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signaler. Ici, l'expérience ne fournit que le point de départ. L'esprit passe sur-le-champ de la notion concrète à la notion abstraite, sans l'intermédiaire de la comparaison. Un acte de réflexion seul est nécessaire. Ainsi la réflexion, appliquée à un seul objet, conçoit l'unité que cet objet représente; à la vue de plusieurs objets, elle conçoit le nombre abstrait, et le rapport du nombre à l'unité ainsi que des nombres entre eux. (Voy. Platon, Phédon, Ménon.) Un corps étant donné, si l'esprit est attentif, il conçoit qu'il est dans un lieu, et que ce lieu est dans un espace sans limites qui renferme tous les corps, espace infini, nécessaire. De même, s'il est témoin d'un fait, il conçoit qu'il a une cause, et que tout fait a une cause, qu'il ne peut y avoir de phénomène sans cause. Il en est ainsi de tous les principes nécessaires et universels de la raison. Ici le cas particulier, le fait présent n'est qu'un exemple, qui ne sert nullement de base à l'induction. C'est le point de départ d'où l'esprit s'élève à la conception de l'idée générale, à la loi qui régit tous les cas particuliers, au principe qui domine l'expérience. Et il en est de même des vérités que l'esprit déduit de ces principes, ou qu'il construit à l'aide de ces axiômes. De sorte que la science tout entière sort de ces vérités, que l'esprit recèle en lui-même. « En ce sens, remarque Leibnitz, on doit dire, que toute l'arithmétique et toute la géométrie sont innées, et sont en nous d'une manière virtuelle.» (Nouv. Ess., ch. I.) C'est ce qui faisait dire à Platon : <«< Il saura sans avoir appris, tirant sa science de son propre fonds, avaλabwv autos ež KÚTOŰ TÀY ÊπISTÁμNY.» (Ménon.) Pascal enfant créant la Géométrie est la preuve frappante de ce procédé à priori.

Or, ce qui est vrai de la Géométrie, l'est de toutes les sciences rationnelles. En ce sens, elles sont innées. « L'homme n'enseigne pas l'homme », dit S. Augustin, l. c.

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S III.

Des degrés dans la formation des idées.

On doit distinguer plusieurs degrés dans la manière dont se forment et se développent dans notre esprit les idées et

les vérités nécessaires. La science reproduit ces divers aspects dans les divers systèmes où figure leur analyse.

1° La forme la plus élémentaire et la plus générale est celle qu'elles prennent dans l'intelligence de tous les hommes comme vérités ou principes du sens commun. C'est aussi la forme à laquelle s'arrête la philosophie écossaise. (Reid, OEuvr., t. V.)

2o On peut ensuite les concevoir comme les lois nécessaires et les formes de la raison. C'est le point de vue de Kant et de la philosophie kantienne. (Critique de la raison pure.)

3o Mais la science ne peut s'arrêter à ces points de vue inférieurs ou intermédiaires. Après avoir considéré ces idées comme constituant l'essence de la raison humaine, elle doit remonter à leur véritable source, ainsi que nous l'avons montré plus haut. Car, si elles sont l'essence de la raison humaine, elles sont cependant indépendantes de sa constitution actuelle et de ses lois. Elles ne gouvernent pas seulement notre esprit, tous les esprits sont régis par elles. Universelles et immuables, elles forment la raison même dans son caractère absolu. La raison humaine reconnaît son identité avec la raison dont elle est une émanation, dont elle participe, et où elle trouve sa propre origine. (Platon.)

En même temps, elle comprend que, si elles sont dans la raison absolue et dans l'homme, elles apparaissent aussi dans l'univers, dont elles forment l'harmonie, l'ordre et la beauté (Id.), que « ces vérités nécessaires contiennent la raison déterminante et le principe régulateur des existences, en un mot, les lois de l'univers. » (Leibnitz, Nouv. Ess.)

APPENDICE.

On ne peut trop insister sur les conséquences de la théorie précédente relatives à l'Éducation. Ou l'on considère, en effet, l'esprit humain comme un être purement passif et réceptif, et alors on se borne à transmettre les vérités de la science comme des faits positifs dont celui-ci n'est que le réceptacle et le dépositaire. Ou l'on conçoit l'esprit lui-même comme le véritable principe et l'artisan de ses propres connaissances, et, dans cette conviction, on devra sans cesse faire appel

à son activité, le stimuler et le diriger, le forcer à concevoir et å produire par lui-même. Car, dans les sciences mêmes où l'observation joue le principale rôle, l'esprit ne se borne pas à recueillir des faits, il doit les interpréter et en pénétrer le sens, les rattacher à leur loi et à leur fin, saisir leur ordre et leur enchainement. Quant aux sciences rationnelles pures, telles que les mathématiques et la logique, on peut dire qu'il les crée de toutes pièces; il tire de son propre fonds jusqu'aux matériaux eux-mêmes, qui sont les idées de la raison. Les hautes sciences ne s'apprennent pas, elles se comprennent. Savoir, ici, c'est comprendre, et comprendre, c'est ou rattacher par la pensée une vérité particulière à une vérité abstraite, ou saisir le lien des vérités entre elles.

C'est le vrai sens de la théorie de la réminiscence de Platon. « Ce qu'on appelle apprendre n'est que se ressouvenir. » (Ménon.) La conclusion de Socrate, qui est aussi celle de saint Augustin dans son Traité de la grandeur de l'Ame, est que, dans les sciences démonstratives, nul homme ne peut rien enseigner à un autre homme; que ce qu'on appelle art d'enseigner, dans un maître, n'est que l'art d'interroger son disciple avec méthode pour lui faire découvrir la verité dans son propre esprit, et que ce qu'on appelle apprendre, dans un disciple, n'est proprement que développer, par son attention, ses propres idées, dont l'existence, dans tous les esprits, est par conséquent indubitable.» (Le P. André, OEuvr. phil., éd. Cousin, p. 200.) « Apprendre, suppose qu'on puisse savoir; et savoir, suppose qu'on puisse avoir des idées universelles et des principes universels, qui, une fois pénétrés, nous fassent toujours tirer de semblables conséquences. » (Bossuet, Connaiss. de Dieu, ch. V, § 5.)

Ecoutons Fénelon. « Les hommes peuvent nous parler pour nous instruire; mais nous ne pouvons les croire qu'autant que nous trouvons une certaine conformité entre ce qu'ils nous disent et ce que nous dit le maitre intérieur; après qu'ils ont épuisé tous leurs raisonnements, il faut toujours revenir à lui et l'écouter pour la décision. Si un homme nous disait qu'une partie égale le tout dont elle est partie, nous ne pourrions nous empêcher de rire, et il se rendrait méprisable au lieu de nous persuader. C'est au fond de nous-mêmes, par la consultation du maître intérieur, que nous avons besoin de trouver les vérités qu'on nous enseigne, c'est-à-dire qu'on nous propose extérieurement. Ainsi, à proprement parler, il n'y a qu'un seul véritable maître qui enseigne tout et sans lequel on n'apprend rien. Les autres maîtres nous ramènent toujours à cette école intime où il parle seul. » (Fénelon, Exist. de Dieu, 1 partie, ch. II.)

« Je vous dis ce que je vois, et vous ne le voyez pas; c'est une preuve que l'homme n'instruit pas l'homme; c'est que je ne suis point votre maître ou votre docteur; c'est que je ne suis qu'un moniteur... je parle à vos oreilles. Apparemment je n'y fais que trop de bruit; mais votre unique maitre ne parle point encore assez clairement à votre esprit ; ou plutôt la raison lui parle sans cesse fort nettement; mais, faute d'attention, vous n'entendez point ce qu'elle nous répond.» (Malebranche, Entr. Mét., 3° entr., § 9.)

-En regard de ce langage profond et vrai des grands écrivains spiritualistes, plaçons celui des partisans de la théorie opposée: on verra combien sont fausses et superficielles leurs objections. Aussi nous regrettons de voir un philosophe respectable, à la fois adversaire et partisan de Condillac, après avoir restitué à l'âme son activité, partager ici le préjugé de l'école sensualiste. « Les idées innées, dit M. Laromiguière, sous quelque forme qu'on les présente, de quelque nom qu'on

les décore, de quelque couleur qu'on les embellisse, ne soutiennent pas l'examen de la raison, et la philosophie en les créant s'oublia ellemême pour faire l'office de l'imagination. L'homme n'entre pas dans la vie pourvu d'idées, riche de connaissances; l'ignorance est son état primitif. Nous ne savons que ce que nous avons appris... » (Leç. de Phil., 2o part., leçon 9.)

Nous en demandons pardon à la mémoire de l'ingénieux et spirituel auteur; mais dans cette discussion il ne paraît pas avoir saisi le vrai point de la question, qui n'est pas de savoir si l'homme entre dans la vie pourvu d'idées, mais comment il acquiert ses idées. « Nous ne savons, dit-il, que ce que nous avons appris. » Mais comment apprenonsnous? Qu'est-ce qu'apprendre? Tout le problème est là, et il est assez grave pour avoir donné à réfléchir à de grands penseurs, dont il faudrait traiter l'opinion moins légèrement. Quand on dit qu'il y a des vérités que l'homme n'apprend pas, et sans lesquelles il ne pourrait rien apprendre, on énonce une vérité triviale et cependant plus profonde. Elle a été, il est vrai, contestée et tournée en ridicule par les philosophes sensualistes, par les partisans de la table rase et de la statue; mais ce n'est pas une raison d'ériger leur sentiment en axiôme. Au risque d'émettre un paradoxe, nous dirions, nous, volontiers, que nous ne savons pas ce que nous n'avons fait qu'apprendre. De sorte qu'il faudrait retourner le mot de Cicéron, Tantum scimus quantum memoria tene

mus. »

Un philosophe sensualiste a dit avec beaucoup de vérité : « Chacun n'a que les idées qu'il s'est faites, et personne ne peut penser pour un autre. » (Destutt-Tracy, Idéol., ch. XVII.) Seulement cette phrase renverse tout le système sensualiste.

Nous terminerons par ces paroles de Platon : « Mais si tout ceci est vrai, il ne faut donc pas croire que la science s'apprenne de la manière dont certaines gens promettent de l'enseigner. Ils se vantent de pouvoir la faire entrer dans une âme où elle n'est point, à peu près comme on rendrait la vue à des yeux éteints. Mais le discours présent nous fait voir que chacun a dans son âme la faculté d'apprendre, avec un organe destiné à cela; que tout le secret consiste à tourner cet organe avec l'âme toute entière, etc. » (Rép., VII. Cf. Theétète, Phedon.)

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L'homme, esprit uni à un corps, a des organes qui le mettent en relation avec les objets extérieurs. Un autre moyen lui était nécessaire pour communiquer avec ses semblables, intelligences comme lui revêtues d'une enveloppe matérielle. Le langage lui a été donné, qui lui sert à transmettre ou exprimer sa pensée. Cette faculté ne le distingue pas moins du reste des animaux que la raison elle-même, qui sans cela serait inutile, ou ne pourrait se manifester (1). La parole ou le discours est le lien de la société humaine (2), il réunit ses membres épars dans l'espace et le temps. Par lui se fait l'éducation de l'individu et du genre humain.

Mais cette fonction n'est ni la seule ni la première du langage et de la parole. Les signes sont nécessaires à l'homme autant pour former sa pensée que pour l'exprimer. Ils interviennent dans toutes les opérations de son esprit; sans eux, il ne saurait concevoir, juger, raisonner. Cet usage de la parole n'a pas échappé aux anciens philosophes; c'est le sens du mot de Platon : « La pensée est un discours que l'âme se tient à elle-même. » (Théétète. Cf. le Sophiste.)

(1) «Sed ipsa ratio neque tam nos juvaret, neque tam esset in nobis manifesta, nisi quæ concepissemus mente promere etiam loquendo possemus.»> (Quintilien, II, 16.) —« Moderationem vocis, orationis vim, quæ conciliatrix est humanæ maxime societatis. » (Cicéron, De Leg. I, 9.)

(2) Societatis humanæ vinculum est ratio et oratio. » (Cic., De Offic. I,16.)

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