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et sa folie, c'est de croire en tout au bonheur. Rien n'est plus triste, rien n'est mieux saisi que ce contraste. Combien la vie semble plus amère encore quand Hélène n'y voit que la joie et le sourire! combien le soleil d'hiver se montre avec des teintes plus sombres quand Hélène parle des rayons dorés et du jeu de la lumière! Toutefois la figure vraiment frappante et qui reste gravée dans le souvenir, c'est la marquise d'Erigny. Il s'échappe du cœur de cette mère qui, perdant son fils, a la force de cacher un tel malheur à sa fille, et de ne rien troubler à tant de bonheur ou plutôt à tant de folie; il s'échappe, dis-je, de ce cœur ulcéré des accens d'une naturelle et forte éloquence. Le souvenir de Niobé n'est jamais sans grandeur.

Le dernier récit, pour se passer dans une sphère moins dramatique, dans la région simple des sacrifices ignorés et des dévouemens obscurs, ne nous paraît pas touché avec moins de bonheur; mais il vaut mieux que le lecteur lui-même devienne juge: si, en insérant au long ce morceau, nous pouvons craindre d'effaroucher une noble modestie, nous sommes sûr au moins que le public ne nous trouvera pas indiscret.

RÉSIGNATION.

Je vais raconter simplement une chose que j'ai vue. C'est un des souvenirs mélancoliques de ma vie. C'est une de ces pensées vers lesquelles l'ame se reporte avec une douce tristesse quand vient l'heure du découragement. — Il s'en exhale je ne sais quel renoncement aux trop vives espérances de ce monde, je ne sais quelle abnégation de soi-même qui apaise ce qui murmure en nous, et nous appelle à une silencieuse résignation.

Si jamais ces pages sont lues, je ne voudrais pas qu'elles fussent

lues par ceux qui sont heureux, complètement heureux. Il n'y a là rien pour eux, ni invention, ni évènemens. Mais il y a des cœurs qui ont un peu souffert, beaucoup rêvé, et qui sont aptes à une facile tristesse. Qu'en passant ils entrevoient une souffrance quelconque, ou qu'un son qui ressemble à un soupir frappe leur oreille, ils s'arrêtent, écoutent et plaignent. A eux je puis parler, presque au hasard, et raconter une histoire, simple comme tout ce qui est vrai, touchante comme tout ce qui est simple.

Il y a dans le Nord, près de la frontière belge, une toute petite ville obscure, ignorée.-Les éventualités de la guerre l'ont fait entourer de hautes fortifications, qui semblent écraser les chétives maisons qui se trouvent au centre. -La pauvre ville, étreinte par un réseau de murs, n'a pu, depuis lors, laisser égarer une seule maisonnette sur la pelouse qui l'entoure. Sa population augmentant, elle a diminué ses places, entravé ses rues; elle a sacrifié l'espace, la régularité, le bien-être. - Les maisons, ainsi entassées les unes auprès des autres, et étouffées par les murs d'enceinte, n'offrent aux regards, d'un peu loin, que l'aspect d'une grande prison.

Le climat du nord de la France, sans avoir des froids extrêmes, est d'une morne tristesse : l'humidité, le brouillard, les nuages et la neige obscurcissent le ciel et glacent la terre pendant six mois de l'année. Une épaisse et noire fumée de charbon de terre, s'élevant au-dessus de chaque habitation, ajoute encore à la sombre apparence de cette petite ville du Nord.

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Je n'oublierai jamais la froide impression de tristesse que j'éprouvai en franchissant les ponts-levis qui lui servent d'entrée. Je me demandai avec effroi s'il y avait des êtres qui fussent nés là et qui dussent y mourir, sans rien connaître du reste de la terre. - Il y en avait, en effet, dont telle était la destinée. Mais la Providence, qui a des bontés cachées jusque dans les privations qu'elle impose, a donné aux habitans de cette ville la nécessité du travail, le besoin d'acquérir le bien-être qui leur manque, et, par ces moyens, ôta à ses pauvres enfans déshérités le temps de regarder si le ciel était gris et privé de soleil.-Ils oublient ce qu'ils n'ont pas. - Mais moi, en entrant dans cette ville sombre et enfumée, j'évoquai le souvenir de tous les jours de soleil qui avaient rempli ma vie, de toutes les heures passées en liberté avec un ciel pur au-dessus de ma tête et de l'espace devant moi.-En cet instant, je pensai à remercier de ce que j'avais jusqu'alors regardé comme des dons faits à tous les hommes la lumière, l'air, l'horizon.

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J'habitai dix-huit mois cette petite ville, et j'allais peut-être murmurer contre cette longue captivité, lorsque voici ce qui m'arriva.

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Pour gagner une des portes des fortifications, il me fallait chaque jour, à l'heure de la promenade, descendre une petite ruelle semblable à un escalier, le sol étant creusé en forme de marches, pour rendre la pente d'un accès plus facile. En traversant cette étroite et obscure ruelle, pendant long-temps, mes pensées devançant mes pas, je ne songeai qu'à la campagne que j'allais chercher; mais un jour, par hasard, mes yeux s'arrêtèrent sur une pauvre maison, qui seule paraissait habitée. Elle n'avait qu'un rez-de-chaussée, deux fenêtres; entre elles, une petite porte; au-dessus, des mansardes. Les murs de la maison étaient peints en gris foncé, les fenêtres avaient mille petits carreaux d'un verre épais et verdâtre. Le jour ne devait pas pouvoir franchir cet obstacle pour éclairer l'inté rieur de cette demeure. La rue était trop étroite, d'ailleurs, pour que jamais le soleil y parût. Il régnait là une ombre perpétuelle et il y faisait toujours froid, quelle que fût, du reste, la chaleur du jour.

L'hiver, quand la neige était gelée sur les marches de la petite rue, on ne pouvait faire un pas sans risquer de tomber : aussi étaitce un chemin désert que moi seule, peut-être, je traversais une fois par jour. Je ne me souviens pas d'y avoir rencontré un passant, ou d'y avoir vu un oiseau se poser un instant sur les crevasses des murs. J'espère, me disais-je, que cette triste maison n'est habitée que par des personnes arrivées presque au terme de leur vie, et dont le corps vieilli ne peut plus ni s'attrister, nil regretter.

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affreux d'être jeune là!

Ce serait

La petite maison restait silencieuse aucun bruit ne s'en échappait, aucun mouvement ne s'y faisait remarquer. Elle était calme comme un tombeau, et chaque jour je me disais : - Qui peut donc vivre ainsi?

-

Le printemps vint. Dans la ruelle, la glace se changea en humidité; puis l'humidité fit place à un terrain plus sec; puis quelques herbes poussèrent au pied des murs. Le coin du ciel que l'on pouvait à grand'peine entrevoir devint plus clair. - Enfin, même dans ce passage obscur, le printemps laissa tomber une ombre de vie. — Mais la petite maison restait toujours sans bruit et sans mouvement.

Vers le mois de juin, je me rendais, comme de coutume, à ma promenade de tous les jours, lorsque je vis (qu'on me pardonne cette phrase), lorsque je vis, avec une profonde tristesse, un petit bouquet

de violettes placé dans un verre sur le bord d'une des fenêtres de la maison.

Ah! m'écriai-je, il y a là quelqu'un qui souffre!

Pour aimer les fleurs, il faut, sinon être jeune, du moins avoir conservé quelques souvenirs de jeunesse; il faut n'être pas absorbě entièrement par la vie matérielle; il faut avoir la douce faculté de ne rien faire sans être oisif, c'est-à-dire de rêver, de se souvenir, d'espérer. Dans la jouissance qu'apporte le parfum d'une fleur, il y a une certaine délicatesse d'ame. C'est un peu d'idéal, un peu de poésie qui se glisse au milieu des réalités de la vie. Quand, dans une existence pauvre et laborieuse, je vois aimer les fleurs, je pressens qu'il y a lutte entre les nécessités de la vie et les instincts de l'ame.Il me semble que je sais parler, que je pourrais presque causer avec quiconque cultive une pauvre fleur près du mur de sa cabane. Ce jour-là, ce bouquet de violettes m'attrista; il disait : Il y a là quelqu'un qui vit en regrettant l'air, le soleil, le bonheur; quelqu'un qui sent tout ce qui lui manque; quelqu'un de si pauvre en fait de jouissances, que je suis une joie dans sa vie, moi, pauvre bouquet de violettes!

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Je regardai ces fleurs avec mélancolie; je me demandai si l'obscurité et le froid de la petite rue n'allaient pas les faire bien vite se faner, si le vent ne pouvait pas les atteindre. Je leur portais intérêt. J'aurais voulu les conserver long-temps à celui qui les aimait.

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Le lendemain, je revins. Les fleurs avaient souffert de ce jour d'existence de plus. Elles avaient vieilli, et leurs pétales décolorés se recourbaient sur eux-mêmes. Cependant elles avaient encore un peu de parfum, et l'on avait pris soin d'elles. En m'avançant, je vis que la fenêtre était entr'ouverte. Un rayon, je ne dirai pas de soleil, mais de jour, pénétrait dans la maison, et faisait une traînée lumineuse sur le plancher de la chambre; mais à droite et à gauche l'obscurité n'était que plus profonde, et mes yeux ne purent rien distinguer.

Le lendemain encore, je passai;-c'était presque un jour d'été : tous les oiseaux chantaient, tous les arbres se couvraient de bourgeons,mille insectes bourdonnaient. Tout brillait au soleil. Il y avait de la vie partout, presque de la joie partout.

Une des fenêtres de la petite maison était toute grande ouverte. Je m'approchai, et je vis une femme assise, travaillant près de la fenêtre. Le premier regard que je jetai sur elle ajouta à la tris

tesse que m'avait inspirée l'aspect de sa demeure. — Je n'aurais pu

dire l'âge de cette femme.

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Elle n'était plus très jeune, elle n'était pas jolie, ou n'était plus jolie. Elle était pâle, malade ou triste; je ne pouvais le définir. Ce qu'il y avait de sûr, c'est que ses traits étaient doux, que cette absence de fraîcheur pouvait venir d'un chagrin aussi bien que du nombre des années, que cette paleur, si elle n'eût attristé le cœur, eût paru avoir quelque charme à côté du noir mat des cheveux. Elle était inclinée sur son ouvrage;

elle était mince ou maigrie.

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Ses mains étaient blanches, mais un peu osseuses, allongées. Elle portait une robe brune, un tablier noir, un petit col blanc, tout uni; et le bouquet qui avait fleuri deux jours sur la fenêtre, presque caché dans un pli de son corsage, était là pour que rien ne fût perdu de ses derniers parfums. Elle leva les yeux et me salua;-je la vis mieux.—Elle était jeune encore,mais elle était si près du moment où l'on cesse de l'être, que ce dernier adieu de la jeunesse attristait à regarder.- Évidemment elle avait souffert, mais probablement sans lutte, sans murmure, presque sans larmes. Il y avait sur sa physionomie silence, résignation et calme; mais c'était ce calme qui succède à la mort. Je m'imaginai qu'elle n'avait dù.éprouver nulle secousse, que son ame avait langui long-temps, puis s'était éteinte; qu'elle ne s'était pas brisée, mais inclinée,—courbée,—puis était tombée å terre, sans bruit, sans déchirement.

-

-

Oui, le regard, la physionomie, l'attitude de cette femme, disaient tout cela. Il y a des personnes qui vous parlent rien qu'en vous regardant, et dont on se souvient pour avoir passé une seconde auprès d'elles.

Chaque jour, je la retrouvai à la même place. Elle me saluait; puis, avec le temps, elle ajouta un triste et doux sourire à son salut. - Voici ce que je pus entrevoir de l'existence de cette femme que je voyais constamment assise près de sa fenêtre.

Le dimanche elle ne travaillait pas. Je crus qu'elle sortait ce jour-là, car le lundi il y avait le petit bouquet de violettes sur la fenêtre. Mais il se fanait les jours suivans, et n'était remplacé qu'après la fin de la semaine. Je pensai encore qu'elle était presque pauvre, et qu'elle travaillait en secret pour vivre, car elle brodait sur de belles et riches mousselines, et je ne lui voyais jamais que la plus humble simplicité dans sa toilette. Enfin elle n'était pas seule dans la maison, car un jour une voix un peu impérieuse appela « Ursule! » et elle se leva précipitamment.-Cette voix n'é

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