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aveuglement m'eût permis de le voir. Je devois bien plutôt, au lieu de lui écrire, aller moi-même lui faire l'aveu de mes fureurs. L'ingrat n'auroit pu, sans doute, résister à mes larmes : la bouche s'exprime avec bien plus de force que l'écriture. Je me serois précipitée dans ses bras, je me serois jetée à ses pieds, je l'aurois conjuré de ne point causer ma mort; et s'il m'avoit rebutée, je lui aurois fait craindre de me voir périr à ses yeux. J'aurois mis en usage tout ce qui peut exciter la compassion; et quand il auroit eu assez de cruauté pour pouvoir résister à quelqu'une des marques de ma passion, toutes réunies le frappant à la fois l'auroient subjugué. Que sais-je même? peut-être que c'est la faute de celui qui a porté mes tablettes. Il l'a abordé sans précaution, sans choisir une heure favorable, et lorsque Caunus n'avoit ni assez de loisir ni l'esprit assez libre. Voilà, voilà ce qui me perd: car enfin Caunus n'est pas né d'une tigresse; il n'a pas sucé le lait d'une lionne; son cœur n'a point la dureté du roc, du fer, ni du diamant. Oui, je parviendrai à le fléchir, si je sais l'attaquer encore une fois. J'aurois dû, sans doute, et

c'étoit le mieux, ne rien entreprendre; mais puisque j'ai commencé et que le passé est irrévocable, le seul parti qui me reste est de poursuivre mon entreprise. Il n'est plus en mon pouvoir, quand je renoncerois à mon projet, d'effacer ce que j'ai fait de son souvenir. Si je ne persévère pas, il croira que ce n'étoit qu'un feu passager, ou peut-être que j'ai voulu le tenter et lui dresser des embûches, ou enfin que j'ai cédé à la seule volupté, et non pas à un amour violent qui dévore mon cœur. Enfin, quelque chose que je fasse, il ne m'est plus possible de n'avoir rien fait de honteux; j'ai écrit, j'ai demandé; j'ai formé des desirs illégitimes: quand je ne ferois rien de plus, je n'en serois pas pour cela exempte de crime; je ne saurois redevenir innocente, le coup est porté. Ce qu'il me reste à faire est beaucoup pour mon bonheur, et ajoute peu au forfait.

Elle dit, et, tant elle est peu d'accord avec elle-même, quoiqu'elle se repente d'avoir agi, elle veut agir encore, elle en cherche les moyens, et veut s'exposer à de nouveaux refus. Caunus, las d'une si cruelle poursuite, se dérobe secrètement à son pays et à sa honte,

et va bâtir une ville sur des bords étrangers.

Alors la triste Biblis tombe dans un abattement affreux; alors elle déchire ses vêtemens et meurtrit son sein. Sans rien ménager, elle laisse éclater publiquement ses douleurs, elle ne fait plus un mystère de ses honteuses espérances; mais elle prend la fuite sur les traces de son frère, et court le chercher par tout l'univers. Semblable aux bacchantes qui célébroient sur les monts de Thrace les orgies de Bacchus, elle remplit de hurlemens affreux les campagnes de la Lycie. Déja dans sa course vagabonde elle avoit traversé la Carie, les fleuves de la Lycie, et le mont de la Chimère; elle avoit laissé derrière elle toutes les forêts de ces vastes contrées: enfin, épuisée de fatigue, elle s'arrêta, couchée sur quelques feuilles; triste et les cheveux épars, elle gardoit un morne silence.

Les nymphes du pays des Léléges accoururent pour la soulager. Elles lui donnèrent leurs secours, et tâchèrent de la guérir de sa folle passion mais Biblis, insensible à leurs soins et sourde à leurs remontrances, demeuroit obstinément couchée sur l'herbe qu'elle arrosoit de ses pleurs.

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