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comprendre toutes les humiliations que dut subir, toutes les supplications que dut faire le ci-devant comte de Ségur pour échapper à la mort et pour y soustraire aussi les siens; car, il faut le dire, ce fut toujours un très-bon fils, un très-bon mari et même un très-bon frère, quoique le vicomte se fût dès lors tout à fait séparé de lui par la différence de leurs opinions. Ainsi échappé miraculeusement à l'échafaud, on doit bien penser qu'il fit tout pour ne pas retomber dans les mêmes périls. Par prudence ou par économie, car il était resté sans fortune, il habita encore la campagne pendant quelques années, et s'y occupa uniquement de littérature et de l'éducation de ses enfants, venant rarement à Paris, et voyant peu de monde. Boissy-d'Anglas était le seul ami qu'il eût conservé. C'est dans cet intervalle qui sépara la révolution du 9 thermidor de celle du 18 brumaire qu'il composa la plupart de ses écrits, publiant parfois dans les journaux les plus connus pour leur attachement aux doctrines révolutionnaires des articles sur la politique du temps et la littérature, qui, bien qu'écrits avec mesure et ménagement pour tout le monde, décèlent toujours un sincère attachement aux doctrines de la révolution. Ce fut dans ce temps-là (1799), un peu après la mort de Catherine II, qu'il publia, sous le titre de Théâtre de l'Hermitage, toutes les pièces qu'il avait composées dans les années 1787, 1788 et 1789, annonçant que plusieurs de ces pièces étaient de l'ambassadeur Cobentzl, du prince de Ligne, des comtes de Strogonoff, Schuvalow et de l'impératrice elle-même. Sans croire absolument à une pareille coopération, nous ne doutons

pas que Catherine II, qui aimait beaucoup dans ce temps-là l'esprit et la gaîté de Ségur, et qui était ellemême douée d'un esprit, d'une gaîté véritablement française, n'ait souvent laissé échapper dans la conversation des traits plaisants et d'un fort bon comique, lesquels, saisis par l'adroit courtisan, et placés habilement dans un cadre qu'il ajustait à sa manière, auront suffi pour flatter la vanité de la czarine, et même lui persuader qu'elle était le véritable auteur de la pièce. Le prince de Ligne se sera d'autant plus aisément associé à ces petits mensonges, qu'il était à cette époque également admirateur de l'impératrice et du comte de Ségur, et que dans plusieurs passages de ses écrits de cette époque il a fait de lui un portrait extrêmement flatteur. Cependant, comme ce prince resta fort attaché aux doctrines monarchiques, il changea complétement d'avis, quand il vit son ami de Versailles et de St-Pétersbourg devenir révolutionnaire. Alors il fit de lui un second portrait commençant par ces mots : Quantum mutatus ab illo, dans lequel il rétracta tous ses premiers éloges. Les apologistes de Ségur se sont empressés de citer le premier de ces portraits, mais on conçoit par quel motif ils ont gardé le silence sur le second. Cet excellent prince de Ligne, qui étaìt plus vrai et plus franc que M. de Ségur, a peu dissimulé, même dans ses écrits, son intimité avec Catherine. L'envoyé de France, au contraire, même dans les derniers temps de sa vie, se taisait toujours à cet égard, et quand on le pressait de questions sur ce sujet, il détournait la conversation et semblait cependant vouloir faire penser qu'il avait joué le rôle de Joseph ou d'Hippolyte. Quelquefois, pour ajou

ter au mérite de la résistance, il van tait les beaux yeux bleus de l'impératrice et la fraîcheur de teint qu'elle avait conservée jusque dans l'âge le plus avancé. Mais dans le même temps il fournissait des matériaux à Castera, dont on sait que l'Histoire de Catherine II est la plus violente diatribe qu'on ait imprimée contre cette princesse. A la même époque Ségur publia sous son nom un autre ouvrage, l'Histoire des principaux événements du règne de Frédéric Guillaume II, roi de Prusse, ou Tableau historique et politique de l'Europe de 1786 à 1796. Les circonstances dans lesquelles se fit cette publication et son titre équivoque, que l'auteur a changé plusieurs fois depuis, fixèrent au plus haut degré l'attention publique. On s'attendait à y trouver, de la part de M. de Ségur, d'importantes révélations sur la diplomatie européenne, et principalement sur sa mission de Berlin, que chacun expliquait à sa manière, et sur laquelle lui-même n'avait jamais dit que quelques mots insignifiants. Mais, sous ce rapport, l'attente du public fut complétement trompée. Il y est à peine fait mention de cette circonstance si importante dans la politique de l'époque, et plus importante encore dans la vie du comte de Ségur. On espérait aussi trouver dans cet ouvrage quelques mots d'éloge et de reconnaissance envers Catherine II, qui avait été si bonne pour l'auteur ! Mais sous ce rapport les espérances des lecteurs furent encore déçues. L'écrit dans lequel Ségur a parlé avec le plus de liberté de cette princesse est le Portrait de Potemkin, qu'il n'a pas craint d'insérer sous son nom dans les dernières éditions de Castera, lesquelles, il est vrai, ne parurent qu'a

près la mort de Catherine II, que probablement il n'aurait pas osé traiter ouvertement aussi mal de son vivant, de peur que cette princesse ne se fût écriée, ainsi que le prince de Ligne : Quantum mutatus ab illo ! Comme l'Histoire de Frédéric-Guillaume était écrite pour la France dans un assez bon esprit de modération, de justice, et qu'alors on était peu accoutumé à un pareil langage, cet ouvrage eut beaucoup de succès. Ségur en donna peu de temps après un autre qui n'était pas de lui, mais dont il se fit l'éditeur en y ajoutant des notes et commentaires. C'est celui du célèbre Favier, intitulé Politique de tous les cabinets de l'Europe pendant les règnes de Louis XV et Louis XVI, publié en 1793 d'après le manuscrit enlevé dans le pillage des Tuileries après la journée du 10 août. On sait que ce précieux écrit n'était autre chose que le résumé de la fameuse correspondance du comte de Broglie et de Favier, ce profond publiciste dont les deux rois auxquels elle était destinée eurent si grand tort de ne pas faire leur principal guide. Les notes que Ségur a ajoutées à cette édition sont, pour la plus grande partie, conformes aux opinions de Favier; mais quand elles en diffèrent, c'est presque toujours par suite de ses nouveaux principes, qui lui ont d'ailleurs fait commettre des erreurs bien plus graves. A cette époque, son premier soin, son seul but était de plaire au nouveau consul, qui l'avait nommé membre du corps législatif, emploi bien humble sans doute en raison de son ancien rang et de ses hautes fonctions; mais c'était un motif pour chercher à en avoir davantage, et, sur ce point, Ségur ne se rebutait pas facilement. Cependant il ne

pour cette fois et pour cet objet seulement. Alors on vit le législateur Ségur s'élancer à la tribune et s'écrier d'une voix pathétique :

se dissimulait point que le createur de la nouvelle monarchie avait peu de goût pour ceux qu'il soupçonnait d'avoir renversé l'ancienne, ou du moins de ne l'avoir pas dé-Lorsque le tribunat a émis un fendue comme ils auraient dû le vœu dicté par la reconnaissance faire. Et une autre cause de défa nationale pour le premier magisveur auprès de Bonaparte, c'est qu'il trat de la république, le corps lén'aimait pas que ceux qu'il plaçait gislatif, qui éprouvait le même dans de hauts rangs fissent des li- sentiment, crut avec regret que la vres, et surtout des livres politi-constitution lui interdisait la faques. Lors de la publication de l'His-culté de l'exprimer et de prendre

à cet égard aucune initiative. Je craignis dès lors, d'après les entraves imposées par la constitution, qu'aucune des autorités éta

toire de Frédéric - Guillaume, sachant très-bien que M. de Ségur en était l'auteur, il feignit un jour de l'ignorer, et lui demanda sur le ton dédaigneux qu'il prenait quelque-blies ne pût remplir complete

fois avec les ci-devant grands seigneurs, quand il voulait les humilier, si ce M. de Ségur qui faisait des livres était son parent. Obligé d'avouer le fait, Ségur se le tint pour

ment un vœu que je crois général. Dans une aussi grande circonstance, lorsqu'il s'agit de décider si la gloire de nos armes, si les douceurs de la paix, la restaura

dit, et jusqu'à la chute du trônetion de l'ordre public, la compres

impérial il ne poblia pas un volume, bien qu'il en eût composé un grand nombre dans sa retraite. Il les renferma dans ses cartons et chercha un autre moyen de plaire au maître. C'é

sion de toutes les factions seront durables ou passagères; lorsqu'il ⚫ faut imprimer le sceau de la constance à nos institutions et enlever aux ennemis du peuple fran

tait le temps où la France, échap-çais l'espoir de voir renaître les

pée aux calamités des factions et de l'anarchie, se précipitait dans le des potisme. Les hommes de l'ancien et ceux du nouveau régime, les sénateurs, les tribuns et les législateurs, tous manifestaient le même zèle;

troubles qui tourmentaient la république avant le 18 brumaire ; lorsqu'il s'agit enfin de donner à l'homme que la France admire et que l'Europe nous envie une récompense digne de nous et de lui,

c'était à qui se montrerait plus hum-c'est au peuple souverain qu'il

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⚫ lustre citoyen, à l'esprit duquel au- cune grande pensée n'échappe, exprime à la fois sa reconnaissance pour cette grande autorité et son respect profond pour la majesté du peuple souverain. Enfin les consuls ⚫ et le conseil d'État, en convoquant « la nation, nous donnent le juste espoir de voir disparaître ces tristes ⚫ bornes que le patriotisme regardait - avec inquiétude, et l'envie avec "une joie basse et perfide. Cet arrêté des consuls qui nous a été communiqué nous laisse une entière liberté d'exprimer nos sentiments. Ce n'est point ici l'un de « ces actes sur lequel le silence impartial d'un juge nous est imposé; ⚫ c'est un appel au peuple dont nous faisons partie, dont nous sommes • les représentants...... » A la suite de ce beau discours, le citoyen Ségur (car c'était encore ainsi qu'il devait se nommer) fit décréter l'ouverture immédiate d'un registre pour inscrire le vœu de chacun de ses collègues et l'envoi au consul d'une grande députation pour lui porter le résultat de ces vœux. On conçoit toutes les conséquences d'une telle manifestation, sans nul doute préparée d'avance, ainsi que cela se faisait sous Napoléon, dans les circonstances importantes. On voit que dans cette grave comédie Ségur n'avait pas eu le rôle le moins éclatant. La récompense ne se fit pas attendre; dès les premiers jours de l'année suivante, il fut nommé conseiller d'État, et il fit en cette qualité beaucoup de rapports sur des matières d'administration auxquelles on le croyait tout à fait étranger, telles que les douanes, les forêts, les séminaires, etc. Nous ne dirons rien du mérite de ces rapports, qui ne trouvèrent jamais de contra

dicteurs et furent invariablement adoptés par les ci-devant confrères du rapporteur, restés impassibles et muets. Ce qui prouve que le maître en fut également satisfait, c'est que Ségur fut successivement nommé grand-officier du palais de l'empereur, grand-maître des cérémonies, et enfin sénateur avec dotation, majorat et le titre de comte, qui lui fut rendu (1813); ce qui fit dire aux plaisants, comme sur la fin de sa vie il avait la taille un peu contrefaite, que c'était un comte refait (contrefait). Ainsi le comte de Ségur était parvenu, sous le règne impérial, à réunir d'assez grands avantages; mais il n'y avait dans tout cela aucune preuve de véritable confiance. Napoléon, nous l'avons dit, ne se fiait point aux grands seigneurs qui, après avoir été comblés des faveurs de l'ancienne cour, lui avaient manqué de devouement. Il avait trouvé bon de se servir de son zèle et de placer sur la liste de ses courtisans un nom aussi illustre; mais il ne lui avait jamais donné véritablement ni influence ni pouvoir. La diplomatie était au reste la seule carrière qui pût être convenablement ouverte au comte de Ségur, et il y avait dans cette partie des secrets où l'on ne voulait pas l'admettre. D'ailleurs Talleyrand était là pour lui barrer le chemin, et l'on doit bien penser que ce rusé diplomate ne dut pas le recommander. Ce ne fut qu'au dernier moment de la décadence, et quand Napoléon eut besoin de tout le monde, que, voulant s'assurer de l'obéissance de toutes les parties d'un empire qui lui échappait, il y envoya des commissaires extraordinaires avec de grands pouvoirs, de longues instructions, mais peu de moyens de les exécuter.

Le comte de Ségur fut un de ces commissaires, et ce fut la 18e division, celle de Dijon, qui lui échat. Au moyen de quelques proclamations bien sonores, de quelques mesures insignifiantes, il ne s'en tira pas plus mal que les autres, et revint paisiblement dans la capitale quand les armées de la coalition envahirent la Bourgogne, dès les premiers jours de 1814. Ainsi il était à Paris lors que les alliés entrèrent dans cette ville, et, comme ses confrères, il vota dans le sénat pour la déchéance de Napoléon et pour le rétablissement de Louis XVIII. Se flattant alors de conserver son titre de grand-maître des cérémonies, et prenant au sérieux le mot si niais et pourtant si vanté, qu'en France il n'y avait qu'un Français de plus, que rien ne devait être changé, il continua de présider à la direction du mobilier et de la domesticité des maisons royales; et quand Louis XVIII fut près d'entrer dans la capitale, il fit préparer avec beaucoup de soin le château des Tuileries; puis il se rendit au devant du roi, à Compiègne, où, après avoir rappelé à ce prince les témoignages de bienveillance qu'il en avait autrefois reçus, il lui dit qu'en sa qualité de grand-maître des cérémonies, il avait fait tout préparer pour recevoir dignement Sa Majesté. « Vous étiez, lui dit Louis XVIII, le grand-maître des cérémonies de l'empereur; mais il me semble que nous avions aussi un grand maître des cérémonies qui s'appelait M. de Dreux-Brézé, et je n'ai pas appris qu'il fût mort ou qu'il eût renoncé à ses fonctions. La réponse était claire; M. de Ségur se le tint pour dit, et dès ce moment il ne se montra plus que dans l'opposition avec le parti li

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béral ou bonapartiste, ce qui alors, était à peu près identique. Cependant, comme il était sénateur, et qu'il y avait une convention ou une espèce de capitulation qui assurait la position de ces messieurs, il fut porté sur la liste des pairs et continua de jouir d'un assez bon traitement, siégeant dans la chambre haute avec l'opposition, qui n'y était que dans une faible minorité. Cet état de choses dura jusqu'à l'invasion de Bonaparte, en 1815. On pense bien qu'alors Ségur ne fut pas des derniers à lui présenter ses hommages. Parfaitement accueilli, il fut à l'instant même rétabli dans toutes ses charges et fonctions, puis inscrit au premier rang des nouveaux pairs. Dans toutes les discussions de cette chambre, auxquelles il assista régulièrement, il se montra l'un des plus zélés pour la cause impériale; et lorsque, après la bataille deWaterloo, la seconde abdication fut annoncée, il demanda avec beaucoup de chaleur que le fils de Napoléon fût reconnu, et qu'une régence fût nommée en son nom; mais on sait que rien de tout cela ne put s'exécuter, et que Bonaparte fut bientôt contraint de s'éloigner. Dans son désespoir le grand-maître des céré monies offrit de le suivre partout où il devrait aller; et ce généreux dévouement, qui ne fut point accepté, fit sur l'esprit de Napoléon une trèsvive impression. Long-temps après, sur le rocher de Sainte-Hélène, il parlait encore à ses amis du dévouement de ce bon M. de Ségur qui, malgré son grand âge, avait voulu le suivre, lorsque d'autres plus jeunes et pour lesquels il avait fait beaucoup plus, hésitaient et même refusaient positivement. Nous pensons bien, au reste, que dans ce dé

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