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Nous nous laissâmes facilement persuader et nous restâmes, à la grande satisfaction de tout le monde, et, je dois le dire, des jolies Grecques plus particulièrement. Deux jours se passèrent ainsi à faire ce que bon nous semblait, à aller, à venir, à recevoir et à rendre des visites. Au retour de nos promenades, nous trouvions des visages sourians, une cordiale poignée de main, et les longs yeux, surtout les longs yeux de Maria; que fallait-il de plus? Je me serais volontiers arrangé de cette douce existence. Plus d'une fois l'idée me vint de laisser là le Parthenon, les platanes de Smyrne, les minarets de Constantinople, et tous les itinéraires tracés d'avance, afin de me fixer, pendant quelques mois du moins, au milieu de cette bonne famille. Pour me détourner de ce projet, mon compagnon, plus grave, fut forcé de recourir à ses meilleurs raisonnemens. Il n'était pas possible de transiger; il fallait ou rester tout l'été ou partir sans attendre la saison des chaleurs et de la fièvre. Je me laissai convaincre; il fut convenu que, si le temps le permettait, notre départ aurait lieu le troisième jour; c'était le 25 mai 1842.

La veille seulement, M. Spadaro me parla de ses affaires particulières. Voici ce qu'il me conta. - Je demande la permission d'entrer ici dans quelques détails. M. Spadaro a depuis fort long-temps le titre d'agent consulaire de France. Ce titre, on le sait, ne rapporte jamais rien, mais il peut coûter fort cher dans certaines circonstances. Lors de la révolution grecque, M. Spadaro, tout dévoué à la France et docile aux ordres qu'il en recevait, se conduisit si noblement, qu'il reçut à diverses reprises du ministère des lettres de félicitation fort gracieuses; mais il n'en reçut que des lettres, et il avait dépensé de l'argent (1). Plus tard il a réclamé; malheureusement, peu au fait de la comptabilité gouvernementale, il ne sut pas fournir de comptes réguliers. Le gouvernement ne peut pas se payer de bonnes raisons, ni même de la parole d'honneur d'un honnête homme. Le baron Rouen, alors ministre à Athènes, oublia ou négligea, au milieu d'intérêts plus grands, les demandes du consul de Tine. Depuis cette

(1) M. Spadaro me prouva, pièces en main, que sur l'ordre de plusieurs commandans de navire, de M. de Rigny en particulier, il avait avancé, pour habiller des matelots, pour des fournitures de navire, pour des secours donnés, par ordre du gouvernement, à des réfugiés grecs, une somme énorme pour lui, 12,500 francs. C'étaient toutes les économies qu'il avait péniblement amassées pendant sa jeunesse. M. Spadaro a encore douze enfans, et ce prêt a détruit complètement son aisance. On me pardonnera si je cite les noms propres. La position de notre pauvre consul m'a vi

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époque, M. Spadaro a adressé au ministère plusieurs autres réclamations il n'a jamais reçu de réponse. Un seul espoir lui restait. M. de Rigny, lorsqu'il était simple capitaine de vaisseau, avait passé plusieurs mois à Tine; il avait été témoin de la noble conduite de notre agent; il avait vécu intimement chez lui comme nous-mêmes. Plus tard il devint ministre de la marine. Le second fils de M. Spadaro, voulant embrasser la seule profession qui soit lucrative dans le Levant, était à Paris, où il étudiait la médecine. Il se présenta au ministère en toute confiance, croyant presque retrouver dans le ministre un ancien ami; mais son excellence reçut avec tant de hauteur le jeune étudiant, que celui-ci n'osa plus jamais lui demander une audience, et le ministre ne promit rien ou fit peu de chose pour son père. Cependant sa mémoire seule pouvait suppléer aux papiers qui manquaient.

Le lendemain, jour fixé pour notre départ, le vent, terrible dans la matinée, se calma vers le milieu du jour. On nous annonça qu'un caïque partirait, et avec lui M. Theoteky, gouverneur de Tine. Nous allâmes faire une visite à ce haut fonctionnaire, qui ne touche pas moins de 200 drachmes d'appointemens par mois, ce qui, honneur à part et pécuniairement parlant, assimile sa position de gouverneur en Grèce à celle d'expéditionnaire, en France, dans une administration quelconque, ou de sous-lieutenant dans l'armée. Le comte Theoteky est un homme plein de distinction; il nous reçut fort gracieusement, et il fut convenu que nous partirions ensemble. Cette importante affaire décidée, nous revînmes chez nos amis, voulant passer avec eux tout le temps qui nous restait. La famille entière nous attendait; il y avait de la tristesse sur tous les visages. Mme Spadaro nous fit dire par sa fille que nous avions tort de les quitter, que nous pourrions être heureux chez elle, et que bien volontiers elle nous garderait pendant des années. Je remerciai, dans toute la sincérité de mon cœur, la charmante interprète.

A midi le gouverneur vint. L'embarcation était prête; toute la fa

vement touché. Je m'étais promis de n'épargner aucun effort pour lui être utile; malheureusement je me suis aperçu que je ne pouvais rien, sinon répéter ici ce qu'il m'a dit. A l'appui de ces explications, les seules preuves qu'il me soit possible d'invoquer sont les noms propres; je les donne, espérant que ces lignes auront l'honneur de passer sous les yeux de plus puissans que moi, et qu'en rappelant à l'intérêt du gouvernement le nom de Michel Spadaro, elles pourront servir à lui faire rendre justice.

mille nous accompagna jusqu'à l'embarcadère; j'étais tout attristé. -Je suis fâché de vous avoir connu, dis-je à M. Spadaro, et si j'avais pu prévoir la peine que j'éprouve en vous quittant, jamais je ne serais venu à Tine. Le bonhomme me sauta au cou et m'embrassa les larmes aux yeux. Vrai cœur de Français! s'écria-t-il; un Anglais ne dirait jamais une chose comme celle-là.

Les jeunes filles avaient préparé de petits gâteaux et fait une provision d'oranges dont elles remplirent nos poches. — C'était, nous dirent-elles, pour le voyage. J'aurais de grand cœur embrassé ces jolies pourvoyeuses; en France, je l'eusse fait sans doute, mais en Orient les usages sont plus sévères; j'allai même peut-être plus loin que ne le permettaient les convenances en prenant la main de Mária et en la serrant dans les miennes. En cet instant, je songeai que, selon toute probabilité, je ne reverrais jamais cette charmante personne, et mon cœur se gonfla malgré moi. « Là peut-être serait le bonheur, » pensai-je, et mon cœur, qui voulait rester, cherchait à persuader ma raison, qui commandait de partir. Mon compagnon m'entraîna. Déjà le gouverneur était embarqué. Dès que nous fûmes auprès de lui, on largua la grande voile. Le caïque se coucha sous le vent, bondit sur les vagues, et partit comme une flèche. Une minute plus tard, nous n'apercevions plus que des mouchoirs qui s'agitaient sur le rivage. Nous saluâmes d'un dernier regard ce rocher où le hasard nous avait poussés, et nous jetâmes, du fond du cœur, un dernier adieu à ces amis d'un jour que nous ne devions plus revoir.

ALEXIS DE VALON.

POÈMES PHILOSOPHIQUES.

No IV.

LE MONT DES OLIVIERS

1.

Alors il était nuit et Jésus marchait seul,
Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul;
Les disciples dormaient au pied de la colline.
Parmi les oliviers, qu'un vent sinistre incline,
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux;
Triste jusqu'à la mort, l'œil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe;

Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni,
Il s'arrête en un lieu nommé Gethsemani.

Il se courbe, à genoux, le front contre la terre;
Puis regarde le ciel en appelant : Mon Père!
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.
Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante.

Il recule, il descend, il crie avec effroi :
Ne pouviez-vous prier et veiller avec moi?

Mais un sommeil de mort accable les apôtres,

Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.
Le fils de l'homme alors remonte lentement.
Comme un pasteur d'Égypte il cherche au firmament
Si l'ange ne luit pas au fond de quelque étoile.
Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile
D'une veuve, et ses plis entourent le désert.
Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert
Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son cœur mortel d'une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :

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Mon Père! Le vent seul répondit à sa voix.
Il tomba sur le sable assis, et, dans sa peine,

Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine.

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Et la terre trembla, sentant la pesanteur

Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur.

II.

Jésus disait: O Père, encor laisse-moi vivre!
Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre!
Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain

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