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S II.

Des actes propres de l'entendement.

On a vu quels sont les objets de l'entendement; examinons ses actes.

La raison, en effet, ne se distingue pas moins par ses actes que par son objet. Les actes qui lui sont propres et qu'il faut bien se garder de confondre avec les opérations inférieures du raisonnement, sont la conception, la compréhension et le jugement. A la raison seule appartient aussi le savoir, dans l'acception élevée et véritable du terme. (Platon.) Tous ces actes transcendants de l'esprit diffèrent essentiellement de la simple perception sensible et ils ont été reconnus par tous les vrais philosophes Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz, etc.

1o Il y a une différence essentielle entre voir et concevoir; apprendre et comprendre; imaginer et entendre. L'intuition rationnelle par laquelle je conçois l'espace, le temps infini, la cause nécessaire ou la substance, le vrai, en un mot, caché sous l'apparence, n'a rien de commun avec les perceptions de mes sens. C'est une opération supérieure, pure de toute image ou représentation sensible. Apprendre, au sens vulgaire, c'est simplement retenir un fait, l'enregistrer dans sa mémoire; comprendre (comprehendere), c'est saisir simultanément et dans leur rapport le fait, l'objet sensible, et l'idée ou le principe qui l'explique et le rend intelligible: c'est là le vrai sens du mot entendre (intelligere), et l'opération propre de l'intellect. C'est concevoir l'être et la raison d'être, rattacher l'existence réelle à sa cause ou à son principe, en saisir le pourquoi ou le comment; c'est embrasser dans une notion simple le double objet de la connaissance, le visible et l'invisible, le contingent et le nécessaire. «L'entendement, dit Bossuet, a pour objet quelque raison qui nous est connue. » (C. de D., ch. IV, § v.) Ce que le fabuliste exprime très-bien dans ces vers:

Mon âme, en toute occasion,

Développe le vrai caché sous l'apparence.

(LA FONTAINE, F. VII, 18.)

Il en résulte, qu'en réalité, la raison ne comprend qu'ellemême; ses propres idées lui rendent intelligible tout le

reste.

2o A la raison seule il appartient aussi de juger. L'acte d'affirmer la vérité comme celui de la concevoir vient de la même faculté; autrement l'affirmation n'est plus légitime. Soit que l'esprit affirme sur la simple notion immédiate, soit qu'il ne prononce qu'à la suite d'une comparaison, intuitif ou comparatif, le jugement émane de la raison. C'est la raison qui prononce sur le vrai et le faux et les discerne. Elle applique la règle et la mesure qui sont en elle seule. Toutes les fois que la passion ou la volonté s'empare de son rôle et usurpe sa fonction, le jugement est déplacé, transporté à un tribunal illégitime; là est la première source de toute erreur. (Voy. Jugement, Erreurs.)

3° Savoir, dans le vrai sens (inistas, Platon, Rép. VI. Aristote, Métaph., I.), ce n'est pas seulement posséder ou se rappeler des notions positives et les coordonner dans son esprit; c'est s'en rendre compte, c'est-à-dire les rattacher à des principes clairs et certains par eux-mêmes, et qui n'aient pas besoin d'explication.

Par là, la science a été distinguée de l'opinion, qui juge sans motif suffisant, et même de la connaissance raisonnée, qui ne s'appuie que sur des principes hypothétiques ou conditionnés ; ce qui est un demi-savoir, un intermédiaire entre la vérité et l'erreur, comme l'affirme Platon, et après lui Aristote (1).

Quant à l'évidence de la raison, il faut aussi distinguer cette lumière supérieure de la clarté fausse et trompeuse des sens, qui souvent nous abuse et produit l'illusion au lieu de la certitude. (Voy. Certitude.)

Ces actes reconnus, rien de plus aisé que de distinguer la raison ou l'entendement des autres facultés de l'intelligence et des opératious du raisonnement, qui ont usurpé son nom dans plusieurs systèmes.

(1) Voy. Platon, Rép., liv. VI, et Aristote, Analyt. Post. lib. II, c. 33.

1o Les sens perçoivent les qualités des corps, non leur substance, ni l'espace qui les renferme, ni les lois qui régissent leur existence. La raison conçoit ces choses; elle conçoit aussi le rapport qui unit les deux termes de la connaissance. Les sens par eux-mêmes ne peuvent juger de la vérité. Non est judicium veritatis in sensibus. (Bacon, de Dignit. Scient.) Les sens proposent, la raison juge. (Bossuet.) Par là même, «< il n'y a que la raison qui puisse errer » (Id.), et les erreurs des sens sont celles de la raison. La raison redresse mes sens, lorsqu'ils me font voir une forme qui n'est pas la véritable (1). C'est elle qui calcule et apprécie la distance ainsi que la position relative des objets et leurs proportions. Le jugement que nous portons sur la proportion, la régularité, l'ordre et la beauté dans les choses du monde extérieur, est également l'œuvre de la raison. « Nous avons beau dire que cette beauté se voit à l'œil ou que cet objet est agréable aux yeux : ce jugement nous vient par ces sortes de réflexions secrètes qui, pour être vives et promptes et pour suivre de près les sensations, sont confondues avec elles (Id.) (2). »

Il y a aussi une grande différence entre imaginer et entendre. «Imaginer l'homme, c'est s'en représenter un de grande ou petite taille, blanc ou basané, sain ou malade ; l'entendre, c'est concevoir seulement que c'est un animal raisonnable, sans s'arrêter à aucune de ses qualités particulières (3). »

Il faut également se garder de confondre la raison avec le

(1) Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse. (La Font.) (2) Il y a des actes de l'entendement qui suivent de si près les sensations, que nous les confondons avec elles. Le jugement que nous faisons des proportions et de l'ordre qui en résulte est de cette sorte. Connaitre les proportions est l'ouvrage de la raison. Le rapport de la raison et de l'ordre est extrême. L'ordre ne peut être mis dans les choses que par la raison, ni être entendu que par elle. Il est l'âme de la raison et est son propre objet. Apercevoir la beauté et en juger est un usage de l'esprit, puisque la beauté ne consiste que dans l'ordre, c'est-à-dire dans l'arrangement et la proportion. (Bossuet, C. de D., ch. 1, § VIII.)

(3) Voy. la différence établie par Descartes entre l'imagination et la pure intellection. (Médit. VI.)

« Entendre s'étend beaucoup plus loin qu'imaginer; car on ne peut imaginer que les choses corporelles, au lieu qu'on peut entendre les choses tant corporelles que spirituelles, Dieu, l'âme, les idées de la bonté, de la vérité, de la justice, de la sainteté.» (Bossuet, Conn. de Dieu, ch. I.)

raisonnement. Le raisonnement est une opération de l'esprit qui consiste à comparer plusieurs idées pour apercevoir leur rapport, à déduire les conséquences d'un principe. Or, il est évident que la faculté de raisonner s'appuie sur une faculté plus haute. Otez au raisonnement ses principes, il est frappé d'impuissance et de stérilité. Mais les véritables principes du raisonnement ne sont pas donnés par le raisonnement. Les vérités premières sont révélées par la raison. En outre, la raison intervient dans le travail du raisonnement. Celui-ci ne fait que disposer les matériaux dans l'ordre convenable; il les met sous les yeux de l'esprit, qui, seul, saisit le rapport entre les conséquences et le principe. La faculté discursive s'appuie donc encore ici sur la faculté intuitive, qui conçoit et qui juge. La connexion des vérités ne peut être établie que par la même faculté qui comprend la vérité en général, et chaque vérité particulière dans son rapport avec elle. (Voy. Raisonnement.)

SIII. De l'essence de la Raison et de ses formes.

Si, maintenant, nous cherchons quelle est l'essence de la raison, voici ce que nous dirons, d'accord avec les plus grands philosophes. Sans doute la raison est en nous. C'est moi qui conçois la vérité, moi qui juge et qui raisonne. Sous ce rapport, la raison est personnelle. Mais si je creuse plus avant, je m'aperçois bientôt que le fond de ma raison n'est pas moi, ma personne, mon individu; que cette lumière intérieure qui me montre la vérité et m'illumine au-dedans, ne m'appartient pas en propre (1), qu'elle est indépendante de moi et supérieure à moi (2). De même, la vérité m'apparaît, elle se manifeste et se révèle à moi. Je la vois, je ne la fais pas. Les idées et les vérités qui forment la base et la

(1)« L'homme n'est point à lui-même sa propre lumière... il ne connalt rien que par la lumière de la raison... J'entends toujours de cette raison universelle qui éclaire tous les esprits par les idées intelligibles qu'elle leur découvre dans sa substance toute lumineuse. » (Malebranche, Entr. sur la Métaphys., III, § 3.)

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(2)«Ils ne peuvent trouver la vie des intelligences que dans la raison universelle qui anime tous les esprits. » (Id., ibid.)

substance de ma raison ne m'appartiennent pas plus en propre qu'à tout autre de mes semblables (1). Elles forment le domaine commun de tous les êtres intelligents. Aussi les appelle-t-on vérités universelles (2). Ainsi, ce qui m'appartient le moins en moi-même, c'est ma raison. Elle est en moi; elle n'est pas moi. Les intelligences individuelles participent de la raison universelle, qui ne s'individualise jamais au point de se confondre avec chacune d'elles. Dans sa racine et son essence, la raison est donc impersonnelle. Par là elle diffère de la sensibilité et de la volonté.

Plus je creuse avant dans mes affections, plus je me trouve moi-même; plus je pénètre au fond de ma raison, plus je m'efface pour faire place à la raison. Ce qui est réellement moi, ce qui constitue ma personnalité, c'est ma volonté. Les actes qui m'appartiennent véritablement sont ceux que j'ai délibérés et voulus. Je ne puis pas dire de la vérité : ma vérité, lors même que je l'ai découverte; mais l'acte que j'ai prémédité, résolu, exécuté, m'appartient tout entier parce qu'il est émané de moi. La raison se mêle à la personnalité; elle en revêt plus ou moins les formes; mais elle s'en

(1) « Si mon esprit était ma raison ou ma lumière, mon esprit serait la raison de toutes les intelligences, car je sais que ma raison ou ma lumière éclaire toutes les intelligences. » (Malebranche, Tr. de Morale, ch, I.)

(2) Il n'y a point deux ou plusieurs sagesses, deux ou plusieurs raisons universelles. La vérité est immuable, nécessaire, éternelle, la même dans le temps et dans l'éternité, la même parmi nous et les étrangers, la même dans le ciel et dans les enfers. Le Verbe éternel parle à toutes les nations le même langage, aux Chinois et aux Tartares comme aux Français et aux Espagnols; et s'ils ne sont pas également éclairés, c'est qu'ils sont inégalement attentifs; c'est qu'ils mêlent les uns plus, les autres moins, les inspirations particulières de leur amour-propre avec les réponses générales de la vérité intérieure.» (Ibid.)

◄ A la vérité, ma raison est en moi; car il faut que je rentre sans cesse en moi-même pour la trouver. Mais la raison supérieure qui me corrige dans le besoin, et que je consulte, n'est point à moi, et elle ne fait point partie de inoi-même. Cette règle est parfaite et immuable; je suis changeant et imparfait. Quand je me trompe, elle ne perd point sa droiture; quand je me détrompe, ce n'est pas elle qui revient au but. C'est elle qui, sans s'en être jamais écartée, a l'autorité sur moi de m'y rappeler et de m'y faire revenir. C'est un maître intérieur qui me fait taire, qui me fait parler, qui me fait croire, qui me fait douter, qui me fait avouer mes erreurs ou confirmer mes jugements. En l'écoutant, je m'instruis; en m'écoutant moi-même, je m'égare. Ce maître est partout, et sa voix se fait entendre d'un bout de l'univers à l'autre, à tous les hommes comme à moi. Pendant qu'il me corrige en France, il corrige d'autres hommes à la Chine, au Japon, dans le Mexique et dans le Pérou, par les mêmes principes.» (Fénelon, Exist. de Dieu, 1re partie, I.)

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