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SGRICCI (THOMAS), le plus extraordinaire des poètes improvisateurs, né le 21 décembre 1788, à Castiglion-Firentino, dans la vallée de Chiana, était fils d'un chirurgien d'Arezzo. Il reçut une éducation soignée et manifesta de bonne heure un goût très-prononcé pour la poésie. Les classiques latins surtout faisaient ses délices. D'abord admirateur passionné de Virgile, il le délaissa ensuite pour Stace et Lucain, auxquels il trouvait plus d'imagination, bien qu'il ne se dissimulât point leur infériorité sous le rapport de l'élégance et de la pureté du style. Comme un grand nombre d'autres poètes, Sgricci était entré dans la carrière qui semble le moins se prêter aux élans de l'imagination; il avait étudié le droit et travaillait dans l'étude d'un avocat de Florence, lorsqu'il lui prit la fantaisie, par une nuit de carnaval, de se déguiser en pythonisse et de répondre en vers à toutes les questions qu'on

lui adresserait. Il montra dans son

rôle tant de présence d'esprit et d'à-propos, tant de facilité, qu'il mit en émoi toute l'assistance et devint le héros de la soirée. De ce moment sa réputation fut faite et sa vocation arrêtée. Il ferma les co

des à tout jamais pour se livrer à l'improvisation. Mais une gloire ordinaire ne lui suffisait pas. Au lieu de déclamer comme la plupart de ses devanciers des stances, des odes, des cantates, des poèmes de courte haleine, il ne craignit pas d'aborder celui de tous les genres qui est peut-être le plus difficile, parce qu'il exige les qualités les plus rares et les plus différentes. Dans la tragédie, en effet, il ne suffit pas d'exprimer en beaux vers de belles pensées, de faire des descriptions pittoresques, de bien racer des caractères, d'enchaîner les évènements de la manière la plus intéressante, il faut encore que tout cela se combine avec les exigences du dialogue et se distribue avec une mesure qu'avant Sgricci l'on ne croyait pouvoir être que le résultat du travail et de la réflexion. Aussi trouva-t-il d'abord un grand nombre d'incrédules, et il ne fallut rien moins qu'une vingtaine d'épreuves répétées avec toutes les garanties de sincérité possibles pour imposer silence aux contradicteurs. La tournée poétique de Sgricci, commencée en Toscane, fut continuée dans la Romagne et la Lombardie, où il n'obtint pas d'abord le même succès. On fit même contre lui cette épigramme: Sgricci, ubi fama tua est? quidam dicebat,

- et ille:

Haud mecum est, passus prævenit usque

[meos.

Ces injustes préventions finirent cependant par s'évanouir devant l'éclat toujours croissant de la réputation de Sgricci, et bientôt il n'y eut plus d'un bout à l'autre de l'Italie qu'une seule voix qui le saluait le preinier poète improvisateur de tous les temps et de tous les pays. A Rome, le sujet de Lucrèce lui fut donné deux

fois, et deux fois il improvisa sur ce sujet difficile une tragédie qui ne ressemble nullement à l'autre. L'Académie des Arcades, après l'avoir entendu traiter le Vau de Jephte, lui donna le titre de Therpandre italique, parce que si ce Grec avait ajouté trois cordes à la lyre, Sgricci avait réuni l'invention tragique au talent d'improviser. A Vérone, une médaille fut frappée en son honneur. A Padoue, le parterre invita un vieux chanoine à donner un sujet à l'improvisateur; ce sujet était Bianca di Rossi, et fut traité avec le même bonheur. A Pavie, il traita un fait historique appartenant aux fastes de cette ville savante. A Turin, il improvisa une tragédie d'Hector ; à Milan, Médée et Montezuma; à Bologne, Samson; à Venise, le Comte d'Essex; à Modène, la Mort d'Astyanax et celle dAnnibal; à Parme, Françoise de Rimini; A Gênes, la reine de Sardaigne lui donna le sujet d'Agamemnon; à Floreuce, l'empereur d'Autriche celui de la Mort de Sapho. Un jour on indiqua à Sgricci un sujet délicat et difficile. Déjà il se livrait à l'écart à la méditation nécessaire, lorsque quelques motifs de convenance déterminèrent la réunion à retirer ce sujet et à en proposer un autre. Sgricci avait arrêté le plan dans sa tête. Il fallait à l'instant rappeler d'autres souvenirs, se livrer à d'autres méditations, invoquer une inspiration nouvelle. Ce ne fut pas en vain; son talent extraordinaire ne lui fut pas infidèle, et le nouveau sujet fut traité avec tout le succès que l'autre aurait pu obtenir. La première séance de Sgricci à Paris eut lieu dans la grande salle de l'École royale de chant et de déclamation, le 14 mars 1824. MM. Raynouard, Lemercier, C. Delavigne, Lebrun, Briffaut,

Ancelot, le baron Guiraud et Talma y assistaient. Ce dernier fit connaître l'opération à laquelle on allait procéder, et comme elle était, par les noms mêmes des personnes qui avaient bien voulu y prendre part, la preuve de la bonne foi qui y présidait, elle parut obtenir l'assentiment unanime. Talma recueillit tous les bulletins et soumit successivement à la commission les titres qui y étaient inscrits. Quelques sujets furent rejetés comme n'offrant point la donnée d'une action tragique; les autres furent déposés dans un vase, tous pliés d'une manière égale, et Talma, après les avoir plusieurs fois remués, présenta le vase à une dame. Le bulletin amené par le sort portait ce titre : La Mort de Stilicon, général des armées d'Honorius. Ce sujet, traité par Corneille, parut appartenir à une époque trop peu connue, et une voix unanime s'éleva pour en demander un autre. Le bulletin suivant portait Bianca Capello, et fut accueilli avec joie soit par le public, soit par l'improvisateur, qui s'estima heureux d'être ainsi reporté au milieu des annales bien connues de sa patrie. Après avoir exposé le sujet, Sgricci indiqua, selon son habitude, le nom et le caractère des personnages, le lieu et jusqu'à la décoration que le spectateur avait à se figurer, et aussitôt, sans autre préparation et sans la moindre hésitation, il fournit l'étonnante carrière de l'invention, de la disposition et de l'improvisation d'une tragédie en cinq actes, séparés par un chœur, à la manière des anciens. Il y avait 1,200 personnes à cette séance. Le 25 avril suivant, Sgricci en donna une seconde. Le sujet, tiré au sort, était la Mort de Charles Ier. La manière dont l'improvisateur le traita frappa l'au

ditoire d'admiration. On était étonné que Sgricci pût conserver avec tant de fidélité la couleur historique et locale. Certains passages émurent jusqu'aux larmes, celui surtout où Henriette d'Angleterre raconte l'apparition de Marie Stuart dans un songe. Nous l'insérons ici en entier, avec la traduction française pour ceux à qui il n'est pas donné de pouvoir apprécier l'original :

Lung'ora egli è, che mi son fatte inferno
Le notti:-i lumi non chiudo una volta;
Che spaventosi fantasmi di morte

Non mi assalgan la mente.-Oh! ma più fieri
Or dianzi m'agitaro.— Jo qui tornata
Stanca, anelante dal lungo cammino,
Vinta da tenerezza e da pietade,
Che dello sposo mi destò la vista
A forza quasi chiusi le palpebre;
E chiuse dubbiamente erano appena
Che le cortine si agitar del letto. -
Si agitaro, e si apersero, - e mi parve,
Mi parve o fù, che mi venisse innanzi
Una donna real di maestoso
Mestissimo sembiante; avea la fronte
Avea gli occhi, e i capei sciolti sul collo
Tutti splendenti di un 'arcaua luce.—
Vedesti mai la luna, quando in cielo
È circonfusa di bianca corona?
Tal mi sembrava ;—ella guatommi, e rise
Un cotal riso di dolor; scintilla
In questa guisa tra i nembi e la pioggia
Di sol pallido raggio;— e poichè presso
Fù del letto alla sponda, si fermò.
La man mi prese, la si strinse al petto
Gelido, immoto ;... a quel suo tocco il cuore
Sentii balzar con palpiti di morte.

Ella così parlommi: « O donna, forse

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Nell'alba dei tuoi dì tu mi vedesti

« Nella tua corte, o almen fissasti il ciglio «Non senza pianto sulla mesta imago « Di me, che appesa nelle regie sale « Si stà dei tuoi palagi.—Un di regina Di Scozia io m'era, e bella infra le belle «Chiamommi il mondo,e ne stupì;-pensiero, « Sospir divenni d'ogni cor reale, « D'ogni alto spirto.—Di tre regni il serto * In sulla fronte balenar mi vidi,

E men compiacqui, e'l mio folle ardimento « Giovenilmente traviommi;— volsi

« A Dio le spalle, e pel cammin del mondo « Incauta vaneggiai.—Lunga stagione - Così m'avvolsi d'abisso in abisso: « Perdei del cor la pace, di me stessa Perdei la stima, tutto insomma, tutto Fuorchè quella virtù, che si riserra

<< Nel core interno, e tempo e loco aspetta

LXXXII.

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α

Il y a bien long-temps que les nuits sont devenues un enfer pour moi.-Mes paupiè res ne se ferment jamais sans que je sois assaillie par d'épouvantables fantômes. Mais, hélas! jamais ils n'ont été plus terribles que dans ces derniers moments. A peine étais-je rentrée dans ce palais, haletante des fatigues d'un long voyage, épuisée par la tendre émotion que m'avait causée la vue du roi mon époux, que mes paupières s'appesantirent malgré moi; elles n'étaient pas encore bien fermées quand les rideaux de mon lit s'agitèrent et s'ouvrirent tout à coup; il me sembla (était-ce une illusion ou la vérité), que je voyais auprès de moi une reine dont les traits étaient à la fois majestueux et tristes; son front, ses yeux, ses cheveux flottants sur ses épaules, étaient éblouissants d'une lumière mystérieuse. Sans doute tu as vu quelquefois une couronne éclatante environner le disque de la lune. Telle elle parut à mes yeux. Son regard se fixa sur moi, elle me sourit, mais d'un sourire plein de tristesse. C'est ainsi qu'au milieu d'un nuage descend à travers la pluie un pâle rayon de soleil. Lorsqu'elle fut près de mon lit, elle s'arrêta, me prit la main, la serra contre son sein glacé et immobile. A ce toucher un frisson mortel me parcourut les veines. Elle me parla ainsi : « Henriette, tu m'as vue peutêtre dans les premiers jours de ta vie à la cour de tes aïeux, ou du moins tu as contemplé, non sans verser des larmes, mon portrait suspendu aux murs de tes royales demeures. Je fus jadis reine d'Écosse ; l'univers admira mes charmes et m'appela belle parmi les belles : je fis soupirer et rêver tous les princes et tous les nobles cœurs; l'éclat de trois diadèmes brilla sur mon front. Je me complus dans ces avantages, mes folles pensées me jetèrent dans tous les désordres de la

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13

• jeunesse; en m'éloignant de Dieu, je m'é- garai dans les chemins du monde, et je roulai long-temps d'abîme en abime. Je perdis la paix de mon cœur; l'estime de • moi-même, tout enfin, tout, hors cette « vertu intérieure qui, dans le tumulte des "passions, se retire au fond de notre âme et << attend le moment de reprendre son empire sur les sens égarés. Le malheur en « fut l'interprète et l'avant-coureur. Cette

"

« terre maudite me retint pendant vingt « années. Un profond cachot y fut mon pa«lais... » Elle se tut, puis de ses deux mains elle prit sa belle tête, la détacha de son beau con et la posa toute sanglante entre mes mains... Glacée de terreur, je tendis mes bras tremblants pour embrasser ce tronc.-Le fantôme disparut et les rideaux

se fermèrent. Frappée de cette horrible vision, je me lève, et mes yeux s'arrêtent interdits sur le portrait de mon époux; le soleil en éclairait une partie, mais la tête était cachée dans l'ombre et paraissait séparée du corps. Ces objets sont toujours présents à ma pensée. Je crois encore tenir sur mes genoux cette tête coupée qui souille de sang mes maius et mes vêtements. Oh! quel poids

pèse sur mon âme épouvantée! »

Sgricci quitta Paris dans l'été de 1824, après avoir reçu les plus éclatants témoignages d'admiration et avoir vu graver une médaille en son honneur. Il se rendit à Genève, où il improvisa, chez M. Pictet, un acte de la tragédie d'Élisabeth d'Angleterre. Le moment donné était celui où cette reine va signer l'arrêt de mort de l'infortunée reine d'Écosse. Sgricci rentra ensuite en Italie pour n'en plus sortir. Le grand-duc de Toscane, ayant désiré l'entendre (1825), lui donna pour sujet la Mort de Marie Stuart, et fut si satisfait de l'improvisateur qu'il lui envoya le lendemain 2,000 fr., puis quelques jours après le brevet d'une pension de 2,400 fr. et des lettres de noblesse. Sgricci se trouva ainsi dans une honnête aisance, et l'on regrette pour sa dignité qu'il ne se soit pas abstenu depuis lors de donner des séances pour de l'argent. Malheureusement la moralité n'est pas tou

jours en égale proportion avec le talent. Sgricci payait un large tribut aux faiblesses humaines, et il en résultait de fréquents dérangements dans ses affaires. Pendant les onze dernières années de sa vie, il ne s'éloigna de Florence que pour faire un court voyage à Rome, où il donna ces séances payées qui font peu d'honneur à son caractère et lui valurent maintes épigrammes. Revenu dans ses foyers, il eut le malheur de perdre sa mère, et en fut affecté au point de tomber malade. Son imagination décuplait sa faculté de sentir, et il ne put résister aux émotions qu'il avait éprouvées au chevet du lit de sa mère mourante. Son râle, disait-il à un ami, me semblait être le bruit du char de la mort qui venait prendre deux victimes. Il mourut en effet peu de temps après, le 23 juillet 1836. Sgricci était d'une taille moyenne et bien prise. Il avait un très beau caractère de tête; une teinte douce et mélancolique y régnait. Il y avait dans cette tête ce que les artistes appellent du style et tous les moyens propres à une grande expression dramatique. Sa voix était sonore et pure; sa prononciation admirable. Ces qualités contribuaient puissamment au succès du genre qu'il avait choisi et où il n'excellait pas moins comme acteur que comme poète. Bien qu'il boitât, il dissimulait habilement cette infirmité et savait apporter dans ses mouvements beaucoup de dignité et de noblesse. Obligé de remplir dans une soirée les cinq ou six rôles de ses tragédies, il prenait le ton et l'allure le plus convenables à chacun d'eux sans devenir jamais ridicule. Son premier soin en entrant en scène était d'indiquer le sujet, les noms des personnages, les décorations

supposées, l'ordonnance de la pièce; puis il commençait sans hésitation et continuait de même, exactement comme ferait un acteur qui aurait étudié son rôle d'avance. Cette prodigieuse facilité dut naturellement trouver bien des incrédules. On supposa d'abord que Sgricci avait des compères, puis qu'il intercalait au moins certains morceaux préparés de longue main en se ménageant habilement l'occasion de les introduire ; mais ces deux suppositions finirent par être tout-à-fait écartées, et l'on dut croire entièrement à la bonne foi de Sgricci, quand il déclara ne pas savoir, au moment de commencer, un des vers qu'il allait débiter, et ne pas se souvenir d'un seul après l'improvisation. Aussi la plupart de ses pièces se sont-elles évanouies comme un chant harmonieux; mais le petit nombre qui reste suffira pour éterniser la mémoire de leur auteur. Un grand seigneur napolitain, le duc de Miranda, chez qui Sgricci avait improvisé plusieurs fois, conservait quelques tragédies sténographiées, mais elles périrent dans un incendie. Voici tout ce qui nous reste de ce poète I. Une scène d'Agamemnon, dans une feuille napolitaine. II. Hector, en cinq actes, Turin, 1823, in-8°, avec le portrait de l'auteur; 2 édition, Florence, 1825, in-8°. III. La Mort de Charles I, en cinq actes, Paris, 1824, in-8°. Cette pièce est précédée d'une préface de l'éditeur et de deux lettres. La première fut adressée par M. Lacretelle à Sgricci, en témoignage de son admiration. La seconde est de Georges Cuvier, qui avait aussi assisté à l'improvisation de cette tragédie et en lut les épreuves pour constater que rien n'avait été changé. Une traduction française, assez mé

diocre, termine le volume. Seconde édition, Florence, même année, in-8°, avec une dédicace en vers au marquis de la Maisonfort, envoyé extraordinaire du roi de France auprès du grand-duc de Toscane. IV. La Chute de Missolonghi, en cinq actes. V. Le commencement d'Electre, dans l'Étrenne de Vallardi, qui a pour titre Ne m'oubliez pas, Milan, 1834, in-12. Les poésies non improvisées de Sgricci sont: I. Canzone à l'occasion de l'entrée solennelle du prince Thomas Corsini au Capitole, Rome, 1818, in-8°. II. Canzone pour les noces de Ferdinand III de Toscane avec Marie-Ferdinande de Saxe, Florence, 1821, in-8°. III. La Nuit veillée, idylle à l'occasion du mariage du marquis Tolomei avec une fille du prince Corsini, Florence, 1823, in-folio. C'est sans contredit la meilleure des pièces de Sgricci. Elle respire une beauté toute antique à laquelle donne encore plus de relief une légère teinte de cette mélancolie propre à la poésie moderne. IV. Ode sur la publication des poésies de Laurent-le Magnifique, Lucques, 1825, in-4°. V. Canzone adressée au peintre Gérard. VI. Terceto en l'honneur du grand-duc Léopold II, qui venait de donner son nom au collége d'Arezzo, Florence, 1827, in-8°. VII. Canzone à l'occasion du retour à Florence du même prince, ibid., 1830, in-8°. VIII. Chant sur la mort de la grande-duchesse Marie-Caroline de Saxe, ibid., 1832, in-8°. IX. Stances pour les noces du grand-duc Léopold II avec Marie-Antoinette des Deux-Siciles, ibid., 1833, in-8°. X. Canzone sur la mort de Marie-Maximilienne, princesse de Toscane, ibid., 1833, in-8°. XI. Canzone sur la naissance d'une fille du grand-duc, ibid., 1834, in 8°. XII. Canzone sur

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