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environné de murs très élevés. Son enceinte, qui est de cinq à six lieues au plus, est gardée par un grand nombre d'employés et par des troupes destinées à ce service; comparez cet espace à la circonférence immense de la France. Considérez l'étendue de ses côtes, le prolongement des montagnes qui la bornent du côté des Alpes et des Pyrénées, les forêts qui forment au nord-est une partie de son enceinte, réfléchissez à la facilité de tromper la vigilance ou de corrompre la fidélité des commis épars autour d'une si vaste circonférence, et vous serez convaincus de l'absurdité du système prohibitif qui vous est proposé. Nous sommes entourés de la Flandre, de l'Allemagne, de la Suisse, de la Savoie, de l'Espagne; les habitants des frontières ont dans l'étranger des terres limitrophes de celles qu'ils ont en France. Réciproquement les étrangers ont des possessions qui se touchent sur les deux territoires; les uns et les autres ont des voisins, des amis, des parents, des frères sur les deux dominations. Quelles lois, quelles forces humaines pourront les empêcher de se concerter pour l'introduction d'une quantité immense de marchandises? Les gardes nationales sont composées de citoyens, habitant des frontières, et ce sera leurs parents ou leurs amis qui seront intéressés à la fraude. Les classes inférieures du peuple, dont les besoins sont journaliers et si persistants résisteront bien difficilement à l'appât d'un bénéfice de 20 ou 30 0/0. Enfin, j'accorderai, si l'on veut, que tous les Français auront assez de vertu et de patriotisme pour renoncer à la contrebande, mais elle sera faite par les étrangers qui seront conduits par des motifs entièrement contraires, et qui ne consulteront que leur intérêt; déjà plusieurs contrebandiers étrangers attendent la proie que le comité leur prépare, et le tarif des droits qui vous est proposé leur promet une abondante moisson.

Des droits bien moins considérables ne pourraient se soutenir, sans des inquisitions, sans des peines très sévères. Votre comité, qui sait combien ces lois rigoureuses sont contraires à vos principes, ne vous les propose pas, et cependant, par une contradiction singulière, il vous présente un tarif de droits trois ou quatre fois plus forts qu'auparavant. Comment donc peut-il espérer d'en maintenir la perception? Quelques suppôts de la fiscalité se sont procurés, sans doute, l'entrée des bureaux de votre comité, ils y ont versé leur venio, ils y ont exercé leur maligne influence. Sous le spécieux prétexte de l'intérêt des manufactures nationales, ils ont fait adopter le regime prohibitif, afin qu'il restât au moins un dernier pilier de l'edifice détruit de la ferme générale; ils ont pensé que l'Assemblée nationale, ne pouvant pas se procurer des états exacts sur les exportations et sur les importations, pouvant difficilement connaître et comparer les véritables intérêts de nos manufactures, n'ayant pas assez de temps libre pour entrer dans des détails minutieux, s'eu rapporterait à son comité de commerce et sanctionnait, sans difficulté, le tarif qui lui serait présenté surtout si on écartait d'elle l'idée des visites domiciliaires. Cepeudant la machine sera montée, de nouvelles barrières seront elevées, des cominis en grand nombre seront placés aux frontières; dès la seconde législature on s'apercevra d'une fraude énorme, des produits très faibles couvriront à peine les frais. Alors les employés du fisc declareront qu'ils ne peuvent la prevenir sans des visites domicilaires et sans un code pénal très rigoureux. Déjà

ils espèrent que la seconde législature, considérant les grandes dépenses qui auront été faites, fléchira sur les principes et consentira à de plus grandes rigueurs, qui seront successivement aggravées par les autres législatures. Telle est la route ténébreuse, dans laquelle on veut vous entraîner; c'est exactement la marche qui a été constamment suivie par les ministres d'Angleterre. A force de gêne et d'entraves dont ils ont accablé le commerce et les manufactures, ils sont parvenus à enlever au peuple une grande portion de sa liberté.

Je vous dénonce de si coupables desseins; je me persuade que votre comité ne les a pas connus; car son devoir eût été de les repousser avec horreur.

Interrogez, Messieurs, tous les agents du fisc, les fermiers, les régisseurs; qu'ils disent s'il est possible de maintenir des prohibitions et des droits prohibitifs, sans des inquisitions, sans employer les cachots, les galères et la mort même. On ne vous présentera pas ce code de sang, parce qu'on sait qu'on le ferait en vain; on le réserve pour les législatures qui vous suivront.

Je me trompe, Messieurs, en vous disant que le comité ne vous propose pas des visites domiciliaires; par les articles 37 et 40 du titre 14, il donne formellement le droit de recherche et de visite aux employés, dans les trois lieues de frontières. Et comment sera-t-il possible d'exécuter ces dispositions surtout dans les départements du Haut et Bas-Rhin, de la Meurthe, de la Meuse et de la Moselle, qui ne connurent jamais ces lois inquisitoriales, et qui, sous l'ancien gouvernement, étaient parfaitement libres pour leur commerce?

On va plus loin encore; par l'article 38 il est défendu à tous les habitants domiciliés dans les campagnes de trois lieues des frontières, d'y tenir aucun magasin ni entrepôt de marchandises sujettes aux droits ou prohibées; ainsi deux millions d'hommes peut-être, qui demeurent dans cette étendue de trois lieues, vout être privés de leurs droits les plus sacrés, ceux d'user de leurs facultés, et de se livrer aux divers genres d'industrie permis à tous les autres Français, comme si ces droits n'étaient pas imprescriptibles; comme si la loi pouvait être inégale pour une portion des habitants du même Empire. Mais avons-nous le pouvoir de leur enlever ces droits naturels que nous avons tous juré de maintenir? Et c'est à vous, les fondateurs de la liberté et de la Constitution, à vous qui avez proclamé l'égalité des droits, qu'on ose proposer de les enfreindre d'une manière aussi formelle !

Ainsi le régime réglementaire des ministres reparaîtra bientôt parmi nous, en virouné de plus d'entraves et de formalités que jamais; et pourquoi donc tant d'efforts! Pour obtenir un produit de 8 à 10 millions; votre comité l'a porté à 20 millions; mais des calculs très exacts le réduisent à 14 ou 15 (1), sur lesquels il faut déduire au moins 6 millions de frais.

Voici, Messieurs, un raisonnement très simple auquel le comité n'a certainement fait aucune attention ou bien les marchandises que l'on veut probiber sont recherchées, et consommées en France, ou elles ne le sont pas; si elles sont recherchées, elles entrerout malgré la prohibition;

(1) Je n'y comprends pas les denrées coloniales, ni les marchandises de l'Inde; il n'en est pas question dans le tarif.

si elles ne le sont pas, la prohibition est inutile.

Et qu'on ne dise pas que les bons Français se réuniront et se ligueront entre eux, pour ne porter aucune étoffe étrangère; les gens les plus connaisseurs, les marchands même auraient bien de la peine à distinguer les étoffes des différents pays de l'Europe. Comment des particuliers, qui ne font pas leur état du commerce, pourraient-ils les reconnaître? Serait-il prudent aussi d'avertir les autres nations de faire chez elles les mêmes conventions?

Je soumets à votre comité lui-même une dernière considération qui lui a échappé. Si les marchandises étrangères sont prohibées, ou grevées de 20 et 30 0/0 de droits, tandis que les marchandises anglaises entrent librement en payant 10 ou 12 0/0, n'est-il pas évident qu'on trouvera les moyens d'introduire, comme venant d'Angleterre, toutes les marchandises étrangères?

Puisque toutes les précautions seraient vaines, puisque les lois prohibitives seraient sans effet ou éludées; il ne reste donc d'autre parti à prendre, que de renoncer aux prohibitives et aux droits prohibitifs.

A présent, Messieurs, je vais examiner si les lois prohibitives seraient avantageuse à notre commerce et à nos manufactures, si elles sont nécessaires à leur prospérité.

Pour juger des effets des prohibitions sur notre industrie et nos manufactures, il faut nécessairement se former une idée de nos relations étrangères et connaître en quoi consistent nos importations et nos exportations. Outre les notions particulières, que j'ai rassemblées depuis longtemps sur le commerce extérieur de France, j'ai cru devoir me procurer des renseignements certains au bureau général des traites, et c'est le résultat de toutes ces recherches que je vais vous offrir.

Nos exportations consistent :

1o Dans tous les objets de notre industrie, dans les produits de nos fabriques et de nos manufactures. La valeur totale en est de près de 120 millions;

2o Dans les divers produits de notre sol, comme vins, eaux-de-vie, huiles, fruits secs, plusieurs matières premières, qui ensemble s'élèvent de 60 à 70 millions;

3o En denrées coloniales, dont nous exportons pour 120 millions environ;

4o En charbon de bois, engrais, et quelques matières premières qui forment 1 à 2 millions.

Le comité prohibe la sortie des objets de cette dernière classe, la somme en est si peu importante qu'elle ne vaut pas la peine que vous vous en_occupiez.

Toutes ces exportations réunies montent de 300 à 312 millions.

Les importations se divisent en cinq classes.

La première comprend toutes les matières premières que nous tirons pour nos manufactures et nos fabriques, les soies de Chine et d'Italie, les bois de constructions et tous les autres approvisionnements nécessaires à la marine. Tous ces objets sont évalués à 130 millions, et sont presque tous exempts de droits.

La deuxième classe est composée des productions du sol, de charbons de terre, de métaux non ouvrés, d'huiles d'olive, fruits secs, savons de Marseille, drogueries, épicerie, chairs et beurres salés, vins de liqueurs.

Tous ces objets reunis sont estimés à 60 millions environ.

La troisième classe comprend les marchandises de l'Inde et de la Chine, qui peuvent monter de 20 à 25 millions; ces deux classes de marchandises sont taxées à des droits plus ou moins considérables.

La quatrième consiste dans les produits des manufactures et dans les ouvrages des fabriques qui se montent à 45 millions environ; c'est cette quatrième classe que le comité vous propose ou de prohiber ou d'assujettir à des droits de 15 à 40 0/0, que l'on peut regarder comme prohibitifs.

La cinquième classe comprend les matières d'or et d'argent, que nous recevons presque uniquement de l'Espagne et du Portugal, et qui forment le solde de nos ventes à l'étranger; nous en recevons annuellement pour 40 et 50 millions. Cet aperçu, Messieurs, vous donne le tableau de toutes nes relations extérieures de commerce; il présente en faveur de la France une balance très avantageuse; elle s'est constamment soutenue à 40 et 50 millions au moins jusqu'au commencement de 1789; depuis cette époque elle a été sensiblement dérangée par plusieurs causes qui vous sont connues, telles que des achats considérables de grains, les remises faites aux fugitifs, les ventes des effets publics que les étrangers ont faites par inquiétude; enfin, les pertes que nous avons éprouvées sur les changes; deux de ces causes ne subsistent plus, et il y a tout lieu d'espérer que la Constitution s'affermissant de plus en plus, les deux autres cesseront bientôt et que le commerce de France ne tardera pas à reprendre son ancienne prépondérance.

Avant 1789, malgré les entraves dont le gouvernement avait embarrassé notre industrie, la prospérité de notre commerce avait toujours été en croissant.

La fertilité du sol de la France, l'industrie de ses habitants, la richesse de ses colonies lui ont acquis depuis longtemps une supériorité décidée sur presque tous les peuples.

Si elle reçoit des autres nations pour 40 à 50 millions d'ouvrages manufacturés, elle leur en fournit pour 120.

C'est avec ses manufactures et les productions de son sol, qu'elle achète de ses colonies l'immense quantité de denrées qu'elle en reçoit, c'est ensuite avec ses denrées coloniales, avec ses vins el ses eaux-de-vie, qu'elle s'acquitte envers les nations qui lui ont vendu des matières premières et des approvisionnements de marine, elle rend même à plusieurs d'entre elles leurs matières premières travaillées, après en avoir quadruplé leur valeur par la main-d'œuvre; c'est enfin par les mêmes moyens qu'elle se procure une balance annuelle de 40 à 50 millions qui lui sont payés en matière d'or et d'argent.

Telle est la position heureuse de la France; ses liaisons de commerce lui sont avantageuses avec toutes les nations, excepté peut-être avec les Anglais. Ce peuple doit sa supériorité à ses possessions immenses dans l'Inde, à ses nombreuses colonies dans toutes les parties du monde et à la perfection de ses manufactures. Mais notre situation avec l'Angleterre ne peut pas être changée par le nouveau tarif; nous n'avons aucune mesure à prendre pour l'améliorer; nos relations avec elle étant fixées par le traité conclu à la fin de 1786; votre comité l'a bien senti, et ne s'en est pas occupé; il n'a pu porter ses regards que sur nos relations avec les autres peuples; relations qui, comme vous venez de le voir, sont très favorables à notre commerce et à notre industrie.

Il semble que nous devrions être satisfaits de tous les avantages que nous possédons déjà et que notre but unique devrait être de les conserver. Mais est-ce par des lois prohibitives que nous y parviendrons; n'est-il pas certain, au contraire, que ces lois vont alarmer tous nos voisins? Devons-nous aussi légèrement compromettre la prospérité de l'Empire, en dérangeant de vastes combinaisons de commerce, qu'il a fallu tant de peines et tant d'années pour former.

Nos transactions en Europe ont lieu avec des nations qui sont plus ou moins manufacturières. Si nous prohibons l'entrée de leurs ouvrages d'industrie, comment pourront-elles s'acquitter envers nous pour les marchandises que nous leur vendons? Pouvons-nous croire que les Allemands, les Hollandais, les Flamands, les Suisses et les autres peuples consentiront à recevoir nos marchandises pour les payer uniquement en argent, qu'ils enverront des vaisseaux en lest dans nos ports pour y charger nos denrées, et les produits de notre industrie? N'est-il pas bien plus à craindre qu'ils n'usent de représailles, et qu'ils ne défendent chez eux l'entrée des marchandises françaises, comme nous aurons prohibé l'introduction de celles qu'ils étaient dans l'usage de nous fournir? Alors toutes nos manufactures qui sont occupées pour l'étranger, verront tout à coup leur consommation diminuer, un grand nombre seront ruinés, et leurs ouvriers sans travail retomberont à la charge de la nation.

Ainsi, par une loi imprudente, vous auriez porté les atteintes les plus funestes à notre commerce et à nos manufactures, et vous auriez tari les sources de la prospérité publique.

Le comité justifie les prohibitions qu'il vous propose par celles que d'autres puissances ont prononcées chez elles. Je sais que le système prohibitif a été successivement adopté et rejeté par un petit nombre de souverains; mais je sais aussi que les marchandises françaises, sont librement reçues en Flandre, en Hollande, en Allemagne, en Suisse, en Italie, et c'est contre ces mêmes pays que le comité vous propose des lois prohibitives. Le dernier empereur avait défendu, dans ses Etats d'Autriche, l'entrée de quelques objets de nos manufactures; mais cette prohibition a déjà été modifiée par l'empereur actuel; ses principes sur les lois prohibitives sont parfaitement connus; la liberté de commerce qu'il avait établie en Toscane, y avait fait fleurir l'agriculture et l'industrie; instruit par sa propre expérience, il n'y a pas lieu de douter qu'il ne repousse les erreurs de son prédecesseur; tous les papiers publics annoncent qu'il y est disposé; et c'est dans ces circonstances qu'on l'on vous propose d'établir des droits prohibitifs sur les toiles provenant des fabriques des Pays-Bas ! Ne serait-ce pas inviter ce prince à changer d'opinion du moins pour les marchandises de France?

Les marchandises dont on veut défendre l'entrée, ou que l'on veut assujettir à des droits de 20 à 30 0/0, sont des bonneteries, des quincailleries, des toiles peintes, des toiles de coton et mousselines, des rubans, des toiles de chanvre et de lin. Nous tirons d'Allemagne des toiles, des rubans, des quincailleries; d'Espagne, des mouchoirs de soie; de Suisse, des toiles peintes, des toiles de coton et des mousselines; de Hollande, du papier, des toiles et quelques draperies; de la Flandre autrichienne, des toiles et des dentelles; toutes ces marchandises peuvent s'élever à trente-cinq ou quarante millions; mais nous recevons aussi de ces

mêmes contrées, pour cinquante ou soixante millions de matières premières qui servent à alimenter nos manufactures. Nous recevons toutes ces marchandises en échange des ventes que nous leur faisons en soieries, linons, batistes, draperies, merceries, bijoux d'or et d'argent, modes, vins, huiles, denrées coloniales; tous ces objets réunis s'élèvent à plus de cent cinquante millions. Le solde nous est payé en piastres, ou en traites sur l'Espagne. N'y aurait-il pas de la démence de nous exposer à perdre un commerce aussi avantageux, aussi essentiel à nos fabriques. Ce serait en courir les dangers que de provoquer l'inimitié et la juste vengeance de ces nations; ce serait compromettre l'existence même dé nos manufactures: et par exemple, le tarif prohibe l'entrée des toiles de coton blanches qui viennent particulièrement de la Suisse et de l'Allemagne. D'abord elles sont absolument nécessaires aux manufactures d'indiennes d'Alsace et de Lorraine, parce que ces provinces ne sont pis et ne seront pas longtemps en état d'en fabriquer suffisamment. Ces manufactures sont florissantes, et elles seront complètement ruinées, s'il ne leur est pas permis de tirer de Suisse des matières premières, indispensables à leurs travaux ; ensuite nous avons avec les Suisses un commerce avantageux pour nous; nous leur vendons des denrées coloniales, des productions de notre sol, et beaucoup d'ouvrages manufacturés. Si nous leur ôtons les moyens de s'acquitter par des échanges, toutes nos relations avec eux sont dérangées et interrompues. Ainsi, par de fausses mesures, nous anéantirions plusieurs manufactures françaises très importantes, nous détruirions des liaisons très utiles que nous avons avec les Suisses, et nous indisposerions nos plus anciens et nos plus fidèles alliés.

On vous propose encore d'établir un droit de 100 livres du quintal pesant sur les toiles, et notamment sur celles de la Flandre autrichienne; ce droit est prohibitif, puisqu'il équivaut à 20, 30 et 40 0/0 de la valeur. Les habitants de ces provinces, étrangers et français, ont des relations si fréquentes et si naturelles, que le droit sera certainement ou fraudé ou éludé. Il se fabrique dans les deux pays des toiles parfaitement semblables, et les habitants ayant des propriétés sur les deux territoires, la fraude sera de la plus grande facilité. Je connais parfaitement le pays, et je crois qu'il est de mon devoir de prévenir l'Assemblée que si le droit n'est pas très faible, les toiles étrangères passeront en contrebande, et vu la position des lieux, il sera presque impossible de l'empêcher. Mais en supposant même que l'on pût parvenir à faire garder exactement la frontière, la loi serait encore nuisible sous plusieurs points de vue. Les toiles de Flandre entrent dans l'assortiment des marchandises que nous vendons aux Espagnols et aux peuples de la Méditerranée; et nous n'avons en France, dans ce moment, aucune fabrique qui puisse les remplacer. Si on établit sur ces toiles des droits excessifs, ces peuples cesseront de nous les acheter; ils s'adresseront directement en Flandre; ce qui nous exposera à perdre non seulement cette branche de commerce, mais encore celle des toiles et étoffes de France qui en font partie. C'est l'assortiment des marchandises qui attire les acheteurs.

D'un autre côté, le gouvernement des PaysBas ne sera pas plutôt instruit, que vous aurez décrété un droit prohibitif sur les toiles de Flandre, qu'il établira le même droit sur nos

marchandises manufacturées. Je conviens que sur ce point il ne réussira pas mieux que nous; mais il prohibera aussi nos vins, nos eaux-devie, nos denrées coloniales, ou du moins il les chargera de droits excessifs, et, à cet égard, il réussira; du moins il parviendra à en diminuer de beaucoup la consommation, parce que ces marchandises étant très volumineuses, d'un grand poids, et sujettes à avaries, sont bien plus difficiles à frauder; il aura encore entre les mains un autre moyen de nuire à nos manufactures. La Flandre autrichienne fournit à plusieurs d'entre elles et particulièrement à celles de Normandie des quantités considérables de lin, dont elles ne peuvent se passer, et qu'elles ne pourraient pas trouver ailleurs. Si le gouvernement belge en prohibait rigoureusement la sortie, à l'instant toutes ces fabriques seraient sans travail, et frappées d'inertie faute de matières premières.

Si ensuite tous les autres gouvernements imitaient l'exemple du gouvernement belge, vous en prévoyez les funestes conséquences; une grande partie des productions de notre sol et des denrées de nos colonies resterait invendue, nos manufactures seraient privées d'acheteurs étrangers, bientôt aussi, faute de matières premières, elles seraient réduites à l'inaction.

J'espère, Messieurs, que l'évidence de ces observations vous a convaincus que les prohibitions, loin d'être avantageuses à nos manufactures, seraient la cause certaine de leur ruine.

On nous a dit enfin, que les lois prohibitives étaient nécessaires à l'encouragement de notre industrie. Je dois vous faire connaître encore la fausseté de cette assertion.

L'Europe peut être considérée comme une vaste République dont toutes les parties sont liées par des besoins réciproques et continuels. La correspondance entre elles est si rapide qu'en peu de jours, d'un bout du continent à l'autre, on est instruit de tous les événements. Le commerce, qui n'est pas moins agile que la politique, est aussi promptement informé du cours de toutes les marchandises et de toutes les denrées. Aussitôt que les négociants de diverses contrées apprennent que d'abondantes récoltes ou de nouveaux établissements en manufactures ont fait baisser dans un pays quelconque le prix des denrées ou des marchandises, les ordres y sout promptement envoyés et bientôt ils sont si considérables, et le nombre de concurrent, est si grand, que les prix haussent rapidement et s'élèvent promptement au taux des marchandises de même nature en d'autres pays. C'est ainsi que le niveau des prix s'établit en Europe. La différence qui s'y rencontre provient uniquement des dépenses, des frais, des risques et des avaries qu'il en coûterait pour faire transporter les marchandises d'une contrée dans une autre.

Cette vérité nous est confirmée par la conduite de l'Espagne dans ses relations extérieures. Ce royaume, qui a le malheur de posséder les mines du Pérou, à peu de manufactures, son industrie languissante ne suffit pas à ses besoins. Pour y suppléer, il est forcé de s'adresser aux autres nations. Placé au centre de l'Europe, il achète, de plusieurs d'entre elles, des marchandises de même espèce. Et par exemple, les Espagnols tirent des toiles de Silésie, d'Irlande, de Bretagne, de Laval, de Saint-Quentin, de Flandre. S'il n'y avait pas de niveau dans les prix de ces diverses sortes de toiles, ils sauraient bien distinguer les fabriques les plus avantageuses, et donner la

préférence à celles qui seraient à meilleur marché; mais il y a une telle parité dans les prix, qu'ils trouvent un bénéfice égal, et de plus grandes facilités pour leurs assortiments en s'adressant à toutes: il en est de même des draperies, des soieries et de toutes les autres marchandises, c'est parce que le niveau des prix existe, que toutes les nations, dans la proportion de leur industrie, participent au commerce d'Espagne.

La France n'a donc rien à craindre de l'industrie de ses voisins. Ses manufactures sont protégées par ce nivellement nécessaire des prix vers lequel toutes les marchandises, toutes les denrées tendent sans cesse. Non seulement elle peut entrer en concurrence avec les autres nations, il est même un grand nombre d'objets pour lesquels le goût exquis de ses habitants, la beauté des dessins, l'élégance des formes dans lesquelles ils excellent, lui assurent la préférence: le tableau de notre commerce extérieur en est la preuve. Nous recevons de l'étranger pour quarante à quarante-cinq millions d'objets manufacturés, et nous lui en fournissons pour plus de cent vingt millions. Si nous avons la préférence dans l'étranger sur les autres nations, comment pouvons-nous redouter leur concurrence chez nous? Telle était, Messieurs, la situation heureuse de nos manufactures sous le gouvernement arbitraire; mais combien leur prospérité ne doit-elle pas augmenter, lorsqu'elles seront protégées par une Constitution libre? Le commerce et l'industrie des nations sont proportionnés à la liberté dont elles jouissent ainsi l'Angleterre, la Hollande, la Suisse, les villes impériales et Anséatiques surpassaient en industrie les nations moins libres qu'elles, dont elles étaient environnées. Nous aussi, moins esclaves que les peuples de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, du Levant et de la Turquie, nous les avions rendus tributaires de notre commerce. Aujourd'hui que la nation française jouit de la Constitution la plus libre et la plus juste de l'univers, son industrie ne tardera pas à surpasser celle de tous les peuples du monde mais ce serait ralentir ses progrès que d'établir des lois prohibitives qui, en excitant la jalousie et le mécontentement de nos voisins, les avertiraient de porter les mêmes lois contre nous. Vous éviterez ces dangers en laissant une libre concurrence à toutes les nations étrangères par cette concurrence vous stimulerez le génie national, et vous donnerez aux talents une nouvelle émulation et une plus grande énergie. Le système prohibitif n'est donc qu'un système d'ignorance ou de fiscalité sous ce double point de vue, il doit être proscrit de tous les pays sagement gouvernés, et la France est de tous les Etats de l'Europe celui à qui il convient le moins de l'adopter.

Il serait facile de prouver, au contraire, que le système qui serait le plus digne d'elle, qui serait le plus conforme à sa Constitution actuelle, à sa position géographique, et à ses vrais intérêts, serait celui d'une liberté indéfinie, sans barrières aux frontières, sans droits d'entrée ni de sortie.

Cette idée paraît hardie; je sens parfaitement qu'elle n'est pas encore mure; quelques développements vont vous faire connaitre combien la liberté illimitée, si elle était un jour adoptée, serait préférable aux prohibitions.

Le commerce que les nations ont entre elles, consiste dans les échanges mutuels qu'elles font des produits de leur sol et des ouvrages de leur

industrie. Les Espagnols et les Portugais sont les seuls qui, n'ayant pas assez de denrées ni d'objets manufacturés à donner en échange, soient forcés de s'acquitter avec des matières d'or et d'argent. On peut même regarder ces métaux comme les produits de leur industrie, puisque ce n'est qu'à force de travail qu'il les obtiennent de leurs mines. Si donc, après avoir vendu aux peuples étrangers, autres que les Espagnols et les Portugais, nos vins, nos eaux-de-vie, nos denrées coloniales, et les produits de notre industrie dans tous les genres, nous refusons de recevoir d'eux en payement les produits de leur sol et de leurs manufactures, nous leur ôtons tous moyens d'échange avec nous. Notre commerce avec eux cesse nécessairement; parce qu'ils n'ont point de mines d'or et d'argent, et qu'ils n'ont d'autres objets d'échange à nous offrir que les denrées que la nature a fait croitre sur leur sol, ou les ouvrages manufacturés dans lesquels ils excellent, et qu'ils étaient dans l'usage de nous fournir.

Il semble qu'au lieu de chercher à détruire ou å diminuer nos liaisons avec eux, il serait essentiellement de notre intérêt de les augmenter, et elles ne peuvent s'accroître qu'en stimulant leur industrie, et en leur procurant ainsi, par de nouvelles richesses, les moyens d'étendre leur commerce et leurs achats dans nos fabriques.

Nous consommerons à la vérité un peu plus de leurs marchandises, mais ils en consommeront pareillement une plus grande quantité des nôtres. Nous serons riches, ils le deviendront aussi, les peuples pauvres ne font point de commerce entre eux; si l'industrie de nos voisins prospère, nous en recueillerons nécessairement les fruits par l'extension de nos affaires avec eux. Ainsi nous aurons à la fois augmenté leurs jouissances et les nôtres. La prohibition les eût rendus nos rivaux et nos ennemis; la liberté de commerce nous les attachera, et leur fera bénir la douceur de notre Constitution: alors nous n'aurons plus à craindre ces jalousies de commerce, qui furent le sujet de tant de guerres. Et comment les autres nations pourraient-elles se résoudre à nous faire la guerre, à nous, dont la prospérité ne pourra augmenter sans accroître leur bonheur?

Le but de tous les gouvernements, le devoir spécial des législateurs n'est-il pas d'étendre l'industrie, d'accroître les moyens de subsistance, d'augmenter les jouissances, et d'alléger par là les peines dont cette vie est parsemée? Ne devous. nous pas nous efforcer d'entretenir l'harmonie et la paix avec tous nos voisins? Vous parviendrez à toutes ces fins par la liberté du commerce.

Mais voyons quel peut-être le but des prohibitions proposées par le comité. Il veut, dit-on, que toutes les nations, au lieu de s'acquitter avec nous par des échanges, payent nos marchandises en or et en argent. Vous venez de voir la folie de ces prétentions. Les nations avec lesquelles nous négocions ne peuvent pas nous donner des métaux qu'elles n'ont pas. Mais j'admets pour un instant qu'elles puissent nous payer en espèces d'or et d'argent toutes les marchandises que nous leur fournirons; les partisans de ce système ont-ils pris la peine de réfléchir aux conséquences qui en résulteront? Cette immense quantité d'or et d'argent, que nous accumulerons tous les ans, ne chaugera-t-elle pas bientôt tous les rapports existants dans la société ? Ne dérangerat-elle pas rapidement toutes les proportions entre les denrées et les salaires? Ne les fera-t-elle pas hausser tout à coup à un tel degré que nous ne

pourrons plus supporter la concurrence des autres nations dans les marchés étrangers? N'est-il pas certain qu'en suivant un pareil système, nous perdrions en peu d'années la totalité de notre commerce extérieur? Il est pénible de voir que le comité de commerce ait ignoré des vérités aussi simples et aussi triviales.

L'accroissement du numéraire n'est désirable en France que parce qu'il procure les moyens d'étendre plusieurs branches d'industrie; mais il faut qu'il soit proportionné à l'accroissement du numéraire chez les autres nations, afin de ne point altérer les rapports que nous avons avec elles. Sans cette condition, l'augmentation des métaux précieux serait plus nuisible qu'utile. Et c'est sous ce point de vue que l'on peut regarder le commerce des Indes comme avantageux; ce commerce ne se faisant en majeure partie qu'avec de l'argent, rétablit l'équilibre entre nous et nos voisins, en nous débarrassant de l'excès du numéraire que nous pourrions recevoir d'Espagne et de Portugal.

L'augmentation de l'or et de l'argent dans le royaume serait donc une richesse dangereuse, si notre agriculture et notre industrie ne prenaient des accroissements proportionnés. O vous, Messieurs, qui avez anéanti tant d'erreurs, qui avez détruit tant de préjugés, hésiteriez-vous à proscrire celle des prohibitions, toujours nuisibles aux nations qui les adoptent, mais plus dangereuses pour un peuple qui est à la fois agricole, manufacturier et commerçant? Qu'on ne dise pas de cette Assemblée: elle sut élever un temple superbe à la Constitution, mais son génie échoua, quand il fallut en polir les principales colonnes.

L'effet infaillible de la liberté illimitée serait de porter promptement au plus haut degré de prospérité toutes les branches de notre industrie.

Cette liberté ferait bientôt de la France le magasin général et l'entrepôt de l'univers. Mieux située que l'Angleterre, elle offrirait des assortiments d'autant plus complets, qu'on y trouverait les productions du monde réunies à celles de la France et de ses colonies. Les étrangers harcelés, inquiets, fatigués de formalités gênantes dans les ports d'Angleterre, préféreraient de s'approvisionner dans ceux de France, où ils seraient parfaitement libres. Nos vins, nos denrées, nos marchandises, plus recherchées qu'aujourd'hui, donneraient un essor rapide à notre agriculture et à notre industrie.

Ce système serait d'autant plus utile pour la France, que l'Angleterre s'est interdit à ellemême toute espérance de l'imiter. Chez elle les finances de l'Etat sont principalement appuyées sur les droits de la douane et de l'accise, et si elle les supprimait, elle anéantirait presque toutes ses ressources. Ainsi ce système noble et généreux, en augmentant la prospérité de la France, frapperait d'un coup mortel le commerce et la puissance de l'Angleterre.

On m'opposera peut-être l'opinion manifestée de plusieurs manufacturiers qui demandent que vous adoptiez ce système prohibitif; mais ce vou ne peut être dicté que par l'ignorance ou les préjugés. Toutes les réflexions que je viens de vous présenter ont dù vous faire connaître combien il serait dangereux, pour l'intérêt même de nos manufacturiers, d'y avoir égard. Ce vœu indiscret doit donc être rejeté.

On ne manquera pas de m'objecter encore que nous perdons 14 ou 15 millions de perceptions aux frontières. D'abord les perceptions seront faibles cette année, les produits seront en partie

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