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Les manœuvres d'escadre offrent des difficultés qu'une longue pratique et une connaissance parfaite de son vaisseau permettent seules à un capitaine de surmonter. Parmi ces manœuvres, il en est qui sont plus difficiles les unes que les autres, et celles qui ont pour objet de faire courir une escadre grand largue ou vent arrière sont certainement les plus épineuses. La difficulté est d'autant plus grande que la marche des vaisseaux est plus différente. Ces notions, élémentaires aujourd'hui, le bouillant chef d'escadre qui commandait les forces navales de la France dans l'Inde, oublia trop souvent d'en tenir compte; et il lui arriva d'attribuer à ses sous-ordres des résultats qu'il n'avait pas toujours dépendu d'eux de prévenir. Qu'on se rappelle, en effet, que sur les 12 vaisseaux qui composaient actuellement l'escadre, 2 ou 3 seulement étaient doublés en cuivre, et que les autres étaient mailletés; que plusieurs capitaines n'avaient pas encore navigué avec le vaisseau qu'ils commandaient; que quelques-uns, enfin, commandaient pour la première fois, et l'on verra si, avec de semblables éléments, il n'y avait pas lieu de prendre des précautions auxquelles le commandant en chef ne songea malheureusement jamais. L'escadre française gouverna donc en ordre de marche, quatre quarts largue, sur les Anglais; et comme ceux-ci couraient toujours de l'avant, il en résulta que, lorsqu'à 31 15, elle s'en trouva à portée convenable, les vaisseaux de tête ne portaient plus que sur la queue de la colonne ennenie. Serrant alors le vent, bâbord amures, le Héros remonta la ligne, en la canonnant, jusqu'au SuPERB par le travers duquel il s'arrêta; 4 vaisseaux imitėrent sa manœuvre et choisirent chacun pour adversaire un des vaisseaux placés en arrière du SUPERB. Voici l'ordre dans lequel les Français se présentèrent. Ainsi que je

la

l'ai dit, le Héros marchait en tête; venaient ensuite l'Orient, le Sphinx, le Vengeur, l'Hannibal, l'Annibal, le Bizarre, le Sévère, l'Ajax, le Flamand, l'Artésien; le Brillant fermait la marche. On voit quelle était la position des deux escadres : les 5 derniers vaisseaux anglais étaient attaqués et les 4 de tête ne combattaient pas; du côté des Français, c'étaient, au contraire, les 5 premiers vaisseaux qui se battaient; les 7 autres, qui avaient serré le vent plus ou moins promptement, étaient derrière ceux-là et au yent, et n'avaient pas d'ennemis par leur travers. Un signal qui resta en permanence à bord du Heros leur prescrivit de prendre un poste qui leur permît de combattre : ils n'en tinrent aucun compte. Deux vaisseaux seulement se portèrent sous le vent de la ligne ennemie et créèrent à ceux de queue des difficultés dont ceux-ci ne sortirent que grâce à l'intervention de leur avant-garde qui vira de bord lof pour lof pour leur venir en aide, et qui obligea les 2 français à passer de nouveau de l'autre côté de la ligne. Toutefois, cette intervention avait été tardive, et les vaisseaux attaqués furent très-maltraités; il fut heureux pour eux que la nuit vint mettre un terme au combat. Une moitié de l'escadre française se borna à tirer de loin et, comme le dit le commandant en chef, à s'étourdir par le bruit de ses canons; les boulets de ces vaisseaux ne portaient même pas. Certain désormais qu'il ne pouvait compter sur la coopération de leurs capitaines, le commandant en chef fit cesser le feu à la nuit, prit les amures à l'autre bord et alla mouiller à Pondichéry avec le convoi. Le Héros, l'Orient et le Sphinx avaient été très-maltraités. Du côté des Anglais, ce furent l'EXETER et le SUPERB qui souffrirent le plus les capitaines Reynolds et Stevens, de ces deux vaisseaux, avaient été tués.

Voici, individuellement, comment les choses se passèrent :

Le Héros envoya sa première bordée à l'EXETER, et pro

longea la ligne ennemie jusqu'au SUPERB qu'il combattit tant qu'il fit jour.

L'Orient imita la manœuvre du Héros; envoya une bordée aux vaisseaux ennemis et s'arrêta par le travers du MONARCA qui devint son adversaire définitif et qu'il ne cessa de combattre que lorsqu'il en reçut l'ordre.

Le Sphinx suivit son chef de file, envoya une volée à l'EXETER et prit, par le travers du HERO, le poste que son numéro d'ordre lui donnait dans la ligne. Ce vaisseau ne cessa son feu que quand le commandant en chef en fit le signal.

Le Vengeur manœuvra comme les 3 vaisseaux qui le précédaient; il envoya une bordée à l'EXETER et combattit l'Isis jusqu'à la nuit.

L'Hannibal aurait eu affaire à forte partie si l'Exeter qu'il combattait n'avait pas préalablement reçu quatre bordées destructives. Sa faiblesse relative rendait néanmoins sa position périlleuse; il s'y maintint cependant et, soutenu plus tard par 2 vaisseaux qui obligèrent l'EXETER à combattre des deux bords, il contribua à mettre le vaisseau anglais en quelque sorte dans l'impossibilité de continuer la lutte. L'Hannibal ne cessa de combattre que lorsque le signal en fut fait.

L'Annibal, qui était le sixième vaisseau de la ligne, se trouva sans adversaire. Au lieu de se placer de manière à pouvoir diriger ses boulets sur le serre-file anglais, il tint le vent par la hanche de bâbord de l'Hannibal, à grande distance, et resta là malgré le signal qui ne cessa de flotter à bord du Héros, de combattre l'ennemi à portée de pistolet. Le capitaine de ce vaisseau ne crut cependant pas devoir rester silencieux et il consomma autant de poudre que les autres.

Le Bizarre suivit en tout la manœuvre de son chef de file. Le Sévère agit de même.

L'Ajax, qui avait serré le vent derrière le Sévère, reçut l'ordre de combattre l'ennemi sous le vent; mais le capi

taine de l'Annibal lui ayant signalé de ne pas quitter son poste, il ne l'exécuta pas.

Le Flamand reçut également l'ordre de prendre position sous le vent de la ligne ennemie. Ce vaisseau se couvrit de voiles et alla combattre au poste qu'on lui assignait. L'arrivée des 4 vaisseaux d'avant-garde le fit passer de nouveau de l'autre côté.

L'Artésien resta au vent et, comme les autres, fit un grand feu, quoique hors de portée.

Le Brillant venait en dernier. Le capitaine de ce vaisseau ayant demandé et obtenu d'exécuter le signal qui avait été fait à l'Ajax, laissa de suite arriver et prit le travers de l'EXETER. La position du vaisseau anglais devint bientôt fort critique; malheureusement, une avarie occasionnée, dit-on, par des boulets français de l'arrièregarde, firent culer le Brillant : l'EXETER était presque réduit. La manœuvre des vaisseaux anglais de l'avant-garde détermina aussi le capitaine de Saint-Félix à passer de l'autre côté de la ligne.

Tel fut le combat du 17 février, le premier que le chef d'escadre de Suffren livra dans l'Inde, combat dans lequel, malgré une supériorité numérique d'un quart, les Français n'eurent aucun avantage décisif. Il faut toutefois le dire: la quantité disparaissait, devant la qualité. Ici commença à se montrer ouvertement l'esprit de jalousie et d'indiscipline contre lequel le commandant en chef eut à lutter pendant toute la durée de son commandement et qui paralysa constamment les faibles moyens dont il pouvait disposer. Cet esprit, il l'avait prévu, et il s'était mis en mesure d'en avoir raison (1).

(1) La version que je viens de donner du combat du 17 février, dit généralement combat de Madras, diffère essentiellement de celles qui ont été écrites et qui ont été empruntées, presque textuellement, à l'ouvrage anglais de Clerk (a). La mienne est prise dans les rapports officiels du bailli de Suffren, documents

(a) A methodical essay on the naval tacticks.

Le chef d'escadre de Suffren avait eu connaissance de la prise de Negapatam (1) par les Anglais; cette place avait succombé à une attaque simultanée par terre et par mer, au mois de novembre de l'année précédente. Il estima l'occasion favorable pour la replacer sous la domination de la Hollande; mais le général Duchemin qui commandait les troupes que portait le convoi ne partagea pas cette opinion. Une des branches du Coleroon, rivière dont la source est dans les Gattes vient, après avoir traversé le royaume de Tanjaour, se jeter à la mer à quelques milles dans le Sud de PortoNovo (2). Cette rivière, malgré sa barre, offrait un endroit commode pour le débarquement; ce point avait été indiqué par Hyder-Ali. L'escadre y jeta l'ancre, et les troupes mises à terre marchèrent de suite sur Goudelour (3) qui se rendit par capitulation le 4 avril.

A son arrivée dans l'Inde, une occasion s'était offerte qui avait permis au chef d'escadre de Suffren de voir combien la discipline y était relâchée à bord des bâtiments. Il s'en était plaint au ministre de la marine et voici à quelle occasion. Le commandant de l'Annibal ayant été tué au combat de la Praya, il avait donné le commandement de ce vaisseau au chevalier de Galle qui en était le second. Lorsqu'il arriva à l'île de France, les officiers de la division de l'Inde ne se bornèrent pas à critiquer la nomination du chevalier de Galle, ils la trouvèrent injuste et déclarèrent au commandant d'Orves être prêts à donner leur démission, s'il ne faisait pas droit à leur réclamation. Quelque inconvenante et surtout subversive de toute discipline que

précieux qui sont épars au milieu des nombreux papiers non classés que possède le dépôt des cartes et plans du ministère de la marine et dont l'existence ne paraît avoir été connue que de M. Cunat dont l'intéressante et consciencieuse Histoire du bailli de Suffren fait exception à la règle générale.

(1) Negapatam, principal établissement des Hollandais sur la côte de Coromandel, à 70 milles au Sud de Pondichery.

(2) Porto Novo, petite ville alors au pouvoir du Nabab, à 25 milles dans le Sud de Pondichery.

(3) Goudelour, comptoir anglais à 36 milles au Sud de Pondichéry.

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