LETTRE SUR LE TRÔNE DE L'EMPEREUR FRÉDÉRIC II'. MONSIEUR, Permettez-moi de vous communiquer quelques renseignements qui me paraissent de nature à compléter la notice intéressante insérée dans votre recueil2, au sujet du rachat du trône de l'empereur Frédéric II. Rien de ce qui touche, même de loin, à la vie de ce prince, ne peut laisser son historien indifférent, et c'est à ce titre seulement que je prends la liberté de vous adresser cette lettre. L'acte du 2 décembre 1253, par lequel Joseph de Brindes, au nom du roi Conrad, retire des mains du Florentin Maniavaca et de son associé, moyennant 2,208 onces et 18 taris d'or, le faldistorium qui avait appartenu à Frédéric II, est le dernier en date de ceux que M. de Mas Latrie vient de retrouver et de publier. Là s'arrête la notice, et le savant éditeur n'a pas eu le temps de pousser plus avant la recherche. Cependant il n'est, peut-être, pas sans intérêt de savoir ce que devint cette magnifique pièce d'orfévrerie, dont les vicissitudes nous sont révélées par deux témoignages contemporains, tirés d'un diplôme et d'une chronique. On pourrait croire qu'après avoir fourni l'argent destiné à désintéresser certains créanciers des Maniavaca, auxquels le trône de Frédéric servait de gage, le roi Conrad rentra en possession de cet objet si précieux pour lui. Il n'en fut rien. Le trône resta en dépôt à Gênes chez Luca Grimaldi, un des témoins qui avaient assisté à la remise qui en fut faite à Joseph de Brindes ; 1. Nous accueillons avec empressement la lettre suivante de M. Huillard-Bréholles, qui complète d'une manière si heureuse les documents que M. de Mas Latrie a publiés dans notre précédent volume sur le trône de l'empereur Frédéric II. 2. Bibl. de l'écol. des Ch., Ve Sér., t. III, p. 248. et très-vraisemblablement le gouvernement génois, tant que vécut Innocent. IV, mit l'embargo sur la livraison, afin de ne pas déplaire au pape, qui aurait pu reprocher à ses compatriotes leur facilité à se prêter aux désirs d'un prince excommunié. Mais en 1257, le saint-siége n'étant plus occupé par un Génois, et la république cherchant, dans l'intérêt de son commerce, à se rapprocher de Manfred, qui était solidement établi dans l'Italie méridionale, un traité d'alliance fut conclu au mois de juillet. Manfred négociant la paix en qualité de bail du jeune Conradin, fit insérer dans l'acte une clause spéciale, où il était dit : « que le gouvernement de Gênes lui rendrait le fauteuil racheté par Conrad, moyennant le remboursement des dépenses justes et modérées que le dépositaire Luca Grimaldi aurait pu faire pour sa garde '. » Cette clause ne se retrouvant plus dans le second traité, confirmatif du premier, conclu avec les Génois au mois de juin 1261, par Manfred, alors revêtu de l'autorité royale, il est clair que dans l'intervalle le trône avait été remis entre les mains de ce prince. Ce qui le prouve d'ailleurs surabondamment, c'est que cette pièce d'orfévrerie faisait partie du trésor qui fut livré à Charles d'Anjou après la bataille de Bénévent, par le grand camérier Maletta. Selon la coutume du temps, les princes se faisaient alors accompagner par leur chambre, c'est-à-dire par la réunion des objets les plus précieux à leur usage; et de mème qu'en 1248, le trône de Frédéric II était tombé entre les mains des Parmesans victorieux, par suite du pillage de son camp, de même en 1266, il se trouva encore compris dans le butin fait par les Français. Charles d'Anjou, « voulant que son père goûtât le premier de sa chasse, l'envoya aussitôt au pape Clément IV à titre de présent, en y joignant une paire de candélabres d'or, d'un travail achevé. Saba Malaspina nous apprend à cette occasion d'une manière un 1. << Potestas autem, capitaneus et consilium et commune Janue, relatione mutua, nomine federis.... promittunt etiam quod falastorium redemptum per quondam dominum regem Conradum karissimum fratrem nostrum et recommendatum seu depositum penes Lucham de Grimaldo, restituent et restitui facient nunciis nostris pro parte nostra, expensis justis et moderatis factis tantum pro falastorio ipso, dummodo ipse expense per eumdem Lucham juramento affirmentur et eas postmodum judices moderentur. » Inséré dans une confirmation du Podestat et du capitaine de Gênes, en date du 17 septembre 1259, ap. Lib. Jurium reip. Gen., t. I, p. 1296. peu vague, que le trône de Frédéric avait été fondu dans une masse d'or'; ce qui rappelle les fameux trônes d'or, fabriqués par saint Éloi pour Clotaire II, et ornés de pierreries comme celui de l'empereur. Celui-ci était-il tout en or, ou seulement formé de lames d'or appliquées sur un support en bois ? C'est ce qu'il est bien difficile de déterminer. En tout cas, il n'était point seulement en vermeil, comme le prouverait d'ailleurs le prix considérable que représentent les 2,208 onces d'or payées par Conrad. En effet, l'once d'or valant en poids 63 fr. 12 centimes, nous arrivons à un chiffre de 139,368 fr. 96 centimes, valeur intrinsèque, chiffre qui, multiplié par 5, pour obtenir la valeur relative, et en tenant compte aussi du poids des 18 taris, ferait aujourd'hui au plus bas 697,000 francs en nombre rond. L'évaluation de la livre génoise à 10 francs, telle qu'elle est fournie par l'ouvrage de M. Serra et admise par M. de Mas Latrie, est évidemment beaucoup trop faible, du moins pour l'époque dont il s'agit, la valeur de l'once nous étant parfaitement connue, tant par les témoignages contemporains que par le poids de l'augustale ou quart de l'once, monnaie qui existe très-bien conservée dans un grand nombre de collections. Ce fauteuil fut-il gardé dans le trésor pontifical, malgré les pressants besoins d'argent qui assiégeaient les papes du treizième siècle? Je suis porté à le penser. Du moins l'inventaire du trésor du siége apostolique fait par l'ordre de Boniface VIII en 1295, et dont la Bibliothèque impériale possède une copie sous le n° 5180 du fonds latin, mentionne avec détails deux falcistoria d'or, enrichis de pierreries, dont la description peut convenir au falcistorium de Frédéric II. Toutefois le premier fauteuil inventorié est d'une magnificence telle, non-seulement par la quantité et la qualité des pierres, mais aussi par le travail de main-d'œuvre exécuté en émaux et en nielles, que son prix devait certainement dépasser la somme même considérable qui représentait la valeur du trône impérial. Je crois, au contraire, 1. «< Rex Carolus.... ut de sua venatione pater ipse prægustet, duos ceroferarios aureos seu idola manu facta comparata candelabris, materia et opere, pondere quoque et arte pares, nec non facistorium Cesaris, sedem imperialem aurea massa conflatam, margaritis coruscantibus undique circumseptam, quæ diu Augusti ad laudis et gloriæ fastigia imperialia ostendenda servarat ærarium, domino Clementi summo pontifici pro grandis et cari muneris oblatione, transmittit. » (Sab. Malasp., lib. III, C. XIV, p. 831.) que le second fauteuil décrit dans ce même inventaire plus sommairement et comme une œuvre belle encore, mais cependant comparativement inférieure, est bien le siége qui fut envoyé par Charles d'Anjou à Clément IV. Ce qui me conduit à ce rapprochement, c'est que le caractère distinctif de l'ornementation du trône de Frédéric II, pretiosis lapidibus, perlis et margaritis ornatum, disent les documents génois, était, suivant Malaspina, une garniture de perles régnant tout autour et sur toutes les faces, margaritis coruscantibus UNDIQUE circumseptam, qu'une garniture analogue est précisément signalée par l'inventaire dans la description du second fauteuil d'or, et perlæ in castoncellis per TOTUM falcistorium. Je joins à cette lettre, pour être publié comme appendice, le passage qui contient la description de ces deux fauteuils, pensant qu'il pourra plaire à ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'ameublement et de l'orfévrerie au moyen âge. C'est à eux aussi que je laisse le soin de pousser, s'il y a lieu, au-delà du treizième siècle, les recherches qui pourraient faire connaître quel fut le sort définitif du trône de Frédéric. Je craindrais, en prolongeant cette lettre, de sortir du cercle habituel de mes études, et surtout d'abuser de la complaisance de vos lecteurs. Veuillez agréer, etc. HUILLARD-BRÉHOLLES. EXTRAIT DE L'INVENTAIRE DU TRÉSOR DE BONIFACE VIII'. Item unum falcistorium magnum de auro quod habet in uno brachio, in quo est imago regine ad nigellum, v zaffiros grossos et xxx' alios minores et praxinas v et III perlas grossas et xi alias minores et in fila aliarum perlarum minorum. Item in alio brachio, in quo est imago regine in esmalto, habet novem zaffiros grossos et xxxII alios minores et vii balassos grossos, et xxix balassos minores et duos gran. et v praxinas et 1j perlas grossas et XII perlas minores et tres (sic) fila perlarum minorum. Item in alio brachio, in quo est imago regis in smalto, habet vi 1. Bibl. Imp., ms. latin 5180, f. 37 vo — 39 vo. balassos grossos et XXIII alios minores et vIII zaffiros grossos et XXIIIj alios minores et j perlas grossas et x alias minores et III fila perlarum minorum. Item in quarto brachio, in quo est imago regis ad nigellum, habet ix balassos grossos et xxvII alios minores et III praxinas et III perlas grossas et x alias minores et III fila perlarum minorum et vii zaffiros grossos et xix alios minores. Item in tabula, que est altare ubi sunt figure reginarum, sunt j zaffiri grossi et xix minores et 11 balassi grossi et xx alii minores et x perle grosse, et in corpore pavonis est una praxina et zaffirelli et granatelli et smaraldi; ex parte vero exteriori, sunt v zaffiri grossi et xv alii minores et xx balassi et XII perle grosse et in orlo sunt vi balassi et III zaffiri. Item in alia tabula in qua sunt figure regum, ex parte interiori sunt quatuor zaffiri grossi et xix alii minores et unus granatus, et x perle grosse; et in corpore pavonis est una praxina et balassi et zaffiri et smalti parvi; ex parte vero exteriori sunt v zaffiri grossi et xii alii minores et XVIII balassi et XIII perle grosse et in orlo sunt sex balassi et unus zaffirus et duo praxine. Item in pede qui est conjunctus brachio in quo est regina in smalto, sunt quatuor balassi grossi et xv alii minores et vi zaffiri grossi et XIIIj alii minores et tres perle grosse et octo alie minores et VIII praxine. Item in alio pede juncto brachio in quo est regina in nigello, sunt j balassi grossi et xx alii minores et vi zaffiri grossi et xx alii minores et una praxina grossa et due parve et tres praxine grosse; in sbarra qua adjunguntur ipsi pedes sunt quatuor balassi grossi et XVIII alii minores et quatuor zaffiri grossi et XVIII alii minores et unum filum perlarum. Item in alio pede juncto brachio in quo est rex in nigello, sunt v balassi grossi et xxvi alii minores et v zaffiri grossi et XXIII alii minores et III perle grosse et due praxine. Item in alio pede contiguo brachio in quo est rex in smalto, sunt vi balassi grossi et XXI alii minores et II perle grosse et duo alie minores et vi praxine. Item in sbarra qua adjunguntur ipsi pedes, sunt III balassi grossi et XVII minores et duo zaffiri grossi et XVIII alii minores et due praxine grosse et unum filum pernarum. Item tres castoncelli in quorum uno est unus zaffirus et in alio est unus balascus et in tertio una praxina. |