur.

A la réception de cette lettre, je fus effrayé. Je connaissais l'opiniâtreté de M. Pascalis, son ton libre, fier, indiscret, et quelquefois emporté; je connaissais le caractère des habitants de notre brûlant climat; je connaissais la faiblesse des corps administratifs; je prévis tout ce qui pouvait arriver. Je tormai d'abord le projet d'attirer M. Pascalis à Paris; j'écrivis à tous ses amis pour cet objet; plût au ciel qu'il eût suivi mes conseils; ma patrie aurait un crime de moins à se reprocher.

Je répondis donc à M. Pascalis la lettre suivante, dans laquelle vous verrez les ménagements que je devais à un homme qui avait trente ans de plus que moi et auquel j'avais tant d'obligations. Vous y verrez aussi le peu de cas que je faisais de certains corps administratifs de Provence; Vous y verrez enfin le désir que j'avais d'attirer M. Pascalis à Paris. Le patriotisme des habitants de cette immense cité, le zèle infatigable de la garde nationale, m'engageaient à lui promettre ici la plus parfaite sécurité.

Voici ma réponse extraite des copies qu'on a envoyées, car comme ma lettre était de pure confiance, je n'en avais pas gardé de minute en mon pouvoir :

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Quoique je ne puisse approuver, Monsieur, dans les circonstances actuelles (1), le discours que les avocats ont prononcé au parlement par votre bouche, la reconnaissance et l'amitié me font un devoir de vous defendre dans cette affaire; j'espère empêcher que le rapport n'en soit fait par le comité des recherches, auquel elle a été renvoyée, mais s'il en parle à l'Assemblée, je ne négligerai rien pour qu'elle n'ait aucune suite; votre courage ne m'étonne pas, il est digne de vous; mais vous ne concevez pas les désagréments que vous essuieriez si celá était poursuivi, je suis très aise cependant que le département vous ait dénoncé à l'Assemblée, car puisqu'on ne peut être poursuivi par deux tribunaux, cela vous mettra à l'abri des vexations qu'aurait pu vous faire essuyer la municipalité ou le département (2). Ces corps nouveau-nés font claquer

(1) J'ai toujours pensé que chaque citoyen avait le droit imprescriptible d'énoncer librement son opinion; mais je pense aussi, que, dans les circonstances actuelles, c'est-à-dire dans un moment de révolution, c'est un devoir d'obéir en silence aux lois et de ne pas exciter de fermentation par des discours opposés à la Constitution française.

(2) On a voulu faire croire que j'avais inculpé tous les corps administratifs du royaume. Ma phrase est pourtant claire et il est bien évident que je n'ai voulu parler que de quelques corps administratifs du dépar

leur fouet tant qu'ils peuvent et ils ne demanderaient pas mieux que de yexer un honnête homme.

« Vous ne devez pas douter du plaisir que ma femme et moi, nous aurions de vous voir, ainsi que Mignard (1). Aussi je serais tenté, pour vous décider à faire le voyage, à conclure à ce que vous fussiez mandé; mais prévenez le mandement ou supposez-le, venez nous voir. Vous trouverez ici la tranquillité la plus parfaite et je puis vous assurer qu'il n'y a aucun pays dans le monde, où on vive plus à l'abri de toutes vexations' particulières.

«Au reste, les affaires vont à l'ordinaire, c'està-dire assez mal (2); nous n'avançons pas ou peu et nous sommes enfin venus au moment difficile c'est-à-dire aux impositions. Les économistes et les théoriciens se sont emparés de cette partie et on ne veut pas écouter les habitants des provinces qui s'imposent elles-mêmes et qui, par conséquent, avaient une pratique toujours supérieure à la théorie.

«La guerre avec l'Espagne est à peu près décidée à Londres pour nous; je ne crois pas qu'avec l'insurrection de notre flotte, nous puissions jouer un rôle; nous sommes réduits à la plus honteuse nullité.

« Adieu, Monsieur, conservez-moi toujours quelque part dans votre amitié; je la mérite par l'attachement inviolable que je vous ai voué.

« 12 octobre 1790, »

Voilà, Messieurs, ce que j'écrivais, dans la plus intime confidence, à un second père, que je voulais retirer du précipice où pourraient le plonger sa fermeté, son impétuosité et la malice de ses ennemis.

Eh bien, Messieurs, cette lettre dans laquelle les honnêtes gens ne verront rien de blâmable, cette lettre qui devait mourir avec mon malheureux bienfaiteur, cette lettre a été prise dans les papiers de M. Pascalis, et, sans égard pour le secret dont vous avez reconnu si souvent l'inviolabilité, elle a été adressée, je ne sais par qui, à plusieurs députés.

Je suis loin de vouloir réclamer ici, comme j'en aurais le droit, que ces copies ainsi que l'original me soient rendus; que ceux qui se sont permis cet attentat soient punis. On ne me verra jamais chercher à cacher ma conduite dans les ténèbres, je veux la produire au grand jour, je veux être jugé, mais je demande que mes dénonciateurs le soient aussi.

Je pourrais vous demander encore d'entrer surle-champ, moi-même, dans l'explication de ma lettre; je pourrais, en justifiant chaque phrase, solliciter un décret, qui punît ceux qui ont viole le secret des lettres, et déclarât qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre moi; mais je ne cherche pas à vous surprendre; je demande un examen attentif et le rapport d'un comité.

Je conclus, Messieurs, à ce que la copie, que je remets sur le bureau, soit renvoyée au comité des recherches, qu'il soit enjoint à ceux qui ont

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