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que le précédent, dont il diffère peu. Avec quoi, en effet, le réfuterions-nous, si ce n'est avec cette même intelligence gouvernée par les lois inhérentes à sa nature, et en nous appuyant sur les idées qui sont précisément ici en cause? Mais si ce système est irréfutable, c'est qu'il se place aussi en dehors des conditions de toute réfutation.

L'objection que se fait Kant, toute intelligence peut se la faire, et elle reste sans solution. Dieu lui-même pourrait se l'adresser, et il resterait éternellement sceptique. Ceci prouve que le premier acte de la raison est un acte de foi à sa propre autorité. Sans cela, il est impossible d'échapper au doute absolu. La raison ne peut se démontrer à elle-même, parce qu'en matière de vérité, il n'y a rien au-dessus d'elle. L'opinion de Kant conduit, d'ailleurs, à des conséquences qui la réfutent et la condamnent. Ce système, la logique le pousse facilement à l'absurdité du scepticisme absolu. En vain son auteur, après avoir révoqué en doute, au point de vue spéculatif, l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et la liberté humaine, essaye-t-il de relever les croyances religieuses et morales à l'aide d'une distinction entre la raison théorique et la raison pratique. La raison n'est pas double; quoique diverse dans ses formes, elle est une et identique. Si elle est condamnée au doute dans une de ses formes essentielles, elle l'est dans toutes. « On ne fait pas au scepticisme sa part; dès qu'il a pénétré dans l'entendement, il l'envahit tout entier.» (Royer-Collard, Fragm. OEuvres de Reid, t. IV, 451.) Une autre réserve, faite par le philosophe allemand, n'est pas mieux fondée : il reconnaît la réalité des objets de l'expérience ou l'objectivité des perceptions sensibles; mais alors que sont les lois de la nature? Elles échappent aux sens, elles sont invisibles. Ces lois ne sont donc aussi que des formes de notre entendement, et nous les imposons à la nature. Pour ce qui est des causes qui agissent dans son sein, et de la substance des êtres, nous ne les apercevons pas non plus. Ce sont donc de pures conceptions de la raison, sans réalité en dehors de notre esprit. Le monde se réduit alors à un ensemble de phénomènes sans cause, de

propriétés sans substance, d'ombres sans réalité, de vaines apparences. Le même raisonnement démontre que les phénomènes de la conscience manquent également de base. Le moi n'est alors que la collection des phénomènes de la pensée; mais l'âme, la substance spirituelle, rien ne prouve qu'elle existe; c'est aussi une pure conception de la raison. Ainsi, ce système aboutit au scepticisme et à une sorte de nihilisme. Il n'y a qu'un moyen d'échapper à de telles conséquences; c'est de maintenir, avec le sens commun, l'autorité et la certitude de la raison et des vérités nécessaires, qui servent de base à toute science comme à toute doctrine religieuse et morale.

L'homme

6° CERTITUDE DU TÉMOIGNAGE DES HOMMES. possède une intelligence capable de connaître par ellemême la vérité, et ses facultés sont légitimes; mais seul et isolé de ses semblables, il ne saurait la développer. Fixé d'ailleurs, comme il l'est, à un point de l'espace et de la durée, combien, s'il en était réduit à sa propre expérience, l'horizon de ses connaissances ne serait-il pas borné? Vivant au contraire en rapport avec les êtres de son espèce, il est éminemment perfectible; l'éducation cultive et développe toutes ses facultés, elle lui transmet les vérités traditionnelles et les découvertes du passé; il communique avec tous les points du globe et recueille l'héritage des siècles. Cette merveille de la société humaine est l'œuvre du langage, et elle a pour condition l'autorité du témoignage des hommes.

Le scepticisme (Bayle) n'a pas plus épargné ce moyen de connaître la vérité que les autres motifs de certitude; mais il est facile de le réfuter en montrant ses absurdes conséquences. L'homme qui n'ajouterait aucune foi au témoignage de ses semblables serait, par là même, rayé de la société et obligé de vivre en solitaire. L'éducation a pour condition première la foi à la parole d'autrui. Ce scepticisme renverse à la fois tous les principes de la sociabilité, de la législation et de l'histoire.

Nous ne chercherons pas davantage à réfuter un autre

système qui, à l'opposé du précédent, fait reposer toute certitude sur le témoignage des hommes et sur le consentement général. (Lamennais.) Le cercle vicieux est palpable: s'il faut douter de la véracité de nos propres facultés, si la conscience, les sens, le raisonnement, la mémoire, nous trompent et ne méritent pas notre confiance, alors pour savoir, de science certaine, que j'existe, que le monde existe, que deux et deux font quatre, je dois consulter mes semblables et m'assurer si leur témoignage est unanime. Il est un autre point, et c'est le premier, sur lequel je dois aussi, apparemment, les consulter, savoir s'ils existent réellement euxmêmes, et si mes sens ne m'abusent pas à leur sujet comme sur les objets physiques. Les contradictions ridicules que ce système est forcé d'admettre pour ne pas tomber dans le scepticisme absolu, ont été trop de fois relevées pour qu'il soit nécessaire de l'entreprendre de nouveau.

:

Renfermé dans ses justes limites, savoir les faits que nous ne pouvons constater par nous-mêmes et les vérités qui dépassent la portée de notre esprit, le témoignage des hommes peut être environné de l'évidence et entraîner la certitude la plus complète; mais il doit être soumis à certaines conditions que doit approuver la raison. Le critérium de vérité est donc ici le même; et, loin que la certitude de la raison repose sur l'autorité du témoignage, c'est la certitude du témoignage qui repose sur l'évidence de la raison.

Ailleurs, nous rechercherons les conditions de la légitimité du témoignage et les moyens de discerner la vérité de l'erreur. (Méthode historique.)

CHAPITRE II.

DU SCEPTICISME.

S'il détruit tout, il ne se détruit pas moins lui-même. (PLATON, Euthydėme.)

Le scepticisme est le système qui nie la certitude, et proclame le doute l'état naturel de la raison humaine.

Il y a deux sortes de scepticisme. L'un, partiel, se borne à attaquer tel ou tel ordre de vérités, ou à contester la légitimité de quelqu'une de nos facultés. On le réfute en faisant voir que la vérité est une, qu'il n'y a pas deux sortes d'évidence, que la raison est identique dans tous ses jugements, que nos facultés sont solidaires les unes des autres. Ainsi, nier la vérité sous une de ses formes, révoquer en doute la légitimité d'un de nos moyens de connaître, c'est ébranler tout l'édifice de la connaissance humaine et frayer la voie du scepticisme universel, le seul qui soit conséquent.

Nous n'entreprendrons pas de réfuter tous les arguments des sceptiques. Les anciens les avaient ramenés d'abord à dix, puis à cinq. Ils sont tirés de trois sources: 1o de l'esprit qui juge; 2o des objets dont il juge; 3° du jugement luimême. Nous adoptons cette division déjà indiquée par Sextus Empiricus. (Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 14.) Nous suivrons le scepticisme dans ces trois voies, qui souvent se croisent et se confondent.

I. ARGUMENTS TIRÉS DE LA Nature de l'espRIT HUMAIN. 1o Le principal argument dirigé contre la faculté de juger ou la raison, est l'impossibilité où elle est de prouver sa propre légitimité et par suite la vérité. Ce qui s'établit ainsi : La raison ne peut rien démontrer qu'en s'appuyant sur un principe. Or, ce principe lui-même, qui en garantit la vérité, sinon un autre principe, qui lui-même est contenu dans

un autre, et ainsi à l'infini?« Pour juger des apparences que nous recevons des sujets, il nous faudrait un instrument judicatoire; pour vérifier cet instrument, il nous y faut de la démonstration; pour vérifier la démonstration, un instrument nous voilà au rouet... Aucune raison ne s'établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l'infini.» (Montaigne, Essais, II, 12.)

Tel est grand argument des anciens sceptiques : le Diallèle. (Sextus, ibid.) Tous les modernes l'ont répété.

S'il n'est irréfutable, « il suffit au moins, comme dit Pascal, pour embrouiller la matière. » Aristote l'a dit : « Ceux qui ne veulent se rendre qu'à la force du raisonnement demandent l'impossible. » (Mėt., IV.) Il y a folie de vouloir tenter la solution du problème posé en ces termes. La raison ne peut se démontrer elle-même, cela est évident; ni prouver l'évidence, cela est clair. Mais on échappe à la contradiction en n'acceptant pas le débat sur ce terrain, en récusant le raisonnement là où il n'est pas de mise, comme opération secondaire de l'esprit qui détruit la raison en voulant la remplacer. Si l'esprit voit la vérité, il n'est pas tenu de se la démontrer, et si la vérité se laisse voir ou se montre, elle est à elle-même sa preuve. Or, c'est ce qui a lieu. La vérité première se connaît par un acte direct, intuitif. (V. suprà.) L'unique médiateur entre elle et l'esprit, c'est la lumière qui la rend évidente et nous force à l'admettre. Il n'y a pas de contradiction à affirmer immédiatement ce qui se voit immédiatement. «Des philosophes, ajoute Aristote, pensent qu'on peut rendre raison de tout, et veulent y arriver par voie de démonstration. Ils veulent se rendre raison des choses dont il n'y a pas de raison. » (Ibid.) C'est le scepticisme qui tombe ici dans une contradiction palpable. Car, en niant l'évidence, il affirme la contradiction comme évidente et se détruit lui-même. Si l'objection a quelque valeur, c'est qu'elle est claire apparemment, et si la raison se contredit, c'est qu'il y a un principe qui dans le raisonnement défend à la raison de se contredire. L'admet-on ? la question est jugée et le scepticisme condamné par lui-même. Persiste-t-il à nier et

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