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losophie une puissance organisée, qui lui rallia tous les jeunes libertins, qui donna pour troupes légères tous les jeunes auteurs enivrés de ses éloges, et concourut à enfanter ces rassemblemens séditieux qui depuis ont été convertis en clubs révolutionnaires? N'avoit-il pas ses espions et ses familiers comme l'inquisition? Enfin, ne poursuivit-il pas avec fureur, autant qu'il dirigea avec une ruse savante, le projet de détruire le christianisme, ou pour parler son langage connu, d'écraser l'infâme? Et que lui manquoit-il donc pour réaliser son projet ? que d'avoir des soldats à son commandement. Aussi disoit-il en confidence à d'Alembert; Si j'avois cent mille hommes, je sais bien ce que je ferois. Et qu'auroit-il donc fait ? Qui pourroit en douter? Il auroit fait pendre Nonotte, rouer Coge Pecus, brûler vif la Beaumelle et Fréron, et par pure commisération, raser de fond en comble la Sorbonne, pour avoir eu l'audace de censurer ses livres. Et qu'auroit-il fait encore? Il auroit écrasé l'infâme, non plus avec des sarcasmes, non plus avec des mensonges, non plus avec ces turpitudes cyniques qui ont déshonoré sa vieillesse, mais à coups de baïonnettes, et en poussant l'épée dans les reins à tout réfractaire qui n'auroit pas voulu baiser la pantoufle du grand Lama siégeant au château des Délices. D'où il faut conclure que quand les philosophes n'ont pas produit des querelles sanglantes, c'est qu'ils ne l'ont pas pu; c'est qu'ils les ont suscitées dès qu'ils l'ont pu ; c'est qu'ils les susciteront encore, quand ils le pourront; c'est que ce n'est donc plus de l'emportement et du fanatisme religieux dont il faut se garder aujourd'hui, maís du despotisme des sectes anti-religieuses; mais de l'esprit d'audace et de révolte attaché à tout esprit systématique et raisonneur; mais de l'orgueil irascible, et de l'amourpropre exalté de ces novateurs assez fous pour se croire

Tome V.

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sans préjugés, et qui regardent en pitié tout ce qu'ils croient des préjugés; mais, pour tout dire enfin, du fanatisme des faux sages, toujours rampans quand ils sont foibles, et affreux quand ils sont puissans.

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Ainsi, M. le professeur de l'Athénée a été au moins très-imprudent de nous parler des querelles presque toujours sanglantes sur des hérésies: d'abord parce que ces querelles n'ont presque jamais été sanglantes; ensuite, parce que celles qui ont pu l'être, étoient l'ouvrage des princes protecteurs de l'hérésie, tels que le grand Julien, zélé partisan des donatistes et des ariens, uniquement en haine de l'Église catholique ; et enfin parce qu'en parlant de querelles sanglantes, il réveille de fâcheux souvenirs pour la philosophie moderne, et provoque par là les tristes représailles dont on peut se servir contre elle. Philosophes, nous vous proposons un marché d'autant plus généreux et plus honnête à votre égard, que vous y avez tout à gagner. Ne parlez plus des querelles sanglantes de nos pères, si vous ne voulez pas que nous parlions de celles de leurs enfans. Vous voulez qu'on oublie, et nous aussi. Vous voulez qu'on pardonne, et nous encore plus, puisque le pardon est pour nous un précepte, et que pour vous il n'est pas même un conseil. Mais soyez au moins prudens, si vous ne voulez pas être justes. N'affectez pas sans cesse de relever les malheurs dont la religion a été le prétexte, et que ses maximes condamnent expressément, si vous ne voulez que nous fassions justice de ceux dont la philosophie a été la cause, et que ses principes justifient formellement ; et n'oubliez jamais que vos livres bien expliqués ont fait plus couler de sang pendant cinq années de révolution, que l'Évangile mal entendu n'en a fait verser pendant cinq siècles d'ignorance et de barbarie....

Tout enchanté de la superbe expérience que nous ve

nons de faire, tout ébahi des progrès de nos lumières et de ceux de notre morale, M. Chénier nous en promet de plus heureux encore, et il s'écrie en finissant, avec un ton d'illuminé et de prophète : « N'en doutons pas, le » siècle qui commence sera digne des siècles qui l'ont précédé. Les idées saines prévaudront parmi nous >> contre les clameurs fanatiques. La philosophie ne sera >> pas contrainte de se réfugier dans les consciences. >>

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Voilà un fort beau compliment que fait ici M. Chénier aux Velches nouveaux, traités si durement par lui dans sa dernière épître à Voltaire; et nous ne voyons pas trop comment ces nouveaux Velches se trouvent dignes tout à coup d'une si haute destinée. Mais de quels siècles, parmi ceux qui nous ont précédés, sera donc digne le siècle qui commence? Ce n'est pas des siècles barbares, rouillés par la théologie, et où l'esprit humain faisoit platement ses fonctions, sans se douter comment il s'y prenoit pour former une idée. Ce n'est point du siècle de Louis XIV, qui étoit le règne de la décence, de la gravité, du tact exquis des convenances, du respect de l'antiquité, de l'amour de la religion et de la piété, toutes choses qui n'ont rien de commun avec M. Chénier, et dont son Athénée ne se soucie pas davantage. Ce n'est donc que du siècle dix-huitième dont il veut nous parler, et dont le siècle qui commence sera digne; et alors c'est évidemment nous promettre de revenir au mauvais goût, à l'indécence, à l'engouement, à la frivolité, à la folie des innovations, et au mépris de toutes les règles dans les arts, et de tous les principes dans la morale. Vraiment il n'y a pas là de quoi montrer tant de suffisance, et se donner un air d'oracle.

Que veut-il dire encore par ces idées saines qui doivent prévaloir contre les clameurs fanatiques? Sontce les idées de la liberté, de l'égalité, de la souveraineté

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du peuple, pour lesquelles a tant combattu M. le professeur, et contre lesquelles les fanatiques se sont tant récriés ? Les idées du juste et de l'injuste seront-elles encore confondues? Faudra-t-il donc encore recommencer, à nouveaux frais, et reprendre en sous-œuvre notre éducation civiquè, à nos risques et périls? Sont-ce encore les temples de la raison qui doivent reparoître ? Verrons-nous encore des apothéoses de brigands; et quelque poète nous fera-t-il encore quelque rapport pour nous prouver que des bourreaux méritent des autels ?...

Le prophète nous annonce que la philosophie ne sera plus contrainte de se réfugier dans les consciences. Admirons d'abord comment des hommes qui se font gloire de n'avoir point d'ame, ont néanmoins la prétention d'avoir une conscience; nous pouvons ensuite demander au prophète quand est-ce qu'on a forcé les barrières de sa conscience; et quand a-t-il donc vu la philosophie contrainte de se réfugier dans les consciences? Est-ce dans le siècle des lumières, où tout étoit à ses ordres, quand des ministres philosophes n'encourageoient que ses suppôts, et engraissoient ses fainéans lettrés du sang du pauvre peuple; quand ses principaux chefs se réfugioient dans les cours, où des rois, aussi aveugles que pervers, les pensionnoient largement, et les prenoient pour leurs bouffons; quand elle se réfugioit dans toutes les académies, dans tous les bureaux, dans toutes les places, et qu'enfin toutes les avenues de la gloire et de la fortune étoient ouverts aux écrivains audacieux qui ne savoient que mépriser leur gouvernement et même leur pays? Ah! plût au ciel qu'on eût forcé la philosophie de se réfugier dans les consciences, et que l'on eût mis un bâillon à tous ces factieux ani ne vouloient que s'élever sur les débris de leur pa

trie, et à tous ces valets insolens qui ne cherchoient qu'à détrôner leur maître! Mais, en attendant que M. Chénier nous montre comment la philosophie du dix-huitième siècle étoit contrainte de se réfugier dans les consciences, nous lui désignerons bien clairement l'époque où la religion étoit contrainte de se réfugier dans les consciences, où tous les gens de bien étoient forcés de se réfugier dans les catacombes. Nous lui prouverons, avec non moins de certitude, que ce temps étoit celui où les philosophes régnoient, où tous nos biens, notre liberté, notre vie, étoient à la merci de leur conscience, où ils nous égorgeoient en toute sûreté de conscience; et nous le forcerons de convenir, que sans un miracle sensible de la Providence, qui nous a retirés de l'abîme, nous en serions encore tous, aux philosophes près, à nous réfugier dans nos consciences.

Mais non, n'en doutons pas, les idées saines prévaudront, malgré M. Chénier et les clameurs philosophiques. Les idées d'ordre, de morale, de religion, de monarchie, toutes idées que la philosophie moderne repoussoit, reprendront leur empire. Le prestige des folles théories est enfin dissipé. Quelques vieux libertins, quelques jeunes étourdis, quelques personnes désœuvrées, qui s'amusent également et de l'erreur et de la vérité, et ne se rappellent pas plus le passé qu'ils ne prévoient l'avenir, pourront bien applaudir, pour leur argent, à quelques sarcasmes usés, à quelques plaisanteries réchauffées, à quelques calomnies mille fois confondues. Mais la partie saine de la nation reconnoît la voix des sophistes qui l'ont égarée; un gouvernement sage surveille ces ennemis de sa tranquillité et de sa gloire, et quels que soient les derniers efforts d'un parti aux abois, se débattant encore contre le mépris qui l'accable et l'indignation qui le poursuit, ses

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