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Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main?
C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve
Quand meurt celui qui dit une parole neuve;
Et que tu n'as laissé dans son sein desséché
Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu'il a comme enivré la famille mortelle

D'une goutte de vie et de divinité,

Lorsqu'en ouvrant les bras, j'ai dit : FRATERNITÉ.

-Père, oh! si j'ai rempli mon douloureux message,
Si j'ai caché le Dieu sous la face du sage,
Du sacrifice humain si j'ai changé le prix,
Pour l'offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le symbole,
La parole au combat, comme aux trésors l'obole,
Aux flots rouges du sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain;
Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave
Et l'autre libre;-au nom du passé que je lave
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir,
Versons-en la moitié pour laver l'avenir!
Père libérateur! jette aujourd'hui, d'avance,
La moitié de ce sang d'amour et d'innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :

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Il est permis pour tous de tuer l'innocent. >> Nous savons qu'il naîtra, dans le lointain des âges, Des dominateurs durs escortés de faux sages, Qui troubleront l'esprit de chaque nation

En donnant un faux sens à ma Rédemption.

Hélas! je parle encor que déjà ma parole

Est tournée en poison dans chaque parabole;
Éloigne ce calice impur et plus amer

Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer.

Les verges qui viendront, la couronne d'épine,
Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine,
Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend,
N'ont rien, mon Pêre, oh! rien qui m'épouvante autant !

Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes,
Ils n'y doivent laisser que des traces profondes,
Et si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet,
Dont le gémissement sans repos m'appelait,
C'était pour y laisser deux Anges à ma place
De qui la race humaine aurait baisé la trace,
La Certitude heureuse et l'Espoir confiant
Qui, dans le paradis, marchent en souriant.
Mais je vais la quitter, cette indigente terre,
N'ayant que soulevé ce manteau de misère
Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal,
Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal.

Mal et Doute! En un mot je puis les mettre en poudre.
Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre
De les avoir permis. C'est l'accusation

Qui pèse de partout sur la création!

Sur son tombeau désert faisons monter Lazare.
Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare,
Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir;
Qu'il parle. Ce qui dure et ce qui doit finir,
Ce qu'a mis le Seigneur au cœur de la Nature,
Ce qu'elle prend et donne à toute créature,
Quels sont avec le ciel ses muets entretiens,
Son amour ineffable et ses chastes liens,
Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle,
Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle;
Si les astres des cieux tour à tour éprouvés
Sont commé celui-ci coupables et sauvės;

Si la terre est pour eux ou s'ils sont pour la terre;
Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère,
D'ignorant le savoir et de faux la raison;
Pourquoi l'ame est liée en sa faible prison;
Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies,
Entre l'ennui du calme et des paisibles joies
Et la rage sans fin des vagues passions,
Entre la léthargie et les convulsions;

Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée
Attristant la Nature à tout moment frappée;

Si le juste et le bien, si l'injuste et le mal
Sont de vils accidens en un cercle fatal,

Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles,
Soutenant terre et cieux sur leurs vastes épaules;
Et pourquoi les Esprits du mal sont triomphans
Des maux immérités de la mort des enfans;
Et si les Nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d'or des divines idées,

Ou de folles enfans sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant et que rien ne conduit;
Et si, lorsque des temps l'horloge périssable
Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable,
Un regard de vos yeux, un cri de votre voix,
Un soupir de mon cœur, un signe de ma croix,
Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines éternelles,
Lacher leur proie humaine et reployer leurs ailes;
Tout sera révélé dès que l'homme saura

De quels lieux il arrive et dans quels il ira.

III.

Ainsi le divin Fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,

Mais il renonce et dit : « Que votre volonté

<<< Soit faite et non la mienne et pour l'éternité. »>
Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie.

Il regarde long-temps, long-temps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir.
La Terre sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l'ame ainsi qu'elle est encore,
Frémissait. Dans le bois il entendit des pas,

Et puis il vit rôder la torche de Judas.

CTE ALFRED DE VIGNY.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

31 mai 1843.

C'est l'état de l'Espagne qui est l'affaire du moment. Chaque jour, on attend des nouvelles, non plus de Madrid, mais de la Catalogne, car c'est là probablement que se décidera l'issue de la crise actuelle; c'est Barcelone que le régent a choisie pour théâtre de la lutte. Bien que sa conduite semble très déterminée, Espartero n'a peut-être pas encore des desseins bien fixes; une insurrection armée peut le conduire à l'établissement d'une dictature militaire, mais il n'est pas certain qu'il en cherche l'occasion. Ce qui fait le plus grand danger de la situation, c'est qu'il est absolument au bout de la voie constitutionnelle; il ne peut plus faire un pas sans en sortir, et quand les ressorts sont tellement tendus, il est presque inévitable qu'ils se brisent. Le régent est donc placé sur la dernière limite qui le sépare des coups d'état. La dépassera-t-il? Nous avouons que nous en doutons encore. Le vent n'est pas aux grandes choses, ni en bien ni en mal. Pour qu'il se fasse dictateur, il manque à Espartero deux choses: la santé et la volonté. Les décrets du 26, qui ont accompagné l'ordonnance de dissolution, sont assez caractéristiques de la situation. On voit que le régent ruse avec l'esprit de la constitution, sans oser en attaquer la lettre. En même temps qu'il dissout les cortès, il donne une sorte de satisfaction à l'opinion par l'amnistie; en acceptant la démission de M. Lopez, il lui prend la moitié de son programme, et le premier acte du nouveau cabinet est la restitution de la contribution arbitraire imposée à Barcelone. Ces décrets sont une suite d'agressions et de concessions, de pas en avant et de pas en arrière. Par la dissolution, le régent provoque la révolte, et il en écarte les occasions les plus immédiates en rendant l'impôt facultatif. Pour dernier trait, Linage, dont M. Lopez demandait la destitution, est révoqué de la moitié de ses fonctions.

Il n'y a là, jusqu'à présent, rien qui sente le Bonaparte; mais s'il est vrai qu'Espartero n'ait pas des intentions bien arrêtées de 18 brumaire, comment se fait-il qu'il ait poussé les choses à une telle extrémité? Évidemment, il

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