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lui, Voltaire, étoit né son voisin dans la cour du Palais; qu'il avoit passé son enfance chez son neveu Dongois, et vu le directeur de son jardin d'Auteuil, et d'autres fadaises de même espèce, dont les grâces d'une versification naturelle, facile et brillante, ne sauroient déguiser l'insipidité? Falloit-il écrire à Horace pour lui parler de l'abbé de Mably, de l'abbé Nonotte, et lui raconter l'histoire d'Auguste avec celle de saint Ignace et de Calvin ? Du moins Boileau, dans son épître à son jardinier, s'appuie sur un fonds d'idées intéressantes et instructives; il compare le travail d'esprit avec le travail des mains, parallèle très-piquant, d'où il résulte contre l'opinion populaire, que les occupations du cabinet sont des travaux très-réels ; et l'auteur, s'élevant ensuite à de plus hautes considérations, montre que le travail est nécessaire au bonheur de l'homme. Qu'on parcoure ainsi toutes les épîtres de cet écrivain, accusé par nos penseurs de manquer d'idées, et de n'être qu'un habile enfileur de mots, on verra qu'elles renferment des points très-importants de philosophie morale, soit que l'auteur fasse voir que la véritable félicité consiste dans la connoissance de soi-même, soit qu'il approfondisse la nature du vrai, soit qu'il expose les dangers de la mauvaise honte, soit enfin qu'il montre à un roi guerrier et conquérant les avantages de la paix, et les écueils d'une ambition déréglée.

La méthode expéditive adoptée par nos auteurs actuels, et en particulier par M. l'Habitant du Jura, me paroît avoir deux inconvénients : elle étouffe le sujet principal, et réduit l'ouvrage à n'être qu'une histoire fort peu intéressante, ou qu'une espèce d'éloge historique de celui à qui l'épître est adressée ; ce qui, dans tous les cas, est insipide, mais surtout quand ce dernier est un anteur vivant : ainsi le poëte du Jura ne semble

avoir pris pour texte une peasée juste, solide et intéressante, que pour substituer aux développements qu'elle pouvoit lui fournir, un long et ennuyeux éloge de M. Palissot ; et le vice de cette méthode, qui seroit toujours très-sensible, quand même cet éternel panégyrique seroit juste de tout point, le devient encore plus par la fausseté trop évidente de quelques-uns de ces nombreux compliments qui se succèdent sans interruption, et par l'emphase des termes peu proportionnés au sujet l'auteur n'auroit pu employer des expressions plus pompeuses, un style plus ambitieux, quand il auroit voulu faire l'éloge d'un des plus grands génies de notre littérature.

Il auroit dû s'interroger d'abord, et se dire à luimême: Je veux faire une épître à M. Palissot. Qu'estce que M. Palissot? Et s'il avoit écouté son jugement plus que son imagination ou son affection, il auroit reconnu que M. Palissot n'est qu'un écrivain médiocre, pur et correct, si l'on veut, mais sans verve et sans chaleur, et qui, ainsi que beaucoup d'autres, n'a fait quelque sensation dans le dix-huitième siècle que par ses contradictions; alternativement le flatteur et le zoïle des deux partis, qui ont également refusé à son caractère la considération qu'il ne pouvoit obtenir par ses talents. Il n'y a pas là, je pense, de quoi emboucher la trompette, et il me paroît bien ridicule de débuter, en écrivant à M. Palissot, par ce vers emphatique :

Une grande pensée a produit tes ouvrages.

C'est assurément tout ce qu'on pourroit dire des plus fameux écrivains. Dans la suite de son épître, l'auteur sontient toujours ce même ton d'emphase:

Des principes du goût heureux dépositaire,
Tu gardes, presque seul, sa flamme héréditaire

Dans un siècle rebelle aux leçons de Boileau.
Vers la simple nature, à la source du beau;
Loin du faux bel-esprit, c'est toi qui nous rappelles,
C'est toi qui réfléchis l'éclat des grands modèles
Sur l'horison des arts tous les jours plus obscur.

C'est pousser la flatterie bien plus loin. Qui est-ce qui lit aujourd'hui les ouvrages de M. Palissot, qui, suivant M. l'Habitant du Jura, nous rappelle à la simple nature, et réfléchit l'éclat des grands modèles sur l'horison des arts? Ils ont totalement perdu l'espèce de vogue qui les soutint momentanément : ils sont morts, et l'auteur se survit à lui-même. Le poëte prodigue les comparaisons pour relever son héros; tantôt il en fait un antique sapin qui percé sur le Jura la neige des hivers; tantôt il en fait un astre ; mais, dans cette dernière comparaison, il semble avoir maîtrisé son enthousiasme disposé sans doute à nous représenter M. Palissot comme un soleil, il a senti que l'image étoit un peu trop brillante; seulement, comme il falloit à toute force le placer dans les cieux, il s'est contenté de le comparer à la lune :

Tel apparoît cet astre et solitaire et par,
Qui, lorsque le soleil a fini sa carrière,

De ce flambeau du monde empruntant la lumière,
Au milieu des vapeurs nous éclaire à son tour,
Et prolonge à nos yeux la clarté d'un beau jour.

Le mauvais plan que l'auteur a suivi l'a forcé à parler de tous les ouvrages de M. Palissot : il auroit fallu cependant se garder de rappeler des pièces de théâtre aussi foibles que les Courtisanes et l'Homme dangereux, et sur-tout de s'écrier, après avoir cité ces deux pièces :

C'est ainsi que toi seul a saisi dans tes vers
De ton siècle égaré les plussaillants travers!

Que cette exclamation est mal placée, lorsqu'il s'agit

de deux mauvaises comédies absolument inconnues! L'auteur ne me paroît pas avoir montré plus de jugement, lorsqu'il a mis sur la même ligne la comédie des Philosophes et la Métromanie de Piron : l'une est un ouvrage plein d'invention, de verve et de style; l'autre, quoique bien écrite, est vide et froide. Le poëte auroit dû éviter de se faire à lui-même cette demande, à l'occasion de la Dunciade:

que

Est-ce le fruit amer de la méchanceté?

A quoi il répond: Non; réponse beaucoup trop tranchante, en parlant d'un poëme où la satire est poussée jusqu'au cynisme, et dont la plupart des vers semblent avoir été écrits avec le fiel le plus noir. Les Mémoires littéraires de M. Palissot ne servent à M. l'Habitant du Jura louer en vers tous les auteurs de texte pour que M. Palissot a loués en prose. Il enfile une longue kirielle de vers plus ou moins connus, dont quelques-uns méritent assurément les éloges qu'il leur donne, mais dont la plupart figureroient mieux dans une satire que dans un panégyrique : ainsi, l'éloge de M. Palissot se trouve flanqué de l'éloge de plus de vingt autres écrivains; ce qui prouve que l'auteur, qui s'étoit proposé de faire l'apologie de la Satire, est entièrement désintéressé dans cette cause, et n'a qu'une grande disposition à louer tout le monde.

Il a donc tout à la fois manqué son sujet et méconnu le ton qui pouvoit y convenir : il avoit pour but de but de prouver que l'esprit satirique peut s'allier avec la bonté du cœur; mais il a senti qu'il étoit plus facile de faire un éloge emphatiquement historique de M. Palissot que de traiter la question. Son intention n'en est pas moins bonne, et son style n'est pas sans quelque mérite : il est, en général, clair et pur. L'expérience apprendra à l'auteur, qui sans

doute est jeune, et qui paroît n'avoir cherché qu'une matière de vers, qu'il ne suffit pas de bien écrire, mais qu'il faut mettre encore dans ce qu'on écrit de la convenance, de la justesse et du sens : tels sont les gages du succès :

Hic meret ara liber sociis: hic et mare transit,

Et longum noto scriptori prorogat œvum.

Y.

LII.

Sur les Poésies de CLOTILDE de Surville.

ON On a assez critiqué les poëtes de notre siècle sans les corriger, sans les persuader; on a assez loué les poëtes du grand siècle sans ajouter à leur gloire; il est assez prouvé que les poésies des premiers sont très-médiocres, souvent très-ridicules; il est assez prouvé que celles des grands écrivains qui illustrèrent le règne de Louis XIV sont admirables. Pour dire quelque chose de nouveau remontons à ce qui a été fait il y a trois ou quatre siècles, et

Parlons un peu ce soir de madame Clotilde.

de ce phénomène littéraire qui, après avoir lui sur la France plongée dans les ténèbres de l'ignorance et de la barbarie, et déchirée par les fureurs de l'anarchie et d'une guerre civile et étrangère, avoit été ensevelie dans une profonde nuit pendant plus de trois cents ans, et reparoît enfin comme pour éclairer un siècle savant et poli, et lui apprendre à mettre de la raison, du goût, du naturel et de la poésie dans ses vers.

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