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gerons la haute opinion qu'il veut nous donner de son ouvrage, dont la perte, s'il faut l'en croire, eût été irréparable; et dont, par conséquent, nous aurions dû être inconsolables. Il est certain que nous aurions eu un livre intéressant de moins; tel est même l'intérêt qui y règne, qu'il triomphe de ce qui ferait tomber des mains tout ouvrage où il serait moins vif: l'incohérence et le désordre du plan, la diffusion des détails, la pénible et irrégulière construction des phrases, la singularité quelquefois bizarre des expressions, l'incorrection quelquefois barbare du style. L'objet du livre et son premier mérite, c'est de bien faire connaître certains personnages malheureusement fameux, et surtout le plus fameux et le plus odieux de tous. Ce n'est pas que le caractère de Buonaparte fût jusqu'ici un problème, comme le dit M. de Pradt, pour se donner seul le mérite d'avoir résolu ce problème; que, jusqu'aux révélations qu'il veut bien nous faire, ce fut l'homme du monde le moins connu, comme il le prétend, sans doute pour donner plus de prix à ces révélations, et qu'enfin l'ex-empereur n'ait jamais été entouré que de mauvais observateurs, jusqu'à M. l'archevêque de Malines, qui regrettait si fort les distractions des autres, et les réparait en bien observant lui-même. Tout cela est fort exagéré, et manque même de vérité. Les traits distinctifs du caractère et de l'esprit de Buonaparte n'avaient échappé à aucun de ceux qu'un vil intérêt ne disposait pas d'abord à s'abuser eux-mêmes, puis à vouloir abuser les autres ; mais, ce qui était déjà connu, M. de Pradt le fait mieux connaître encore: il a vu l'homme de près, et sur

tout dans des circonstances diverses, importantes, décisives, et dans ces situations où le masque tombe, où le cœur se révèle. Il le peint, soit par des faits curieux, soit par des traits de pinceau, dont quelques-uns sont excellens. Il est vrai qu'il ne sait point rassembler ces traits, qu'il les dissémine dans toute l'étendue de son livre; qu'il recommence à chaque instant ses portraits, comme s'ils n'étaient jamais achevés; les interrompant à chaque instant, et les étendant outre mesure ce n'est pas là la manière des grands maîtres, ce n'est pas le pinceau vigoureux et pur de Tacite, de Salluste, à qui quelques lignes. et tout au plus une page, suffisent pour faire connaître le caractère, l'esprit et les passions de l'homme le plus compliqué et le plus divers.

M. de Pradt commence dès sa seconde préface-à nous donner le portrait, ou un des portraits de Buonaparte, et c'est peut-être le meilleur qu'il en ait tracé dans tout le cours de sa relation. Je ne puis toutefois le citer: la diffusion ordinaire de l'historien s'y oppose. J'observerai seulement que c'est dans ce portrait que, rassemblant tous les contrastes de grandeur et de petitesse, qu'il découvre avec une étonnante profusion dans son héros, il l'appelle JupiterScapin, alliage de mots singulier, inouï, qui a fait fortune, que tout Paris répète, et qu'on n'oubliera

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L'ambassade de Pologne, véritable sujet de l'ouvrage de M. de Pradt, paraît d'abord n'en être que le prétexte : l'auteur nous retient long-temps à Paris avant de nous conduire à Varsovie, ou même sur la route et à Dresde; mais il nous retient assez agréa

'blement sa causerie longue, diffuse, dépourvue d'art dans les transitions, mais intéressante par quelques faits, et brillante dans quelques détails, fait oublier qu'on n'avance point, ou qu'on n'avance que très-lentement vers le but; on n'est point pressé d'arriver lorsqu'on a un homme d'esprit pour compagnon de voyage. Chemin faisant, M. de Pradt fait toujours des portraits; c'est là une de ses principales ressources. Nous avons vu qu'il avait fini la dernière de ses préfaces par un long portrait de Buonaparte ; il commence son livre par un portrait plus long encore du même personnage. Tous offrent des traits de mauvais goût; mais tous sont remarquables par une foule d'observations justes, ingénieuses, et présentées avec une sorte d'originalité piquante, et on est toujours tenté d'en citer quelque chose: « L'empe« reur, dit M. l'archevêque de Malines, est supé«rieurement ignorant. La manière dont il lit n'est « pas très-propre à l'instruire. Les feuillets, conti«nue M. de Pradt, volent sous ses doigts; ses yeux « courent sur chaque page, et, au bout de très-peu

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« de temps, le pauvre éerit est presque toujours re« jeté avec un signe de mépris et des formules générales de dédain: Il n'y a que des bêtises dans ce « livre; c'est un idéologue, un constituant, un jan« séniste. Cette dernière épithète est le maximum « des injures.» Je suis persuadé que c'est justement celle-là qu'il donnera à l'Histoire de l'ambassade de Pologne, s'il la lit jamais, et que le livre et l'auteur lui paraîtront terriblement jansénistes.

<«< Deux choses seulement, dit plus loin M. de << Pradt, approchent de l'empereur, et veillent à ses

:

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« côtés la terreur et la flatterie, voilà sa garde et << son conseil. » Ce dernier trait est fort bon; il résume très-bien l'observation précédente, et relève ce qu'elle pouvait avoir de commun : il fallait s'en tenir là et ne pas le délayer. Mais un morceau fait de verve dans ce portrait, c'est celui où M. l'ambassadeur peint le triste sort des hommes disgraciés par Buonaparte, et qui n'ont pu reconquérir sa faveur. On voit que dans tout cela il y a quelque chose de personnel à l'auteur, qui exprime avec un accent plein de chaleur ce qu'il sent très vivement : Malheur, s'écrie-t-il, malheur à qui a besoin du << temps, de cet agent universel des choses d'ici-bas, << surtout s'il a à se justifier, à remonter au rang d'où « il a été précipité! Assailli, presque toujours, <«< comme par un ouragan, renversé, brisé, deplacé <«< sans aucun de ces préalables qui sont partout ail<«<leurs la sauvegarde des malheureux humains, on << reste étourdi, froissé à l'extrémité d'une foule qui << vous regarde sans étonnement comme sans pitié, pendant que celui qui vous a frappé poursuit par «sauts et par bonds sa course à travers ceux qu'il « élève ou qu'il mutile au hasard : condamné que «< vous êtes à user les restes d'une existence flétrie <«< dans les angoisses de l'attention de la recherche << d'une réparation que le hasard bien plus que le <«< remords peut amener vers vous: malheureux! ་་ chez qui l'indifférence observe, et le hasard dé<< cide. >>

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On connaissait assez l'ambition insensée de Buonaparte, et ce n'est pas sur ce point sans doute que M. de Pradt regarde le caractère de cet homme ex

me,

une

traordinaire comme un problème dont la solution lui était réservée. Toutefois il donne encore sur cette passion insatiable et extravagante quelques détails nouveaux et curieux, quelques mots échappés à l'orgueil des conquérans et dignes d'être recueillis. Nous savions aussi parfaitement qu'il n'y avait pas un de ses frères qui ne prétendît armer ses mains d'un sceptre, pas une de ses sœurs qui ne voulût orner sa tête d'une couronne. Tous voulaient avoir un royauou tout au moins, comme Sancho Pança, île à gouverner; mais à lui, il fallait toutes les îles, tous les royaumes, et le monde entier. « Dans cinq «ans, je serai le maître du monde, disait-il à M. de « Pradt, dans un de ces épanchemens qu'il avait «< fréquemment avec lui ; il ne me reste que la Rus«sie, mais je l'écraserai; » et, l'écrasant déjà dans sa pensée, il témoigna tout le plaisir qu'il y prenait par un geste très-significatif, et qu'il répéta plusieurs fois; puis, donnant un libre cours à ces rodomontades et à ses projets extravagans : « Paris viendra jus<< qu'à Saint-Cloud ; je bâtis quinze vaisseaux par an, « je n'en mettrai pas un en mer jusqu'à ce que j'en <«<aie cent cinquante: j'y serai le maître comme sur « terre. » Il revint plusieurs fois sur cette idée, qu'il serait bientôt le maître du monde, et que Paris viendrait jusqu'à Saint-Cloud; et je suis persuadé que M. de Prádt, qui aujourd'hui se moque fort de ces projets insensés, les trouvait fort beaux alors; qu'il n'en rabattait pas un seul de ces vaisseaux, une seule de ces maisons, et qu'il se voyait déjà rouler.pompeusement dans cette magnifique rue de Paris à Saint-Cloud, pour aller au lever.

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