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pas assez de latin pour expliquer les fables de Phèdre; il ne savait pas même lire le grec; il ignorait les langues modernes, et était par conséquent étranger à toutes les littératures. C'est à cet âge, et avec ce caractère, qu'il entreprend de recommencer son éducation: il assujettit cet esprit dissipé et indomptable aux travaux les plus longs, les plus pénibles, les plus fastidieux; il fait sur sa propre langue des études immenses, et que ne concevront pas ceux qui s'imaginent que la routine seule et l'usage suffisent à chacun pour apprendre sa langue maternelle; et moins encore ceux qui, étrangers à l'idiome italien, ne connaissent ni sa richesse, ni sa variété, ni l'altération que le langage primitif, tel qu'il avait été adopté et fixé par les premiers grands écrivains, a reçu et reçoit chaque jour des différens dialectes, et des auteurs sans nombre et sans goût qui le corrompent de plus en plus. Ce fut dans les premiers écrivains, et surtout dans le Dante, son poëte favori et son modèle, qu’Alfiéri étudia la langue italienne; il porta dans l'étude de la langue latine la même ardeur, la même constance, la même opiniâtreté; il lut jusqu'à deux ou trois fois tous les auteurs latins les plus célèbres, poëtes, orateurs, historiens ; il en traduisit plusieurs, soit en prose, soit en vers; entre autres, Salluste, Térence, Virgile. A l'âge de quarante-neuf ans, il entreprit l'étude du grec, et s'y adonna avec cette extrême vivacité que son caractère portait partout: il lut et il 'traduisit les écrivains grecs, et surtout les poëtes dramatiques, comme il avait lu et traduit les auteurs latins, et se passionna tellement pour le premier des poëtes grecs et de tous les poëtes, qu'il

institua un ordre en son honneur, et se créa luimême chevalier d'Homère. Je ne parle point de ses études sur l'hébreu.

A ces travaux de patience et d'érudition, Alfiéri joignait ceux de la pensée et du génie; et, se livrant à tous avec une excessive ardeur, il fut dans ceux-ci, comme dans les autres, d'une grande fécondité. Il fit des sonnets, des épigrammes, des canzoni, des odes, des satires, des poëmes; enfin, ce qu'il appelle lui-même un déluge de poésies. Il n'écrivait guère moins en prose. Mais de tous ses ouvrages, ceux à qui il doit principalement sa renommée, ce sont ses poëmes dramatiques. Il a fait dix-neuf tragédies et six comédies. Les Italiens eux-mêmes ne d'accord sur le mérite de ces ouvrages. Il est sont pas probable que là, comme ailleurs, les admirateurs l'exagèrent, et les détracteurs le diminuent.

Mes Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin, ou Frédéric le Grand; sa famille, sa cour, son gouvernement, ses amis, etc.; par M. Thiébault.

Les Mémoires particuliers sont à l'histoire ce que dans la peinture les portraits sont aux tableaux. Moins étendus, moins variés dans leur objet, ils intéressent plus certaines familles; et s'ils retracent les pensées, s'ils peignent les habitudes, s'ils décrivent les actions familières et domestiques d'un grand homme, ils intéressent aussi davantage le plus grand nombre des lecteurs. Les traits en sont moins vagues, les leçons y sont plus frappantes, les exemples et les

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modèles plus sensibles c'est ainsi que le portrait d'un bon roi, celui d'un vaillant capitaine, d'un vertueux magistrat, d'un excellent citoyen, rappellent mieux les qualités qui les distinguèrent, que des tableaux allégoriques de bonté, de valeur, de justice et de vertu..

De tous les hommes qui, dans les temps modernes, ont joué un grand rôle sur la scène du monde, le roi de Prusse, Frédéric II, est peut-être celui dont la vie privée offre à son historien un plus grand nombre de traits curieux et d'anecdotes intéressantes. Sa vie publique a sans doute un grand éclat : ses conquêtes, ses victoires, ses revers, sa constance et ses ressources dans l'adversité; sa politique, plus adroite et plus profonde que franche et loyale, mais presque toujours heureuse; la prépondérance qu'il sut donner dans la balance de l'Europe à un État nouveau et très-limité; tout ce qu'il fit, en un mot, comme roi et comme général, mérite de fixer l'attention des hommes d'État et des guerriers. Mais dans Frédéric l'homme est encore plus étonnant que le roi son génie vif et brillant, son esprit malin et caustique, son caractère quelquefois simple et aimable, mais le plus souvent difficile et même dur; ses relations avec tous les hommes célèbres, ses institutions littéraires, sa prose, ses vers, sa correspondance, sa cour de Postdam, rendez-vous de tous les hommes qui avaient ou qui voulaient de la célébrité; ses habitudes singulières, sa famille non moins singulière que lui, tels sont les élémens nombreux, variés et infiniment curieux de la vie privée de ce monarque; tels sont les objets intéressans que M. Thiébault embrasse

dans ses Mémoires. Cadre très-heureux : cadre très

mal rempli !

ou

Tous les livres qui contiennent des faits, des anecdotes, des dates et des noms, ont toujours une grande vogue au moment où ils paraissent, surtout si ces dates sont récentes, et touchent aux temps où nous vivons, et si ces noms illustres appartiennent à des personnages que nous avons connus, dont nous avons beaucoup entendu parler. Ils deviennent la pâture de ces lecteurs frivoles, la classe la plus oisive peut-être, et par conséquent la plus nombreuse de la société, qui ne voient dans un livre qu'un moyen de consumer le temps, sans application, sans travail, sans contention d'esprit, comme aussi sans utilité et sans fruit. Tels sont les lecteurs qui ont fait le succès éphémère de l'ouvrage de M. Thiébault; c'est à eux seuls qu'il semble l'avoir destiné; et, il faut l'avouer avec un pareil but, il pouvait encore faire beaucoup mieux. Plus d'esprit et un meilleur style, moins de niaiseries, de détails minutieux, moins de jactance de la part de l'auteur, moins d'importance dans ses petits alentours, un peu plus de sobriété à parler de lui, moins d'ardeur à se transporter sur. le lieu de la scène où il est souvent déplacé, à se peindre au milieu de gens en présence desquels il doit disparaître et s'évanouir; à rapporter ses saillies, ses bons mots, ses discours, dans lesquels il semble souvent confondre le ton rogue et chagrin avec la dignité d'un homme de lettres et d'un philosophe; enfin un meilleur choix dans les anecdotes et dans les faits, ne lui eût point nui auprès de ces aimables paresseux, qui, la plupart, ont trop d'esprit

et de goût pour ne pas connaître parfaitement toutes ces convenances, et surtout pour ne pas distinguer ce qui les ennuie de ce qui les amuse.

Ce qui les amuse incontestablement, ce qui leur fait dévorer l'ennui de volumineuses inutilités, de fastidieux détails, ce sont tous ces traits qui peignent le caractère de Frédéric; ces anecdotes qui nous font connaître tous les membres d'une illustre famille, cultivant, pour ainsi dire, au sein de la barbarie, les lettres et les sciences, et étonnant l'Europe par ses connaissances, son esprit et ses talens, autant que par ses grandes actions. Le roi Guillaume, à la cour duquel se formèrent ces princes et ces princesses amis des sciences et des lettres, était cependant l'ennemi le plus déclaré des lettres et des sciences (1); jamais il n'eut de relation avec son académie, que dans une occasion où il lui fit demander pourquoi le vin de Champagne était mousseux. Mais les académiciens lui ayant fait demander soixante bouteilles de vin, afin de l'analyser et de faire des expériences propres à les conduire à la solution du problème, il les refusa brusquement, et aima mieux demeurer toute sa vie dans une ignorance qui ne l'empêchait pas de trouver le vin fort bon.

Tel était le père du grand Frédéric, un des hommes les plus spirituels de l'Europe; de ce prince Henri, aimable, poli, instruit, savant même'; de la princesse Ulrique, reine de Suède, dont l'esprit était assez cultivé pour écrire en vers dans une langue qui

(1) Voyez, ci-après, les Mémoires de la princesse Whillelmine.

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