Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tion aux Mémoires de Brienne. C'est un morceau d'histoire critique, philosophique et anecdotique, plein d'agrément, de variété et de rapprochemens ingénieux et piquans ; c'est un tableau de moeurs dans leur passage de la simplicité, de l'austérité, de la rudesse même, à l'urbanité, à la politesse et au raffinement dans la recherche des commodités de la vie, des superfluités du luxe et des plaisirs de l'esprit. On y voit le travail d'une société toujours vive et trèsspirituelle, mais encore fort imparfaite, et se ressentant trop de l'ignorance, des préjugés, de la grossièreté même des temps qui l'avaient précédée, et marchant rapidement à la conquête de tout ce qui lui manquait dans le ton, les mœurs et les usages, et surtout dans les arts et la langue, pour enfanter des chefs-d'œuvre. Des réflexions fines, judicieuses, quelquefois un peu malicieuses, mais avec une juste mesure, et comme il convient à ce genre de composition, sont répandues avec goût et sans profusion dans ce petit ouvrage, écrit avec beaucoup de naturel, quelquefois d'élégance et toujours une agréable et spirituelle facilité. On peut lui reprocher quelques défauts de proportion dans les parties qui le composent. Je voulais en citer quelques traits ingénieux, quelques curieuses anecdotes: mais le choix m'embarrasse, et j'aime mieux renvoyer le lecteur à l'ouvrage même. J'ajouterai seulement que cette Introduction est fort étendue sans paraître longue; que les notes qui accompagnent les Mémoires de Brienne sont très-nombreuses, sans l'être trop; ainsi, M. Barrière a beaucoup grossi l'intéressant ouvrage dont il est l'éditeur, sans qu'assurément les lecteurs aient à s'en plaindre.

Mémoires de Conrart, premier secrétaire perpétuel de l'Académie - Française.

Voici encore d'anciens Mémoires inconnus et ignorés, et qui paraissent au bout de deux siècles. C'est à M. de Monmerqué, aussi exact qu'infatigable dans ses recherches sur notre histoire civile et littéraire, qu'est due cette découverte; c'est aussi lui qui en est l'éditeur, et qui accompagne le texte de notes et d'éclaircissemens, et la fait précéder de deux intéressantes notices historiques. C'est une heureuse découverte, et un avantage réel pour la collection, de le faire connaître, et de le publier pour la première fois.

En effet, Conrart, académicien, fondateur pour ainsi dire de l'Académie, secrétaire, et le premier secrétaire perpétuel de cette illustre corps, n'était connu que pour n'avoir rien écrit; c'est à ce titre qu'il était célèbre; c'est par son silence, immortalisé par ce vers malin de Boileau :

J'imite de Conrart le silence prudent,

que son nom semblait devoir passer d'âge en âge jusqu'à la postérité la plus reculée. C'est en 1669 que Boileau fit l'épître où se trouve ce vers ; il ne se doutait guère que, cent cinquante-sept ans plus tard, Conrart romprait ce silence qui, tout prudent qu'il était, ne put le dérober à l'humeur caustique du poëte ; tant il est difficile d'échapper à la satire! Un autre poëte, Linière, qui peut-être aurait dû ambitionner cette célébrité du silence, reproche aussi à Conrart

cette sagesse et cette prudence, dont l'avait si malignement loué Boileau.

Conrart, comment as-tu pu faire
Pour acquérir tant de renom;
Toi qui n'as, pauvre secrétaire,
Jamais imprimé que ton nom?

Mais ces petites malices-là même prouvent que Conrart avait beaucoup de renom. Il était en effet lié avec tous les beaux-esprits de cette époque, et même avec les savans, quoiqu'il fût très-peu savant luimême. Il ne savait ni grec, ni latin; il n'avait point fait d'études. Son père, qui, comme on voit, avait fort peu soigné l'éducation de son fils, l'avait pourtant élevé fort durement. « C'était, dit un manuscrit <«< contemporain que M. de Monmerqué, qui ne néglige aucune recherche, a trouvé dans la belle bibliothèque de M. de Châteaugiron, c'était un << homme simple qui ne permettait pas à son fils de « porter des jarretières ni des rosettes de souliers, et

qui lui faisait couper les cheveux au-dessus de l'o<«<reille. » Le bon homme Conrart prévenait, comme on voit, la mode de près de deux siècles, ce dont il ne se doutait guère; et son fils eût été très bien coiffé de notre temps; mais, comme il voulait être à la mode du sien, il avait dans sa poche de belles jarretières et de belles rosettes qu'il mettait et ôtait au coin de la rue. « Une fois qu'il s'ajustait ainsi, con<«tinue le manuscrit, il rencontra son père tête pour « tête, et il y eut bien du bruit au logis. »

Conrart fit, dans la suite, ce qu'il put pour réparer le malheur d'une éducation négligée; mais il était trop tard pour commencer de longues et fortes étu

des. Il se borna donc à apprendre l'espagnol et l'italien, et il s'attacha surtout à écrire correctement et avec quelque élégance sa propre langue. Il y parvint si bien, qu'il effaça beaucoup de savans qui avaient pâli sur le latin et le grec. Ceux-ci s'en étonnèrent t; et Balzac lui écrivait que, s'il n'avait pas appris le latin, il fallait que cette langue lui eût été révélée ; il revient plus d'une fois sur cette idée : « Quoique « vous ayez quarante ans passés, lui dit-il, et que « vous m'ayez juré plusieurs fois que vous ne savez <«< pas la langue latine, je gage que, si vous voulez, << vous ferez, avant que de mourir, un livre latin « qui donnera de la jalousie à M. de Saumaise et à << M. Heinsius; voire même à M. Ménage, et à votre « très-humble serviteur, si notre jalousie pouvait <«< compatir avec notre amour. »

Lié, comme nous l'avons déjà dit, avec tous les beaux-esprits de son temps, Con rart en rassembla dix chez lui, qui y venaient régulièrement causer, lire leurs vers et leur prose, s'entretenir de littérature et de nouvelles littéraires. Ce fut là le berceau de l'Académie-Française; ce fut là même son âge d'or, s'il faut en croire l'abbé de La Chambre, qui, cinquante ans plus tard, fait un parallèle très - piquant et assez satirique, de ce qu'était de son temps l'Académie, dont il était alors directeur, avec ce qu'elle fut dans ses premiers commencemens. Conrart en fut le premier secrétaire perpétuel; ce fut là sa gloire, et la principale cause de sa renommée. Les historiens de l'Académie, Pélisson, l'abbé de La Chambre, d'Olivet, pleins de reconnaissance envers le créateur du corps littéraire auquel ils sont

;

glorieux d'appartenir, le peignent toujours sous les traits les plus flatteurs : ils vantent son esprit, ils vantent son caractère. Il paraît, en effet, que Conrart était généralement aimé; c'était son ambition et, s'il faut en croire un de ses contemporains, et même de ses confrères à l'Académie, le poëte Malleville, qui paraîtrait s'être très-bien défendu de cette affection générale ; c'était sa manie. Malleville plaisantait, en effet, sur ce sentiment banal offert à tout le monde, et prétendait qu'il lui semblait entendre Conrart crier par les rues: « Ah! ma belle amitié! « qui en veut, qui en veut de ma belle amitié ! »

L'Académie - Française ne pouvait pas suffire à la passion de Conrart pour les entretiens et les Sociétés littéraires; l'hôtel de Rambouillet était à cette époque une autre Académie, Conrart y fut admis et y

fit admettre : c'est à sa recommandation et à celle de Chapelain, que Godeau, évêque deVence, y fut reçu. Mademoiselle de Scudéry tenait un bureau d'esprit, et Conrart en était. Leurs noms français et bourgeois leur paraissant communs, ils en prirent, comme on sait, de grecs, de romains ou de romanesques; Conrart s'appela Théodame ou Philandre (cette dernière dénomination confirmerait la plaisanterie du poëte Malleville), comme Pélisson se nommait Herminius ou Acanthe; comme l'évêque de Vence se laissait galamment appeler le mage du Tendre ou de Sidon; comme enfin la maîtresse de la maison trouvait bon qu'on l'appelat Sapho. Enfin, un samedi 20 décembre 1653, jour à jamais célèbre dans les annales de cette Société spirituelle dont tous les membres firent assaut d'esprit, de vers, de complimens et de galan

« ZurückWeiter »