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bord l'air fut obscurci par des nuages épais qui causèrent une chaleur étouffante ; le vent du midi ne cessa de souffler pendant quatre mois, et de répandre les vapeurs màlignes dont il est chargé; les fleuves et les lacs eurent leurs eaux infectées d'une quantité prodigieuse d'insectes jusqu'alors inconnus.

La contagion attaqua premièrement les chiens, les boeufs, les brebis, les oiseaux; tous les animaux enfin furent ses premières victimes. Le malheureux laboureur est surpris de voir tomber tout-à-coup ses taureaux expirans dans le sillon qu'ils traçoient. Les brebis, poussant des bêlemens plaintifs, traînent leurs corps malades et voient leurs toisons tomber d'ellesmêmes ; le coursier le plus vigoureux n'a plus la même ardeur pour les combats et la victoire, et languit sur la litière; le sanglier oublie sa férocité naturelle; la biche perd sa légéreté; l'ours, devenu timide, craint d'attaquer les troupeaux. Tout dépérit; les forêts, les campagnes, les grands chemins, sont jonchés de cadavres d'animaux; les oiseaux de proie, les chiens, et même les loups; n'osent en approcher : la terre est infectée de tant de pourriture, et l'air en est corrompu. !)

La contagion attaqua les laboureurs euxmêmes, et se répandit jusques dans ma ville. On sentoit d'abord ses entrailles dévorées d'un feu secret qui s'annonçoit au dehors par une rougeur répandue sur tout le visage, et par une haleine enflammée; la langue s'enfloit; la bouche, desséchée, ne puisoit dans l'air que des vapeurs pestilentielles. Nos citoyens ne pouvoient ni trouver de repos dans leurs lits, ni souffrir sur eux leurs vêtemens t mais, étendus sur la terre, ils y cherchoient en vain de la fraîcheur ; leur approche rendoit la terre même brûlante. Vainement aussi on s'efforçoit de les guérir quiconque l'entreprenoit, quiconque rendoit même d'autres services à ces infortunés, puisoit auprès d'eux des semences de mort. La mort seule étoit le terme de toutes ces souffrances : malades désespérés, tous ne consultoient que leur goût ou leur caprice, sans recourir à ce qui pouvoit leur être salutaire; et rien ne l'étoit en effet. Sans honte, sans pudeur et sans voile, ils alloient en foule et confusément-se jeter dans les fleuves et dans les fontaines pour éteindre leur soif ardente mais ils se délivraient en même temps de la soif et d'une

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vie insupportable; la plupart mouroient au sein des eaux, et l'on venoit ensuite puiser et boire ces eaux infectées. On abandonne son lit, on se roule sur la poussière; on fuit ses pénates, et chacun croit que ce fléau est attaché à sa maison, parce qu'il n'en peut découvrir la véritable cause. Ceux qui peuvent se soutenir errent dans la ville d'un pas languissant les autres, couchés sur la terre, la baignent de larmes; ou leurs yeux, lassés de s'ouvrir, roulent encore une prunelle égarée avant de se fermer pour jamais. De toutes parts on n'apperçoit que des tas de mourans qui élèvent leurs mains vers le ciel, et qui tombent subitement dans l'endroit où la mort les a surpris.

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Eacus adresse ses plaintes à Jupiter.

QUELS étoient alors et quels devoient être

mes vœux, si ce n'est de mourir et de ne pas survivre à mes malheureux sujets? De quelque côté que se portassent mes regards

je ne voyois que des cadavres entassés comme des glands sous l'arbre de Jupiter.

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Vous voyez devant vous ce temple élevé; il est consacré au père des dieux. Qui de nous ne l'a pas enrichi d'offrandes? Combien de fois, tandis qu'un père y faisoit des vœux pour son fils, un époux pour son épouse, ne les at-on pas vu mourir au pied des autels qu'ils tenoient embrassés! Combien de fois, après leur mort, n'a-t-on pas trouvé encore dans leurs mains une partie de l'encens à demi brûlée! Combien de fois enfin le prêtre, en versant du vin pur entre les cornes des taureaux les a-t-il vu mourir, frappés d'une main invisible ! Moi-même, en faisant à Jupiter des sacrifices pour ma patrie, pour moi, pour mes enfans, j'ai entendu la victime pousser d'affreux mugissemens; je l'ai vu tomber d'elle-même subitement sur les couteaux sacrés, qu'elle arrosoit d'un peu de sang. Les entrailles des animaux, infectées par la contagion, ne donnoient plus de signes de la vérité ni de la volonté des dieux. J'ai vu leurs cadavres, jetés devant les portes du temple et à la face des autels, attester la cruauté des dieux; j'ai vu enfin périr mon peuple inno

cent la plus grande partie abrègent leurs jours à l'aide d'un lien fatal, tissu par le désespoir;

Et courent au trépas qu'ils veulent éviter *.

On ne porte point les morts avec pompe au lieu ordinaire; les portes de la ville n'étoient ni assez spacieuses ni en assez grand nombre pour tant de convois : ils sont étendus sans honneur dans les places publiques, ou jetés confusément sur des bûchers que l'on se dispute encore. Il ne reste personne pour ensevelir et pour baigner de larmes ceux que la contagion moissonne; les enfans, les pères, les jeunes gens et les vieillards, privés de sépulture, errent tristement sur le bord du Styx. On ne trouve plus ni de place pour les tombeaux, ni d'arbres pour la construction des bûchers.

Effrayé de tant de désastres et de cet enchaînement de malheurs, j'adressai cette prière au souverain des dieux : « O Jupiter, s'il est

* Ce vers de Voltaire rend assez bien ces mots d'Ovide, mortisque timorem morte fugant.

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