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écrivains contemporains, lors même qu'ils ne sont pas plus exacts dans le récit des événemens, nous font cependant mieux connaître les hommes et les mœurs antiques. Cette observation s'applique même aux annales modernes. Voulez-vous bien connaître l'histoire de France, ne vous contentez pas de lire Daniel, le président Hénault, Velly, Villaret, Garnier; et cette nuée d'historiens qui ont écrit dans les deux derniers siècles de la monarchie française, depuis Mézerai jusqu'a Fantin-Désodoards. Remontez à Grégoire de Tours, et consultez successivement les divers écrivains qui, dans les différents âges de la monarchie, ont compilé nos annales, Marculfe, Réginon, le Sir de Joinville, Philippe de Comines, du Haillan, etc.

Cette nécessité est sans doute fort dure, lorsqu'il s'agit de parcourir les informes compilations des écrivains sans goût qui nous ont transmis les événemens du moyen âge; mais elle est bien éloignée de l'être, lorsqu'elle nous oblige à puiser les vérités historiques les plus intéressantes, aux sources en même temps les plus pures et les plus agréables on ne saurait se plaindre d'avoir à lire des historiens tels que Tite-Live, Tacite, Salluste, Velleius - Paterculus, Florus, Plutarque. Appien, généralement moins connu que ces grands écrivains, parce qu'ayant écrit en grec comme Plutarque, il n'avait pas eu comme lui des traducteurs qui le fissent connaître à ceux qui ne pouvaient le lire dans sa langue originale; Appien mérite néanmoins d'être nommé après eux, et d'être compté parmi les historiens les plus intéressans de l'antiquité. Il avait ecrit l'histoire romaine, non en un scul

corps d'ouvrage comme Tite-Live, mais il avait fait un ouvrage à part de chacune des nations subjuguées par les Romains, plaçant, sans interruption et selon l'ordre des temps, tout ce qui regardait la même nation. Ainsi son dessein était d'écrire une histoire exacte et détaillée des Romains et de toutes les provinces de leur empire: c'était une sorte d'histoire universelle de son temps; il conduisait le récit des événemens jusqu'à Auguste, quelquefois jusqu'à Trajan. Photius parle de vingt-quatre livres de ces différentes histoires, et cependant il en passe sous silence quelquesunes, qu'Appien lui-même nomme dans sa préface. Il nous reste encore aujourd'hui l'histoire des guerres d'Afrique, de Syrie, d'Annibal, de Mithridate, d'Ibérie, quelques fragmens des guerres d'Illyrie, enfin l'histoire des guerres civiles depuis la sédition des Gracques jusqu'à l'empire d'Auguste.

C'est ce dernier ouvrage dont M. Combes - Dounous vient de publier la traduction. Il renferme la partie la plus importante, et la plus féconde en grands événemens et en grands hommes de l'histoire romaine. Appien raconte ces événemens avec plus de détail et d'étendue qu'aucun autre historien, et je pense aussi, avec plus d'exactitude. Aussi son ouvrage estil le fondement de tous ceux que les écrivains modernes ont écrits sur les mêmes époques de l'histoire romaine. Rollin et Crevier le citent avec éloge, et le suivent avec confiance; Vertot principalement en a tiré presque tout l'ouvrage célèbre qu'il nous a laissé sur l'histoire romaine.

Montesquieu lui rend un témoignage non moins favorable, en renvoyant à lui, et à lui seul, le lec

teur qui voudra connaître l'histoire des guerres civiles qui désolèrent la république romaine. « Je supplie, dit-il, qu'on me permette de détourner les

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yeux des horreurs des guerres de Marius et de

Sylla on en trouvera dans Appien l'épouvantable « histoire. » L'Académie, qui s'occupait le plus parmi nous des faits de l'antiquité et des monumens historiques, l'Académie des Inscriptions et BellesLettres s'appuie souvent de l'autorité d'Appien, l'oppose même à celle des autres historiens, principalement à celle de Plutarque; et, lorsqu'ils ne sont pas d'accord, elle décide presque toujours en faveur du premier. J'ai recueilli, dans les tomes I, IV, V, VI, VII et IX des Mémoires de cette Académie, une foule de témoignages honorables à Appien, puisqu'ils attestent son exactitude et sa véracité.

C'est ainsi que, dans les différentes versions que Plutarque et Appien ont données de la mort du consul Cinna, qui avait relevé le parti de Marius, et qui fut égorgé par ses soldats, M. Secousse se détermine, d'après d'excellentes raisons, pour le récit d'Appien, et montre toutes les absurdités et les contradictions qui s'ensuivraient, si l'on adoptait celui de Plutarque. Le même académicien prouve encore que l'auteur des Vies des Hommes illustres ne donne point une idée juste de la guerre de Catilina, ni du caractère de ce fameux conspirateur, qu'il représente comme un homme sans courage. « Mais, ajoute «M. Secousse, c'est dans Cicéron, dans Salluste et « dans Appien, qu'il faut chercher un détail sûr et «<exact de ce fameux événement. » Un autre académicien, parlant de la mort de Fulvie, cette mé

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chante femme d'Antoine, qui eut tant d'influence dans les malheureux événemens du temps, et dont la mort fit espérer quelque temps la fin de la guerre civile, parce qu'elle permit à Antoine d'épouser la vertueuse Octavie, si différente de Fulvie, et sœur d'Auguste, se plaint de la manière incomplète dont tout cela est raconté dans Plutarque, et ajoute : « Ap༥ pien raconte ces événemens avec plus d'étendue : <«< il faut s'en tenir à ce qu'il dit dans cette occasion, «< où il expose, fort au long et avec beaucoup d'or« dre, des faits importans que Plutarque a passés « sous silence, ou dont il ne dit qu'un mot. » Enfin, pour ne pas trop multiplier ces témoignages, M. l'abbé Sallier, accusant justement les derniers historiens grecs tels Dion Cassius, Plutarque, que "

et l'auteur des Parallèles faussement attribués à ce dernier historien, d'une haine aveugle contre les Romains, loin d'intenter la même accusation contre Appien, invoque au contraire son autorité contre les détracteurs des plus illustres Romains, contre les historiens Grecs, qui, selon l'expression de Tacite, n'admiraient que les Grecs: Græci suos tantùm mi

rantur.

Appien n'a ni la noblesse ni l'élévation de TiteLive, ni la profondeur et l'énergie de Tacite, ni la concision et le nerf de Salluste, ni l'abandon et le naturel de Plutarque; mais sa narration a de la simplicité, de la clarté, de l'intérêt; ses réflexions sont justes, sensées, impartiales. Il aime beaucoup les harangues, et ce n'est pas la partie la moins intéressante de son ouvrage. Il fait parler ses personnages d'une manière très-convenable aux intérêts

qu'ils discutent, aux passions qui les agitent, à la position où ils se trouvent. Aussi Photius, après avoir loué la véracité singulière d'Appien, ajoute que, dans ses harangues, « il donne d'excellens modèles de « l'art avec lequel un général doit rendre la confiance « aux soldats abattus, ou les apaiser quand l'esprit « de révolte et de sédition les anime. » Quelquesunes même de ses harangues sont éloquentes: telle est celle de Cassius, faisant à son armée le tableau des proscriptions, et excitant ses soldats à venger tant de crimes. Le grand Corneille n'a pas dédaigné de dérober quelques traits à Appien, et il lui doit un de ses plus beaux vers. Pompée, ayant abandonné Rome et l'Italie à César, et voulant pallier cette faute aux yeux de ses soldats, jette cette réflexion au milieu d'un long discours : « Tous ceux qui ont de saines «< idées de la liberté, pensent que là où ils sont, là « est aussi la patrie. » Il est évident que c'est le mot de Sertorius, mais embelli dans le poëte français par une expression plus vive et plus animée.

Tel est l'historien recommandable, telle est l'histoire intéressante, dont M. Combes - Dounous vient de donner la traduction : c'est un ouvrage neuf dans notre littérature. Nous avions, à la vérité, deux anciennes traductions d'Appien, mais entièrement ignorées et dignes de l'être ; l'une, faite à la renaissance des lettres, et dans un temps où l'auteur n'avait pas même pu se procurer le texte grec d'Appien, est l'ouvrage de Claude de Seyssel, évêque de Marseille, qui l'entreprit sur une très-mauvaise traduction latine, que le docte Henri Etienne a caractérisée par un jeu de mots assez spirituel : ita infidelem,

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