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de cette époque, joignaient beaucoup de présence d'esprit et de sang froid. Conrart raconte que le carosse de la duchesse de Bouillon ayant donné dans un groupe de séditieux, l'un d'eux ouvre la portière, monte insolemment dans la voiture, saisit plus que familièrement la duchesse, et semble ensuite vouloir l'étrangler. Celle-ci, sans s'effrayer, lui dit de prendre garde, et qu'elle est si maigre qu'il risque de se blesser (je suis obligé d'adoucir les expressions de la princesse qui sont beaucoup moins circonspectes); enfin elle fait si bien, qu'elle apaise ces furieux, qui la reconduisent et lui font une sorte de cortége.

Mais le personnage le plus singulier que Conrart introduit sur la scène, c'est le duc de Lorraine. Venu pour soutenir le duc d'Orléans dans ses projets contre la cour de Mazarin, il ne voulait pas entendre parler du prince de Condé, uni d'intérêts avec le duc d'Orléans. Mais la vérité est qu'il les trompait tous deux, et négociait avec la cour. A la tête d'une troupe de bandits, il paraissait leur digne chef. On lui fit des plaintes de la conduite de ses soldats, qui pillaient et ravageaient tout; il répondit que, se trouvant dans un pays gras, après avoir été quinze jours sans avoir seulement un morceau de pain, il était-naturel qu'ils ne fussent pas sobres et discrets. On fut curieux de savoir comment ses soldats avaient pu vivre quinze jours privés de pain; il répondit qu'ils avaient mangé des chevaux, des chiens, des hommes, et même des religieuses, dont ils avaient fait de fort bons potages. Il se déguisa lui – même en religieuse, pour aller à une partie où il ne voulait pas être reconnu, et il y fut mené par mademoiselle

de Chevreuse. Il appelait la duchesse d'Orléans, qui était sa sœur, Margot. Cependant cet homme, tout à la fois fin et grossier, tournait assez bien un compliment dans l'occasion. Dans sa première entrevue avec le prince de Condé, que pourtant il n'aimait pas, il lui dit : « Jusqu'ici j'ai vu quantité de per<«< sonnes avec qui je ne suis point propre : des da<< mes galantes et raffinées, qui ne s'accommodent << point d'un soldat lourdaud et malpropre comme « moi; des blondins poudrés et parfumés, qui me «<font honte par leurs beaux habits et leurs galante«<ries; des ministres d'État si fiers et si'subtils, que « je ne suis pas capable d'entendre leur politique; «< mais aujourd'hui je trouve, au lieu où je viens, << toutes sortes de sujets d'admiration : un grand << héros, un conquérant, un homme consommé pour <<< les conseils et les affaires. » Mais le ton grave lui convient peu, et il retombe bientôt dans la bouffonnerie, qui lui est plus naturelle. Le cardinal de Retz étant venu le voir, et ne lui ayant parlé que d'intrigues de cour et de desseins de guerre, «< le duc tira « son chapelet de sa poche, et commença à dire ses patenôtres, disant que, puisque les prêtres fai<«< saient son métier, il fallait qu'il fît le leur. » Et admirez comme le cardinal, dans ses Mémoires, dissimule cette pasquinade piquante, sans pourtant trahir trop ouvertement la vérité. « Cette confé<«<rence, dit-il, ne se passa qu'en civilités et qu'en <«< railleries, dans lesquelles il était inépuisable. »

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La seconde partie des Mémoires de Conrart se compose de fragmens détachés, tels que le récit d'une visite faite à l'Académie par la reine de Suède Chris

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tine; du duel où périt le mari de madame de Sévigné, et d'anecdotes sur quelques personnages du temps, comme mesdames de Longueville, de Châtillon, de Roquelaure, de Scudéry, et sur le surintendant d'Émery, Mazarin, d'Estrades, Chavigny, et quelques autres encore, dont le secrétaire de l'Académie parle avec une bonhomie qui n'est pas toujours sans malice.

Abrégé des Mémoires, ou Journal du marquis de Dangeau, extrait du manuscrit original, contenant beaucoup de particularités et d'anecdotes sur Louis XIV, sa cour, etc.; par madame de Genlis.

La cour de Louis XIV, les hommes qui y ont brillé, les femmes qui l'ont parée de leur éclat et de leurs grâces, et par-dessus tout ce grand roi lui-même, l'âme et le centre de cette cour brillante, l'objet du respect, de l'admiration et de l'amour de tous ces illustres personnages, ont toujours pour nous un attrait que n'ont pu encore détruire ni affaiblir tant d'histoires, de Mémoires historiques, et même de romans historiques, qui prétendent nous retracer cette belle époque de notre histoire, ni tant de doctrines révolutionnaires et d'écrivains révolutionnaires qui auraient voulu la flétrir. Entraînés par l'ascendant de cette opinion générale qu'ils n'ont pu pervertir sur ce point, ces écrivains eux-mêmes sont forcés de rendre hommage à ce grand siècle qui les condamne trop pour qu'ils puissent l'aimer; ils louent, quoique d'assez mauvaise grâce, ce roi dont au fond

la gloire leur est importune, et cette cour aimable et polie à laquelle ils préféreraient de grand cœur une société populaire. C'est dans cet attrait si fort, si puissant, si irrésistible, qui les a subjugués eux-mêmes, qu'ils devraient voir un sentiment éminemment français; expression qu'ils affectionnent beaucoup depuis quelque temps, et dont ils font des applications souvent si étranges, quelquefois si odieuses.

Ce siècle, qui semblait pressentir son importance et toute la curiosité qu'il inspirerait, a laissé une foule de relations particulières, de Mémoires historiques, de journaux historiques, de recueils et de récits divers sur les grands et petits événemens qui l'ont occupé et rempli. Ceux de ces écrits qui n'avaient pas été publiés par leurs auteurs, l'ont été successivement par des éditeurs, pour qui c'était une bonne fortune d'annoncer une nouvelle découverte sur l'histoire générale ou particulière de cette époque. On doit croire que depuis cent ans aucun n'a échappé à l'avidité de leurs recherches, excitée par l'empressement des lecteurs pour ce genre d'ouvrage. Un seul cependant, sans leur avoir précisément échappé, leur avait résisté par son volume, les avait effrayés par sa masse : c'était le Journal historique de Dangeau. Cités souvent, tantôt avec éloge et comme une autorité, tantôt avec moins d'égards et même une sorte de dénigrement, ces Mémoires étaient une source intarissable, où, détracteurs comme approbateurs, tous ceux qui ont écrit sur le siècle et la cour de Louis XIV, ont abondamment puisé. Tout le monde en connaissait donc l'existence, mais peu de personnes en connaissaient la forme ou quel

que parie considérable, et personne peut-être le fond tout entier, et les immenses matériaux dont ils se composent. Qui ne reculerait, en effet, à la vue des cinq cents volumes ou cartons dans lesquels ils sont contenus à la Bibliothèque du roi ? Le courage seul de madame de Genlis a pu tenter de lire cet énorme fatras, où quelques faits curieux, quelques anecdotes piquantes, quelques détails peu connus et dignes de l'être, pouvaient encore, après tant d'historiens et de compilateurs, se trouver noyés dans ce déluge de notes insignifiantes et de détails fastidieux. Elle assure qu'elle a tout lu. Si cela est difficile à croire, il serait encore plus impoli de le nier; et, pour mon compte, je n'en doute nullement. Ainsi, après s'être si souvent étonné de tout ce que madame de Genlis a écrit, il faudra encore s'étonner de tout ce qu'elle a lu. Elle assure de plus qu'elle n'a pas omis, dans l'extrait qu'elle nous présente de ces Mémoires, une seule ligne digne d'être recueillie. Je le crois encore, et je suis persuadé qu'en général, si on lui adresse quelques reproches, ce ne sera pas celui d'a

voir omis.

Avant de nous faire connaître les Mémoires de Dangeau, madame de Genlis veut nous faire connaître Dangeau lui-même. Nous sommes dans le siècle des compilations, des extraits et des notices; l'ouvrage d'un auteur mort ne peut pas paraître sans une notice nouvelle, quelque nombreuses que soient les notices anciennes. Fontenelle en avait fait une sur Dangeau, qui était de l'Académie des Sciences; circonstance assez importante de sa vie, et qui est pour tant oubliée par madame de Genlis, quoique sa notice,

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