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mémoire ne lui en fournissoit pas. pas. Tout y étoit particulier, et même personnel; et il n'y avoit de général qu'un esprit de haine et de détraction de la politique et de la religion modernes. Ainsi il étoit indispensable, pour écrire l'histoire philosophiquement, de donner toujours aux gouvernements anciens la préférence sur les gouvernements modernes; et généralement, aux temps du paganisme sur les temps chrétiens. La liberté se trouvoit nécessairement dans les constitutions des anciens, toutes plus ou moins démocratiques, la perfection dans leurs moeurs; la vertu étoit le ressort unique de leurs gouvernements; et si leur religion n'étoit

très-raisonnable, elle étoit tout-à-fait politique. En un mot, il n'y avoit de raison, de génie, de courage, d'amour de la patrie, de respect pour les lois, d'élévation dans les ames, de dignité dans les caractères, de grandeur dans les événements, que chez les Grecs et les Romains. Les Chrétiens ont été le peuple le plus ignorant, le plus superstitieux, le plus foible, opprimé par ses gouvernements monarchiques, dégradé par sa religion absurde; et plus d'un philosophe leur a préféré les Mahométans et même les Iroquois. La religion chrétienne a été coupable de tous les malheurs du monde; ses ministres, de tous les crimes ou de toutes les fautes des gouvernements, et il étoit tout-à-fait philosophique de l'accuser de toute l'ignorance des peuples, quoiqu'elle seule les ait éclairés, et de toute leur férocité, quoiqu'elle seule les ait adoucis.

Mais il étoit surtout nécessaire, si l'on aspiroit au titre d'historien philosophe, de s'élever avec amertume, et à tout propos contre les prétentions surannées de quelques papes sur l'autorité temporelle; il falloit les représenter (lors même qu'ils étoient menés par la force des choses là où ils ne vouloient pas aller)

comme des conquérants tonjours armés, comme le Jupiter de la Fable, la foudre à la main, ébranlant l'univers d'un mouvement de ses sourcils. Il eût été peutêtre plus philosophique, et même, je crois, vraiment philosophique, d'observer que dans des temps où le caractère personnel des rois se ressentoit des mœurs féroces et grossières des peuples, où l'administration n'étoit pas plus éclairée que les constitutions n'étoient définies, l'Europe, encore mal affermie dans les voies du christianisme, seroit retombée dans un chaos pire que celui dont elle étoit sortie avec tant d'efforts, s'il n'y avoit eu d'autre recours contre les fautes, ou plutôt contre les erreurs des rois emportés, que l'insurrec tion des peuples barbares, et qu'il étoit, je ne dis pas utile, mais nécessaire que les peuples vissent quelque pouvoir au-dessus de celui de leurs maîtres, de peur qu'ils ne fussent tentés d'y placer le leur. Ce sont ces rigueurs, quelquefois excessives et peu mesurées, qui ont accoutumé au joug des lois ces enfants indociles qu'il falloit châtier avec la verge, en attendant de pouvoir un jour les guider par une raison plus éclairée; et l'Europe aujourd'hui n'avoit pas plus à craindre le retour de ces mesures sévères, que l'homme fait ne peut redouter les corrections de l'enfance. La religion punissoit des rois enfants par l'excommunication: quand ils sont devenus grands, et qu'ils ont eu secoué le jong de leur mère, la philosophie les a punis par l'échafaud. Les rigueurs de la religion ne pouvoient produire aucune révolution populaire, parce que le même pouvoir qui réprimoit les rois eût réprimé les peuples, et même eût été plus fort contre les peuples que contre les rois. Mais la philosophie a été aussi impuissante contre les peuples qu'elle a été forte contre les rois elle a reconnu, mais trop tard (pour me servir des pa

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roles de M. Condorcet), que la force du peuple peut devenir dangereuse pour lui-même; et après lui avoir appris à en faire usage, lorsqu'elle a voulu lui enseigner à la soumettre à la loi, elle a éprouvé que ce second ouvrage, qu'elle ne croyoit pas, à beaucoup près, si long et si pénible que le premier, étoit non-seulement moins aisé, mais tout-à-fait impossible; et le monde a appris, par une mémorable expérience la vérité de cette parole, que les rois ne règnent que par Dieu, et qu'il ne faut pas moins que le pouvoir divin pour contenir le pouvoir populaire.

Il étoit donc extrêmement philosophique de méconnoître tout ce que les papes ont fait pour la civilisation du monde; et si quelques-uns d'entre eux ont trouvé grâce aux yeux des philosophes du dix-huitième siècle, c'est pour avoir favorisé la culture et récompensé les progrès des arts agréables, quoique, à vrai dire, et pour employer plus à propos le mot connu d'un bon évêque, ce ne soit pas là ce qu'ils aient fait de mieux; car les historiens philosophes faisoient consister toute la civilisation de l'Europe dans les arts, et surtout dans le commerce. Une nation étoit à leurs yeux plus honorée par les talents de ses artistes, les découvertes de ses savants, l'industrie de ses commerçants, que par la science de son clergé, le dévouement de ses guerriers, l'intégrité de ses magistrats; et en même temps que la philosophie déclamoit contre le fanatisme de ces hommes qui alloient, au péril de leur vie, porter à des peuples barbares notre religion et nos lois, elle admiroit l'industrie qui leur portoit des couteaux, des grains de verre et de l'eau-de-vie.

Au reste, dans ces histoires philosophiques, la politique n'étoit pas mieux traitée mieux traitée que la religion, ni les rois plus ménagés que les papes; et lorsque la sévérité

des jugements philosophiques n'étoit pas désarmée par des pensions ou des louanges, ou contenue par la crainte, les rois n'étoient que des mangeurs d'hommes; leurs négociations n'étoient que fausseté, leurs guerres que barbarie, leurs administrations qu'avidité, leurs acquisitions qu'ambition, et leurs fautes passoient pour des crimes. Cependant ces mêmes actions, si odieuses dans un prince chrétien, pouvoient être excusées sur l'intention dans un prince philosophe, ou même jugées dignes des plus grands éloges. Un roi qui auroit négocié auprès du grand-seigneur la reconstruction du temple de Jérusalem, ou mis le feu à l'Europe pour renverser la religion chrétienne et s'emparer des principautés ecclésiastiques, eût été déclaré grand homme et bienfaiteur de l'humanité; et pourvu que la philosophie fût accueillie, et ses adeptes honorés, l'administration la plus despotique, les forfaits même les plus odieux, trouvoient grâce aux yeux des philosophes; et nous en avons vu d'illustres exemples.

On doit remarquer encore que, dans ces histoires philosophiques, on parle beaucoup de destin et de fatalité; ces mots reviennent fréquemment, même dans l'Histoire récemment publiée de l'Anarchie de la Pologne, histoire où il y a un grand éclat de style, quoiqu'avec un peu trop de complaisance à rechercher des motifs et à tracer des portraits. Le destin est en politique ee que le hasard est en physique ; et comme le hasard n'est, suivant Leibnitz, que l'ignorance des causes naturelles, le destin et la fatalité ne sont que l'ignorance des causes politiques : et, certes, il y a eu beaucoup de ce destin dans la conduite de tous les cabinets de l'Europe.

XXIII.

Mémoires d'un Voyageur qui se repose, par M.

DUTENS.

M. Dutens a voyagé, puisqu'il a été plusieurs fois en

Angleterre, plusieurs fois en Italie, souvent en France, et qu'il a failli aller en Espagne; il a été homme de lettres, puisqu'il a publié les ouvrages d'un autre, deux ouvrages à lui, sans compter ses Mémoires, et qu'il a été membre d'une Académie; il a été homme d'état, puisqu'il a rempli les fonctions de secrétaire d'ambassade dans une des plus petites cours de l'Europe. Voyageur, négociateur, littérateur, un de ces titres suffit pour persuader à un homme que ses Mémoires intéresseront le public: il les réunissoit tous les trois; nous ne pouvions donc manquer d'avoir les Mémoires de M. Dutens. C'est un droit que se sont arrogé, dans le dix-huitième siècle, les gens de lettres pleins de leur dignité et de leur importance, et qu'ont en, dans tous les temps, les politiques et les voyageurs. Il n'est point de si mince diplomate qui ne pense avoir approfondi les plus curieux mystères, pénétré les secrets les plus cachés; il fant donc qu'il les dévoile à ses contemporains, à la postérité, à l'univers, qui pour l'ordinaire n'apprend rien dans ces Mémoires, si ce n'est le rôle important que s'attribue l'auteur dans les événements connus qu'il raconte. Quant aux voyageurs, ils ressemblent tous au pigeon de la fable: ayant beaucoup vu, ils croient avoir beaucoup à dire aussi. Il n'en est point qui, au moment de son départ, ne se dise :

Je reviendrai dans peu, conter de point en point,
Mes aventures à mon frère.

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