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NOTES

DU LIVRE III.

Ce livre, l'un des moins cités, des moins renommés de l'Éneide, est, à ce qu'il me semble, un de ceux où Virgile a montré le plus de goût et quelquefois d'imagination. Ce livre, où sont racontées les aventures de la navigation d'Énée, comme Homère a raconté les voyages d'Ulysse, pourrait être appelé l'Odyssée de Virgile. Son imagination y a ajouté de nombreuses beautés. Le tombeau de Polydore; la veuve d'Hector devenue l'épouse d'Hélénus, placée entre l'urne d'Astyanax et celle de son père, et se dédommageant, par une douce et consolante imitation de Troie, de tout ce qu'elle a perdu; le magnifique récit de Polyphème et des Cyclopes, si supérieur à celui d'Homère; la belle leçon d'humanité qu'il donne dans l'aventure du malheureux Grec reçu sur les vaisseaux troyens ; tout cela est digne d'être mis à côté des plus grandes beautés de l'Énéide. Il règne d'ailleurs dans ce chant une grande variété de faits et de descriptions. La partie géographique devait avoir pour les Romains un charme particulier : ils parcouraient sans cesse les mers de la Grèce, ou comme négocians, ou comme guerriers, ou comme vainqueurs; ils y retrouvaient partout les merveilles de la fable, les monumens de l'histoire, les trophées de leurs victoires, et le berceau de leurs dieux. Ces dieux leur étant communs avec les Grecs, on pourrait dire que leurs courses. sur la mer étaient souvent des pèlerinages pieux, dont le charme et l'intérêt sont perdus pour les voyageurs modernes, qui ne font plus que voir en curieux observateurs ce que les Romains adoraient en hommes religieux. Dans toute la partie géographique Virgile a fait un heureux choix des lieux les plus fameux, les plus poétiques, et qui réveillaient le plus de souvenirs intéressans; de manière qu'on pourrait dire encore,

Là tous les noms heureux semblent nés pour les vers.

BOILEAU, Art poét., ch. III.

On pourrait seulement se plaindre de cette multiplicité d'oracles mal interprétés qui prolongent la navigation vagabonde des Troyens; mais le poète en a tiré partie, en prenant de là occasion de peindre des lieux célèbres, des aventures intéressantes, enfin les contrées habitées par leurs cruels ennemis. Tel est le charme de ce livre, qui réunit quelquefois l'intérêt de l'Odyssée a celui de l'Iliade.

PAGE 206, VERS 1.

Postquam res Asia Priamique evertere gentem
Immeritam visum Superis, ceciditque superbum
Ilium, et omnis humo fumat Neptunia Troja, etc.

Ce commencement est d'une beauté simple, noble et touchante. On y voit en peu de mots l'Asie bouleversée; le peuple de Priam détruit, quoique innocent; le superbe Ilion tombé du faîte des grandeurs, et Troie entière, Troie, l'ouvrage des dieux, fumante sur la terre. Cette dernière image est d'une grande beauté.

PAGE 206, VERS 5.

Classemque sub ipsa

Antandro et Phrygiæ molimur montibus Idæ.

Antandros subsiste encore au fond du golfe d'Adramitti; elle a conservé son nom. Cette ville est située, suivant nos meilleures cartes, à dix-sept milles géographiques, au sud de Bounar-Bachy, où l'on a reconnu l'emplacement de l'ancienne Troie. Antandros est placée au pied du mont Gargara, le plus haut sommet de l'Ida nommé aussi Alexandria, parce que ce fut sur cette montagne que, suivant la tradition, Pâris décerna le prix de la beauté à Vénus. Hérodote, VII, 42; Thucydide, VIII, 108; Méla, I, 18; Pline, V, 30; Strabon, lib. XIII, v. 903 et 904, donnent d'intéressans détails sur Antandros. C. A. WALCkenaer.

3 PAGE 206, VERS 7.

Incerti quo fata ferant, ubi sistere detur, etc.

Ce vers renferme l'expression simple et forte d'un des plus grands malheurs qui puissent affliger l'homme: l'exil, et l'incertitude d'un asile.

4 PAGE 206, VERS 10.

Littora cum patriæ lacrymans portusque relinquo, etc.

Virgile excelle à peindre les affections les plus douces de l'âme,

et particulièrement l'amour de la patrie. Mélibée dit dans la première Eglogue:

Nos patriæ fines et dulcia liquimus arva, etc.

Dans un des derniers livres de l'Eneide, on ne peut lire sans attendrissement la mort de ce guerrier qui regarde encore une fois le ciel, et se rappelle, en expirant, le doux pays d'Argos: Et dulces moriens reminiscitur Argos. (Lib. X, v. 782.)

5 PAGE 206, VERS II.

Et campos ubi Troja fuit.

Ce passage est justement cité par le marquis de Beccaria, dans ses Recherches sur le style, comme un trait sublime. Quelle description dirait autant que le trait si précis, mais si profond, les champs où fut Troie?

Ce seul mot de Troie rappelle la capitale de l'Asie, sa richesse et sa puissance, son long siége, sa longue résistance, et, comme le dit Virgile, la patrie des héros et des dieux. C'est une règle importante en poésie, de ne point dire ce que l'imagination peut suppléer; lui ôter ce travail, c'est lui ôter un plaisir ; et on peut dire que dans ce cas la poésie s'enrichit de tout ce que le poète ne dit pas. Quelles idées réunies de grandeur et de misère renferme ce peu de mots! Voltaire a heureusement imité ce passage dans sa Henriade:

Il découvre avec joie

Le faible Simoïs, et les champs où fut Troie.

Chant IX.

On a mieux su distinguer de nos jours, qu'au temps de Virgile, les champs où fut Troie. Des voyageurs éclairés se sont empressés d'aller visiter ces lieux immortalisés par les vers d'Homère. En attendant le bel ouvrage que prépare M. de Choiseul-Gouffier sur cet objet, on peut consulter avec fruit ceux de M. Lechevalier, de Dallaway, de Moritt, et surtout celui de Gell, intitulé: Topography of Troy. A la page 107, cet auteur nous donne un plan topographique de la colline où fut Troie; et dont le village de BounarBachy n'occupe qu'une partie. M. Gell calcule que l'emplacement de l'ancienne Troie pouvait contenir cinquante mille habitans.

WALCKENAER.

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Cum sociis, natoque, penatibus, et magnis dis.

Ce vers exprime avec une précision admirable tout ce qui accompagne Énée dans sa fuite : ce sont les objets à la fois les plus saints et les plus chers. Ce vers spondaïque, quoique terminé par un monosyllabe, a de la majesté.

«

7 PAGE 206, VERS 18.

AEneadasque meo nomen de nomine fingo.

Sur la rive des mers un nouvel Ilion,

Élevé par mes mains, avait reçu mon nom. »

Cette ville conserve encore ce nom, et elle l'a communiqué au golfe à l'entrée duquel elle se trouve, qui s'appelle Enos, comme la ville. La rivière de Marizza, qui se jette dans ce golfe, est l'ancien Hèbre. M. de Choiseul, dans le second volume de son Voyage pittoresque de la Grèce, a donné des détails intéressans sur l'état actuel de cette ville. C. A. WALCkenaer.

8 PAGE 208, VERS 4.

Forte fuit juxta tumulus, etc.

Cette histoire de Polydore est de l'intérêt le plus touchant. Tout concourt à cet intérêt; sa jeunesse, la tendresse de son père qui lui cherche un asile contre les dangers de la guerre chez un allié perfide, sa mort malheureuse et cruelle; joignez-y d'autres idées accessoires, la fin des grandeurs de Troie, le commencement d'une

fatale guerre, le respect que l'on doit au malheur et aux tombeaux, la peinture admirable que fait Virgile de la terreur que causent à Énée ces arbustes sanglans: tout dans ce morceau porte au fond de l'âme une impression profonde de mélancolie.

9 PAGE 208, VERS 6.

Heu! fuge crudeles terras, fuge littus avarum.

Voilà un bel exemple de la figure que donnent aux choses les épithètes qui ne conviennent qu'aux personnes.

10 PAGE 210, VERS 18.

Ergo instauramus Poydoro funus, et ingens, etc.

Une des choses qui font le plus d'honneur à Virgile, c'est le plaisir qu'il prend à décrire les cérémonies religieuses, et particulière ment celles qui consacrent la cendre et la mémoire des morts. On

a cru voir dans ce culte funéraire couler des flots de lait sur les tombeaux; mais on ne voit pas sans regret les sacrificateurs les arroser de sang, et cette barbarie se mêler avec un acte d'humanité. Rien de plus poétique à la fois et de plus attendrissant que l'illusion touchante des vivans qui appelaient par trois fois les mânes chéris du fond de leurs tombeaux. C'est cet usage qui a dicté ce vers heureux à Marmontel :

Ou mon époux respire, ou son ombre m'entend,

Pénélope, act. I, sc. 8.

et ceux-ci, tirés d'un morceau sur les cérémonies funéraires :

Les morts étaient muets à ces cris douloureux,
Mais le cœur leur parlait, et répondait pour eux.

Imagination, ch. IV.

11 PAGE 212, VERS 2.

Inde, ubi prima fides pelago, placataque venti
Dant maria, etc.

On ne peut dire avec plus de grâce et d'élégance, lorsque le temps devint favorable à l'embarquement. C'est cette élégance qui donne de la valeur aux plus petits détails; et on peut dire souvent de la poésie comme de la sculpture: Materiam superabat opus.

12 PAGE 212, VERS 3.

Et lenis crepitans vocat Auster in altum.

Notre poète commet ici une inadvertance assez forte. Chez les anciens, les vents du nord étaient considérés comme impétueux et ennemis des voyageurs; ceux du midi, au contraire, ramenaient le calme sur les flots, et semblaient toujours accompagner la belle saison. Ainsi Virgile, voulant dire qu'Énée attendit le printemps pour partir, fait souffler le vent du midi; mais il oublie que ce vent était directement contraire pour les Troyens qui se rendaient à Délos; avec ce vent, ils n'auraient pas pu sortir du port d'Ænos. Homère, plus exact, fait souffler le Borée ou le vent du nord, pour écarter Ulysse des mêmes rivages de Thrace, où se trouve Énée (Hoм., Odyssée, liv. IX, v. 67), et Virgile lui-même appelle ce même vent à son secours lorsqu'il veut porter la flotte des Troyens sur les côtes de Crète. C'est, en effet, le vent du nord qui, dans la belle saison, souffle le plus habituellement dans l'Archipel. Voyez ci-après, note 20. C. A. WALCKENAER.

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