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règles. Quoi ! la nature n'a mis aucune barrière entre ma pensée et le terme dont je veux la colorer, et tu prétends gêner, anéantir mon expression! Le sauvage est plus avancé que toi dans l'ordre éternel des choses; il appelle l'écriture, le papier qui parle, et toi, tu ne veux pas que les mots parlent. Le papier qui parle ! Tu seras donc aussi loin de l'idée que de l'expression.

Un mot neuf, énergique, bien placé, imite la lampe de l'émailleur ; c'est une langue de feu qui fond tout, et à qui rien ne résiste. Pascal, Labruyère et Francklin possédaient cette langue si étrangère à nos académiciens. On pouvait dire autrefois, les Romains d'Italie; on doit dire aujourd'hui, les Italiens de Rome: celui qui a créé cette expression, a fait un livre.

C'est la serpe, instrument de dommages, c'est le ciseau académique qui a fait tomber nos antiques richesses; et moi, j'ai dit à tel mot enseveli: lève - toi et marche. Ainsi que l'homme bon est encore meilleur que la loi bonne, et que le méchant est encore plus mauvais que la loi mauvaise; de même T'homme qui veut enrichir sa langue, vaut mieux à lui seul pour ce grand œuvre,

que toute une académie à règle et à compas. Il faudrait plutôt en créer une de permutation et de combinaison de mots nouveaux et de phrases nouvelles; mais le génie en ce genre n'a point de compagnon.

Les mesures existaient dans la nature,avant les règles qui nous en démontrent les proportions; ainsi la langue existe dans la force des mots, avant la syntaxe et la grammaire. Il n'y a peut-être qu'une science, celle de la perturbation des mots qui les renferme toutes, l'esprit ne dépendant en partie que d'un récensement perpétuel d'expressions; mais comme il serait impossible d'avoir un dictionnaire où tous les mots y fussent, et tous les adjectifs, actifs, passifs et participes s'y trouvassent, l'interprétation des mots d'une manière absolument neuve, suppléera à notre indigence. Il y a plusieurs langues dans une seule , pour qui sait bien, en tournant tous les mots, les faire passer dans des acceptions diverses, multipliées ou sans cesse modifiées. C'est ainsi qu'une discipline trèsactive, imprimée à un régiment, double et triple le nombre des soldats.

Je conçois donc une langue universelle, celle qui emprunterait des mots à toutes les langues

connues, et qui les assujétirait ensuite à sa syntaxe. Tous ces mots se feraient adopter dans le besoin; on parlerait un peu obscurément d'abord, j'en conviens, mais peu à peu on naturaliserait tous ces termes étrangers; et dans le besoin, il vaut mieux parler imparfaitement, que de ne point parler, ou que de parler trop tard.

Ceux qui ont un peu vécu dans le monde, n'ont-ils pas été frappés de la différence d'une jeune fille élevée sous les yeux d'une mère raisonnable, à un jeune homme qui fait ou qui a presque fait ce qu'on appele ses études? La première a communément un maintien aisé, se sert de mots qui peignent avec précision, et non de phrases vagues, narre avec clarté; le jeune homme abonde en circonlocutions, se sert de phrases, de périphrases, et non des mots dont je parle. C'est que les femmes ont un véritable penchant à la Néologie; et voilà pourquoi elles s'expliquent sans embarras, oublient quelquefois les liaisons des mots, et en mettent beaucoup dans les faits, connaissent tout ce qui est d'usage, et ajoutent à l'usage avec des graces naturelles.

La langue (dit-on) était pure sous la plume

de Boileau et de Racine; d'accord, mais toute la langue est-elle sous leur plume? Pourquoi le génie de la nation se refuseraitil à des expressions énergiques et concises que ces écrivains auraient eux-mêmes employées? Qu'il s'enhardisse à la reprise d'une foule de mots chers à nos ancêtres; qu'il fasse la conquête de synonymes très-nuancés dans leur différence; qu'il jouisse sur-tout de l'avantage inappréciable de mots composés qui resserrent les idées divagantes; alors il pourra jouter avec les langues poétiques de ses voisins (1).

(1) On ne perd les états que par timidité; il en est de même des langues. Je veux étouffer la race des étouffeurs; je me sens pour cela les bras d'Hercule il ne faut plus qu'enlever le pédant en l'air, et le séparer de ce qui fait sa force. Quand Corneille s'est présenté à l'Académie avec son mot invaincu, on l'a mis à la porte; mais moi, qui sais comment on doit traiter la sottise et la pédanterie, je marche avec une phalange de trois mille mots, infanterie, cavalerie, hussards; et s'il y a beaucoup de morts et de blessés dans le combat, eh bien! j'ai une autre armée en réserve je marche une seconde fois, car je brûle de culbuter tous ces corps académiques, qui n'ont servi qu'à rétrécir l'esprit de l'homme.

Si un Vocabulaire français doit avoir quelque teinte

Elle est encore à naître parmi nous, cette langue poétique si desirée; nous n'avons ni augmentatifs, ni diminutifs. Quel a été l'ouvrage de cette compagnie célèbre? un Vocabulaire timide qui s est traîné pendant cent années dans la faiblesse et dans la peur, qui trahit à chaque pas laudace de la pen

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de gaîté, celui-ci n'en manquera point, comme on voit; c'est qu'il n'y a qu'un seul moyen de répondre au pédantisme, se moquer de lui, lui dire à voix haute Je me servirai de tel mot, précisément parce que tu n'en veux pas et quand tu soulignes, tu m'avertis que c'est-là la boune expression.

1)

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Il n'y a rien de tel qu'un peuple sans Académie, pour avoir une langue forte, neuve, hardie et grande. Je suis persuadé de cette vérité comme de ma propre existence... Ce mot n'est pas français, et moi je dis qu'il est français, car tu m'as compris si vous ne voulez pas de mon expression, moi je ne veux pas de la vôtre. Mais le peuple qui a l'imagination vive, et qui crée tous les mots, qui n'écoute point, qui n'entend point ces lamentations enfantines sur la prétendue décadence du goût, lamentations absolument les mêmes de temps immémorial, le peuple bafoue les régenteurs de la langue, et l'enrichit d'expressions pittoresques, tandis que le lamentateur s'abandonne à des plaintes que le vent emporte. J'en appelle donc au peuple, juge souverain du langage; car si l'on écoute les puristes, l'on n'adoptera aucun mot, l'on

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