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» vingt-trois ou vingt-quatre ans : dommage pareil à » celui qu'on fait de gâter ou fouler une belle herbe >> verte, ou plaisante fleur au beau mois de mai. »

- A tant de héros, les Espagnols opposoient des généraux non moins habiles, parmi lesquels on vit briller Gonsalve de Cordoue, dit le Grand-Capitaine, et les deux Pescaires, père et fils. Mais lorsque la maison d'Autriche eut succédé à celle d'Arragon, ce n'est plus une contrée d'Italie qu'on se dispute, ce sont de vastes provinces au nord et au midi: c'est surtout le premier rang dans l'Europe, la suprématie dans toutes les cours, l'ascendant dans la politique générale l'Europe entière est le théâtre de la guerre ; on voit paroître sur la scène des rois tels que François Ier et Charles-Quint, Henri IV et Philippe II; des ministres tels que Richelieu, Olivarès, le duc de Lermes; alors s'ouvre ce dix-septième siècle qui doit finir cette grande querelle, époque à jamais mémorable, illustrée dans les fastes militaires par les exploits de Gustave-Adolphe, de Banier, de Tortenson, du duc de Saxe-Weimar, de Tilly, de Walstein; et du côté de la France, par ceux de Gassion, de Toiras, d'Harcourt, et enfin de deux illustres capitaines qui s'élèvent au-dessus de tous les généraux français et étrangers de la même époque, Turenne et Condé. Enfin cette sanglante rivalité, après avoir commencé sous un de nos plus grands rois (Louis Ix), finit après une durée de plus de 400 ans, sous un roi non moins grand (Louis XIV), -et eut l'issue la plus glorieuse à la France, dont la maison régnante occupa enfin non-seulement le royaume de Naples, premier objet de la contestation, mais presque toutes les couronnes de sa rivale.

Tel est en raccourci l'immense et intéressant tableau que présente l'Histoire de la rivalité de la France et de

l'Espagne. L'auteur, M. Gaillard, a plusieurs des qualités qui constituent le bon historien. Il est exact et véridique; laborieux, il n'épargne ni soins ni recherches pour trouver la vérité; bon critique, il la démêlé autant qu'il est possible à travers lés relations mensongères et contradictoires de l'esprit de parti; impartial, il rend justice aux princes, aux ministres, aux généraux de foutes les nations; en bon Français, il se plaît à raconter les succès et la gloire des Français; mais il ne dissimule ni leurs fautės, ni leurs torts, ni leurs excès souvent criminels. Chose étrange! il est même impartial, quoique philosophe. Dans les questions qui intéressent son parti, il s'élève longuement et fréquemment contre l'abus que les papes et les évêques faisoient de leur autorité et de leur influence; ce n'est pas parce que ce sont des papes et des évêques, c'est parce qu'il est de sa nature d'être long et d'aimer à se répéter: du reste il se montre toujours juste à leur égard. « Le » clergé, dit-il, abusoit beaucoup alors, parce qu'il » pouvoit beaucoup. Ce n'est point l'ecclésiastique qui » abuse, c'est l'homme puissant : l'état est indifférent ; » mais le degré de pouvoir ne peut l'être. » Et ailleurs : «Dans le même temps, dit-il, le pape, dont les légats » (il faut le dire et le redire, car on ne l'a pas assez » dit) étoient toujours en mouvement pour entretenir » ou pour rétablir la paix, etc. » L'abus monstrueux » qu'ont fait de leur puissance les ennemis des papes, des évêques, de la religion, des rois et de la société, le révolte bien davantage; et quoique cela ne soit pas de son sujet, l'horreur que lui inspirent leurs monstreux excès est un sentiment dominant qui se reproduit en vingt endroits de son ouvrage. C'est ainsi qu'après avoir parlé de quelques injustices du cardinal de Richelieu (le seul homme envers qui M. Gaillard ne me paroisse

pas juste), il ajoute : « Mais ni ces injustices, ni celles » de Louis x1, ni celles de tous les tyrans de toutes les >> nations, ne peuvent entrer en parallèle, ni pour le » nombre, ni pour l'énormité, avec celles qu'appa>> remment on ne reverra plus. » « Chacun de nous a >> pu connoître, dit-il encore ailleurs, combien le fana»tisme impie est plus horrible que le fanatisme dévot. »

Telles sont les bonnes qualités de l'historien. Voici actuellement ses défauts: son style souvent lâche et diffus, n'a presque jamais la rapididité et l'élégance qn'on a droit d'exiger dans une bonne histoire. Le seul art de l'auteur, pour éviter les amphibologies que produisent dans une longue phrase où l'on parle de plusieurs personnages, les pronoms il, lui, elle, etc., est de mettre entre deux parenthèses les noms que représentent ces pronoms. On trouve souvent des phrases trop familières, telles que celles-ci: Les Espagnols n'étoient toujours pas contents; un autre que Saint Louis auroit eu guerre, etc., etc. Mais le plus grand défaut de M. Gaillard, ce sont ses digressions éternelles, tandis que l'historien, comme le poëte épique, devroit toujours se presser vers l'événemement, semper ad eventum festinat, M. Gaillard n'est jamais pressé d'arriver; il donne chemin faisant le plan d'une tragédie, disserte sur des étymologies, fait une apologie de la reine Brunehaut, etc.; mais sur-tout il fait d'éternelles citations des passages de la Bible, des vers de Virgile, de Lucain, d'Ovide, de Sénèque, de Silius Italicus, des tragédies de Corneille, de Racine, de Voltaire, des fables de La Fontaine, etc. M. Gaillard, qui renfermoit dans sa vaste mémoire les anciens et les modernes, devoit trouver un inconvénient dans cette prodigieuse érudition. Jamais il n'avoit le plaisir d'inventer une pénsée; il se trouvoit toujours qu'un ancien ou un

moderne l'avoit employée avant lui: il se dédommageoit en citant l'ancien ou le moderne. Quelquefois ces citations sont agréables; mais souvent aussi elles sont déplacées, parce qu'elles ne tiennent pas assez au sujet, n'y ont qu'un rapport très-éloigné, ou n'offrent que des lieux communs. Parle-t-il, par exemple, de bataillons fuyant en déroute, aussitôt des vers de Virgile: Diffugiunt ali......; et puis encore d'autres vers: Pars vertere terga......; et puis des vers français : Et déjà quelques-uns courent épouvantés, etc. Toutes ces dissertations, digressions ou citations allongent prodigieusement son ouvrage. Et puisque M. Gaillard me donne l'exemple de citer, je lui citerai un précepte d'Horace, dont il auroit dû faire son profit:

Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se
Impediat verbis, lassas onerantibus aures.

A.

XIX.

Sur l'Histoire de l'anarchie de Pologne, par CI. Rulhière.

Il a été long-temps à la mode en France de vanter tous les gouvernements étrangers, et surtout ceux du Nord. C'est de cette partie de l'Europe que nos philosophes, plus ignorants encore que factieux, nous annonçoient la lumière. A les entendre, notre régénération tenoit à imiter les moeurs, la législation, la politique de ces peuples divers.

M. de Rulhière a eu long-temps la réputation d'être philosophe et d'être méchant, apparemment pour le distinguer de la grande confrairie des philosophes qui

ne sont que niais. L'Histoire de l'anarchie de Pologne suffira pour le venger, auprès de la postérité, de cette double accusation. Il est malheureux qu'il n'ait eu le temps ni de l'achever, ni de la revoir; mais telle qu'il l'a laissée, c'est l'ouvrage le plus curieux, le plus instructif, le plus intéressant qui ait paru depuis long-temps sur l'histoire. On ne le lit point sans profit; et comme les faits sont toujours exposés avec impartialité et clarté, les réflexions qu'ils font naître deviennent indépendantes des opinions particulières de l'auteur, soit qu'on les partagé ou qu'on les rejette; observation qui seule suf-* firoit pour prouver que M. de Rulhière n'a point écrit l'histoire en philosophe, c'est-à-dire, pour faire valoir tel ou tel système. Nul lecteur n'exigera qu'un auteur pense en toute occasion comme il auroit pensé luimême s'il avoit traité le même sujet, mais c'est à condition que l'auteur n'annoncera pas la prétention de soumettre en tout le lecteur à ses opinions; c'est cette prétention hautaine, tyrannique, qui révolte les esprits sages, contre la plus grande partie des ouvrages du dix-huitième siècle. L'histoire particulièrement, étant faite pour instruire, doit plutôt diriger les réflexions que les contraindre.

Dans l'anarchie et le démembrement de la Pologne, on doit s'intéresser au courage exalté des républicains, gémir de leurs fautes quand elles tiennent à leur position, s'en indigner lorsqu'elles sont le résultat de l'intrigue ou de l'ambition; la conduite des oppresseurs doit inspirer l'horreur ou le mépris: mais il faut que tous ces sentiments, pour être profonds, naissent de la manière dont les faits sont présentés; et c'est ce que M. de Rulhière a parfaitement senti. Sous ce rapport, il obtiendra une place distinguée parmi les historiens, et son ouvrage restera instructif même lorsque le temps,

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