Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

SÉANCE DU 28 FÉVRIER.

Le comité de constitution avait été chargé de présenter un projet de loi sur les émigrations. Le rapporteur demande qu'avant de lire le projet de loi l'assemblée décide si elle veut une loi sur ce sujet. Mirabeau :

C'est une motion d'ordre; car c'est un décret de l'instant même que je viens de présenter. Jé demande en outre une permission dont j'ai rarement usé; je serai court; je demande à dire deux mots personnels à moi.

Plusieurs voix : Oui, oui.

J'ai reçu depuis une heure six billets, dont la moitié m'atteste de prononcer la théorie de mes principes; l'autre provoque ma surveillance sur cè qu'on a beaucoup appelé, dans cette assemblée, la nécessité des circonstances. Je demande que, dans la position où je me trouve, dans une occasion où quelqu'un qui a servi les révolutions, et qui a déjà fait trop de bruit pour son repos,..... je demande dis-je, qu'il me soit permis de lire une page et demie ( peu de discours sont moins longs) d'une lettre adressée, il y a huit ans, au despote le plus absolu de l'Europe. Les gens qui cherchent les principes y trouveront quelque chose de raisonnable, et du moins on n'aura plus le droit de m'interroger, J'écrivais à Frédéric-Guillaume, aujourd'hui roi de Prusse, le jour de son avènement au trône. Voici comment je m'expri

mais :

On doit être heureux dans vos états, sire; donnez la liberté de s'expatrier à quiconque n'est pas retenu d'une manière légale par des obligations particulières; donnez par un édit formel cette liberté. C'est encore là une de ces lois d'éternelle équité que la force des choses appelle, qui vous fera un honneur infini, et ne vous coûtera pas la privation la plus légère, car votre peuple ne pourrait aller chercher ailleurs un meilleur sort que celui qu'il dépend de vous de lui donner; et s'il pouvait être mieux ailleurs, vos prohibitions de sortie ne l'arrêteraient pas.

La droite et une partie de la gauche applaudissent..

Laissez ces lois à ces puissances qui ont voulu faire de leurs états une prison, comme si ce n'était pas le moyen d'en rendre le séjour odieux. Les lois les plus tyranniques sur les émigrations n'ont jamais eu d'autre effet que de pousser le peuple à émigrer contre le vœu de la nature, le plus impérieux de tous peut-être, qui l'attache à son pays. Le Lapon chérit le climat sauvage où il est né; comment l'habitant des provinces qu'éclaire un ciel plus doux penserait-il à le quitter, si une administration tyrannique ne lui rendait pas inutiles ou odieux les bienfaits de la nature? Une loi d'affranchissement, loin de disperser les hommes, les retiendra dans ce qu'ils appelleront alors leur bonne patrie, et qu'ils préféreront aux pays les plus fertiles; car l'homme endure tout de la part de la Providence; il n'endure rien d'injuste de son sem

blable, et s'il se soumet, ce n'est qu'avec un cœur révolté.

Une grande partie de l'assemblée applaudit.

<< L'homme ne tient pas par des racines à la terre; ainsi il n'appartient pas au sol. L'homme n'est pas un champ, un pré, un bétail; ainsi il ne saurait être une propriété. L'homme a le sentiment intérieur de ces vérités simples; ainsi l'on ne saurait lui persuader que ses chefs aient le droit de l'enchaîner à la glèbe. Tous les pouvoirs se réuniraient en vain pour lui inculquer cette infame doctrine. Le temps n'est plus où les maîtres de la terre pouvaient parler au nom de Dieu, si même ce temps a jamais existé. Le langage de la justice et de la raison est le seul qui puisse avoir un succès durable aujourd'hui; et les princes ne sauraient trop penser que l'Amérique anglaise ordonne à tous les gouvernements d'être justes et sages, s'ils n'ont pas résolu de ne dominer bientôt que sur des déserts, ou de voir des révolutions. »

On entend des applaudissements isolés dans toutes les parties de la salle.

J'ai l'honneur de proposer, non de passer à l'ordre du jour, il ne faut pas avoir l'air d'étouffer dans le silence une circonstance qui exige une déclaration solennelle, et que l'avis du comité rend très-mémorable, mais de porter un décret en ces termes : « L'assemblée nationale, ouï le rapport « de son comité de constitution..... >>

Murmures.

[ocr errors]

Il y a deux choses qui me paraissent incontestables: la première, c'est que M. Chapelier a parlé au nom du comité de constitution; la seconde, c'est que, si j'ai tort, on peut le démontrer. Je reprends la lecture de mon projet de décret.

« L'assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de constitution, considérant qu'une loi sur les émigrants est inconciliable avec les principes de la constitution, n'a pas voulu entendre la lecture du projet de loi sur les émigrants, et a déclaré de passer à l'ordre du jour, sans préjudice de l'exécution des décrets précédemment portés sur les personnes qui ont des pensions ou traitements payés par la nation, et qui sont hors du royaume. >>

Une partie de l'assemblée veut aller aux voix. Plusieurs membres demandent la parole. Mirabeau :

J'avais la parole, je l'ai demandée pendant la lecture du projet de loi, et je la réclame.

La formation de la loi ou sa proposition ne peut se concilier avec les excès du zèle, de quelques espèces qu'ils soient; ce n'est pas l'indignation, c'est la réflexion qui doit faire les lois, c'est surtout elle qui doit les porter. L'assemblée nationale n'a point fait au comité de constitution le même honneur que les Athéniens firent à Aristide, qu'ils laissèrent juge de la moralité de son projet.

Mais le frémissement qui s'est fait entendre à la lecture du projet du comité a montré que vous

étiez aussi bons juges de cette moralité qu'Aristide, et que vous aviez bien fait de vous en réserver la juridiction. Je ne ferai pas au comité l'injure de démontrer que sa loi est digne d'être placée dans le code de Dracon, mais qu'elle ne pourra jamais entrer parmi les décrets de l'assemblée nationale de France; ce que j'entreprendrai de démontrer, c'est que la barbarie de la loi qu'on vous propose est la plus haute preuve de l'impraticabilité d'une loi sur l'émigration.

Le côté droit et une partie du côté gauche applaudissent: le reste de l'assemblée murmure.

Je demande qu'on m'entende. S'il est des circonstances où des mesures de police soient indispensablement nécessaires, même contre les principes, même contre les lois reçues, c'est le délit de la nécessité; et comme la société peut pour sa conservation tout ce qu'elle veut, que c'est la toute-puissance de la nature, cette mesure de police peut être prise par le corps législatif; et lorsqu'elle a reçu la sanction du contrôleur de la loi, du chef suprême de la police sociale, elle est aussi obligatoire que toute autre : mais entre une mesure de police et une loi la distance est immense. La loi sur les émigrations est, je vous le répété, une chose hors de votre puissance, parce qu'elle est impraticable, et qu'il est hors de votre sagesse de faire une loi qu'il est impossible de faire exécuter, même en anarchisant toutes les parties de l'empire. Il est prouvé par l'expérience

« ZurückWeiter »