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l'anathème de l'opinion publique; que s'il est gentilhomme, la noblesse le rejette de son sein, et notre vœu le plus ardent est, qu'ayant cessé d'être citoyen, il soit privé du droit d'assister aux assemblées nationales, dans quelque ordre qu'il se trouve classé. » Cette infamie ne suffit point à la noblesse; elle demande «< que tout ministre, agent, porteur ou solliciteur d'ordres arbitraires, qui aurait sollicité, signé, surpris ou mis à exécution une lettre de cachet, soit pris à partie par devant les juges ordinaires, non seulement pour y être condamné à des dommages-intérêts, mais encore pour y être puni corporellement (1). » Telle est la puissance des idées nouvelles, que le clergé même, peu soucieux de liberté, s'associe au vou de la noblesse et du tiers, et il le fait en excellents termes : « Le bien le plus précieux du citoyen étant sa liberté, l'ordre du clergé pense que tout acte qui peut l'en priver, sans que cette peine ait été prononcée par son juge naturel, est absolument contraire au droit naturel et au droit positif; que les lettres de cachet en vertu desquelles, sans jugement préalable, sans instruction, sans information, sans aucune forme ni procès, on enlève un citoyen à sa famille, à sa maison, à ses affaires, pour le constituer prisonnier, sans souvent que l'on sache ce qu'il est devenu, sont des actes contraires à toute idée de justice; que ces sortes d'actes, souscrits du nom respectable du roi, ne sont souvent que des surprises faites à sa religion, par des ministres trompés eux-mêmes par des délations clandestines de gens puissants, lesquels n'ont en vue que d'assouvir des haines et des vengeances contre des malheureux, qui n'ont souvent commis d'autre crime que de n'avoir pas voulu plier servilement sous leur joug. En conséquence, l'avis unanime du clergé est que l'usage desdites lettres de cachet soit entièrement proscrit et aboli. »

Si les trois ordres sont d'accord pour revendiquer la liberté, il n'en est plus de même quand il s'agit des conséquences du principe. Le clergé ne veut pas entendre parler de la liberté de penser; il sent qu'elle mettra fin à sa domination. C'est précisément pour affranchir la société de ce joug avilissant que le tiers état dit dans ses cahiers : « Tous les citoyens ont le droit de parler, d'écrire

(1) Résumé des cahiers, t. II, pag. 56, 57.

et d'imprimer, sans être soumis à aucune peine, si ce n'est en cas de violation des droits d'autrui, déclarée telle par la loi. Le droit d'exprimer sa pensée est naturel et inviolable, la liberté de la presse doit être entière (1). » La noblesse s'associa à ces voeux, toutefois avec une restriction concernant la religion. Imbue des doctrines philosophiques du dix-huitième siècle, elle était plus incrédule que le tiers, mais elle avait des intérêts de corps à ménager; l'Église était son domaine, puisque le haut clergé se recrutait dans ses rangs telle est la raison de l'alliance impie qui ligua les deux ordres privilégiés contre la Révolution, quand celle-ci changea la constitution de l'Église. La noblesse déclare que la liberté de la pensée est aussi précieuse à l'homme que la liberté individuelle; elle demande que tout citoyen puisse communiquer librement par la voie de la presse tout ce qu'il croira nécessaire de publier, mais elle maintient les censures ecclésiastiques nécessaires pour les livres traitant du dogme de la religion (2). »

L'égalité touchait particulièrement le tiers état et le bas clergé. Quant à la noblesse, elle cesse d'exister, du moment où elle cesse d'être privilégiée. Renoncer à ses priviléges, c'eût été se suicider, et où est la classe dominante qui abdique volontairement sa puissance? Ici le désaccord entre les ordres était fatal. Le tiers état et le clergé se donnent la main. Plus de mainmorte! plus de féodalité! Les cahiers du tiers respirent une singulière énergie, quand ils parlent du servage : « Qu'on éteigne pour toujours la mainmorte servile, attendu que cet abus, par suite duquel les serfs n'ont ni la faculté de tester, ni celle de changer de domicile, ni celle de choisir un état à leur gré, expose d'ailleurs les gens de cette malheureuse condition à être partagés comme un vil bétail, quand leur père est mainmortable d'une seigneurie et leur mère mainmortable d'une autre. » Chose remarquable! le servage n'existait plus en 89 que dans les terres des abbayes. C'était comme une protestation contre la prétention que l'Église affecte aujourd'hui d'avoir donné la liberté au monde, en affranchissant les esclaves et les serfs. Le tiers rappelle aux moines que, de leur propre aveu, la mainmorte a été introduite contre le droit naturel : « ils

(1) Résumé des cahiers, t. II, pag. 65.

(2) Ibid., t. II, pag. 65.

en attribuent, dit le tiers, l'origine au droit des gens, comme s'ils nous avaient pris à la guerre, où que nous leur eussions été vendus par des pirates (1). »

Ce sont surtout les abus de la féodalité qui soulevèrent les campagnes contre l'ancien régime; et il y avait de quoi : « Tout ce qui tient à l'esclavage, dit le tiers, dégrade l'homme. Que la féodalité soit abolie! Le paysan est tyranniquement asservi sur la terre malheureuse où il languit desséché. » Suit une énumération des charges qui avaient leur origine dans le système féodal. Les noms, aussi barbares que la chose qu'ils désignent, nous sont devenus étrangers à ce point que nous n'en comprenons plus le sens. Qui est-ce qui sait aujourd'hui ce que c'est que des rentes revenchables, chéantes et levantes, des fumages et des impunissements (2)! En oubliant les abus de l'ancien régime, nous avons oublié également que c'est la Révolution qui nous en a délivrés. Il est bon de le rappeller à une époque ou l'on aime à ravaler le grand mouvement de 89.

L'ancien régime était le régime du privilége. Faut-il s'étonner si les cahiers du tiers revendiquent l'égalité? Aujourd'hui que nous ne connaissons plus la distinction d'ordres, nous avons de la peine à croire qu'en 89, le tiers état était exclu des hautes dignités de l'Église, de l'armée de terre et de mer, et même des cours souveraines, envahies par la noblesse parlementaire : « Nos députés, disent les cahiers, représenteront que les vertus, la bravoure et les talents étant naturels au tiers état, comme aux individus des deux premiers ordres, cette exclusion ne peut subsister dans un siècle éclairé (3). » La puissance de la noblesse reposait sur la grande propriété, autant que sur les souvenirs historiques. Pour la briser, le tiers demande le partage égal des successions, l'abolition du droit d'aînesse, «< attendu, dit-il, que la grande inégalité des fortunes est vexatoire pour les individus et préjudiciable au bien général. » Dans ces paroles, il perce déjà un sentiment autre que celui de l'égalité des droits : l'aspiration à une égalité de fait. En 89, on ne se doutait pas à quels abîmes conduit cette passion.

Le clergé aimait aussi l'égalité; il la pratiqua dans de certaines

(1) Résumé des cahiers, t. III, pag. 338, 339.

(2) Ibid., t. II. pag. 314, 315.

(3) Ibid., t. III, pag. 476.

limites au milieu du régime féodal. En France, l'égalité chrétienne était profondément viciée par l'aristocratie qui dominait dans les hauts rangs de l'Église. Si les cahiers du clergé revendiquent l'égalité, c'est à l'influence de ce qu'on avait l'insolence d'appeler le bas clergé que l'on en doit faire honneur: « Que tous les citoyens soient égaux, relativement aux places et emplois ecclésiastiques, civils et militaires, en ce sens que tous y peuvent prétendre, à raison de leurs talents, de leur mérite et de leurs services, et que nul ne puisse être exclu pour raison de naissance ou de condition non. noble. » Il y avait eu une recrudescence d'inégalité à la veille de la Révolution, comme pour justifier ses excès. Le clergé s'élève avec vivacité contre cet esprit qui alors déjà était celui d'un autre âge. « L'exclusion du service militaire avilit un des ordres les plus intéressants de la nation; néanmoins à l'époque où tous les grades étaient accessibles à tous les états, des hommes nés dans la classe trop dédaignée des citoyens, ont donné des preuves de bravoure et d'intelligence. C'est une surprise faite à Sa Majesté, que le règlement qui exclut le tiers état de tous les grades militaires. Ce règlement avilit, dégrade et pourrait décourager à jamais cette partie la plus nombreuse de la nation, dans le sein de laquelle on a trouvé des hommes qui, par leurs vertus, leurs connaissances et leurs talents militaires, ont été le soutien de la patrie et la gloire de la nation française (1). >>

Le privilége dont les nobles jouissaient de fait, pour les hautes fonctions de l'Église, était encore plus odieux. En France, la noblesse n'avait d'autre mission que la guerre; son dévoûment et sa bravoure étaient également incontestables. Mais avait-elle aussi les dons du Saint-Esprit par préférence au tiers? Nous lisons dans les cahiers du clergé : « Les talents nécessaires aux grandes places ne se donnent pas avec elles; étant de toute nécessité d'avoir fait une espèce de noviciat dans les places inférieures, Sa Majesté sera suppliée de n'élever à l'épiscopat que ceux qui auront exercé avec édification les fonctions du saint ministère, soit en qualité de curés, soit en qualité de vicaires, soit par toute autre fonction ecclésiastique, qui serait un témoignage de leurs mœurs, de leur zèle et de leur capacité (2). »

(1) Résumé des cahiers, t. I, pag. 148, 311, 312.

(2) Ibid., t. I, pag. 27.

Le clergé était aussi un ordre privilégié. Ses libertés jouent un grand rôle dans l'histoire. Pendant tout le dix-huitième siècle, il avait soutenu que son immunité de l'impôt était de droit divin, et que les rois ne pourraient toucher aux biens de l'Église sans sacrilége. S'il contribuait aux charges publiques, c'était par des dons volontaires. Dans ses cahiers, le clergé renonce tacitement à ces superbes prétentions; il admet l'égalité des charges, mais il a soin de les appeler encore des dons, et il se réserve, dans un langage couvert, la faculté de les consentir (1). Le silence du clergé sur son prétendu droit divin est un fait considérable: c'est une preuve frappante de la puissante influence que les idées de 89 exerçaient jusque sur un corps dont les priviléges semblaient immuables. Jusqu'à la veille de la révolution, le droit divin de l'Église avait retenti dans toutes les assemblées du haut clergé ; et voilà qu'au souffle de 89, il se convertit subitement; il ne parle plus que des libertés et des franchises communes. Espérons qu'il y aura encore plus d'une de ces conversions miraculeuses. Si l'Église de Rome se raidit contre l'esprit nouveau, si elle s'obstine à rester immobile, elle prononcera par cela seul son arrêt de mort. Il est impossible que l'Église universelle consente à devenir une ruine à la suite de la papauté. Il y aura des divisions, des schismes ce n'est qu'à condition de briser avec l'immobilité romaine que le catholicisme pourra se sauver.

Il y a une égalité dont l'Église ne voulait pas encore en 89, et qu'elle subit cependant partout au dix-neuvième siècle. Elle était le premier ordre de l'État, et elle ne voulait pas renoncer à cette position privilégiée. On lit dans les cahiers : « Le clergé regarde comme une des plus importantes lois fondamentales de la monarchie la distinction et la dépendance respective des trois ordres, dont aucun ne peut être lié par les délibérations des deux autres, le consentement des trois ordres étant essentiellement requis pour donner à un acte le caractère de loi nationale. » Il défend expressément à ses députés «< de consentir qu'il soit porté aucune atteinte à l'antique constitution, qui est de délibérer par ordre; il leur défend aussi de consentir à ce qu'on introduise le mode de

(1) Résumé des cahiers, t. I, pag. 191 : « L'égalité entre les dons des différents ordres est de toute justice, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas indifférents. I importe également à tous les ordres que ces moyens s'accordent avec les principes des franchises et libertés communes. >

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