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>> fleuve, se trouvoit précisément situé vis-à-vis » un espace de terrain faisant partie du canton » habité par mes paroissiens; on ne voyoit de ce. » dernier côté qu'une plage nue et stérile, » éloignée de plus d'un quart de liene de toute » espèce d'habitation; nous ne pouvions nous >> visiter mutuellement sans faire par terre un » détour de deux mortelles lieues; car le passage » direct en face, plein d'écueils, étoit abso>> lument impraticable. D'ailleurs, il eût fallu >> payer des barques, et nos situations respectives >> nous prescrivoient la plus stricte économie. >> Ainsi le fleuve qui nous séparoit étoit devenu » pour nous un vaste océan; mais mon amour » pour mon peuple me fit trouver des moyens >> de communications; la religion qui nous avoit >> guidés dans une terre étrangère, devint le lien » sacré qui nous y réunit. Ce fut au commen>> cement de l'hiver que mes paroissiens s'éta>> blirent dans ce canton, et malgré les rigueurs » de la saison, ils assistèrent régulièrement au » service divin, quoique privés d'église et de

prêtres. Tous les dimanches et toutes les fêtes, je me transportois le matin sur le rivage avec >> mes deux jeunes'élèves, Frédéric et Guillaume, » l'un âgé de douze ans et l'autre de huit; j'avois >> la satisfaction de voir de l'autre côté du fleuve >> tous mes bons paroissiens rassemblés sur la

>> plage vis-à-vis de nous. Je tenois le précieux >> calice de mon ancienne église, et une pierre >> consacrée que je posois sur un rocher au >> bord du Rhin; alors je célébrois la messe » servie par mes élèves; souvent la neige, tom>> bant à gros flocons, nous couvroit entière>>ment; je savois en préserver le calice, mais >> nous y restions tous exposés; et quand je >> me retournois vers la rive des villageois, ils >> me paroissoient, à cette distance, avoir changé » en peu de minutes leurs habillemens bigarrés » de diverses couleurs, contre des vêtemens » d'une blancheur éclatante. Jamais je n'ai, » sans un profond attendrissement, donné ma » bénédiction à ce bon peuple prosterné sur le »sable ou sur la neige pour la recevoir. Tous >> les dimanches nous nous rassemblions encore » à l'heure des vêpres, ma foible voix se per» doit dans les airs; mais les chants religieux » des villageois, répétés par les échos des rochers » de notre rive, parvenoient facilement jusqu'à >> nous. Ces solennités, dont la foi sincère et » la piété fidèle formoient toute la pompe, » ne furent jamais interrompues par les oura» gans ou par les orages si fréquens dans cette >> contrée; mais le printemps et l'été établirent >> entre nous des communications plus faciles » et plus agréables. Frédéric et Guillaume se

» plurent à construire au-dessus du rocher >> qui me servoit d'autel, un berceau de treil>>lage, qu'ils couvrirent de lierre et de pampre, » et qui forma sur cet autel agreste un bal-< >>> daquin champêtre qui fut contemplé de l'autre » rive, avec plus de plaisir et d'admiration que » n'en peuvent causer aux amateurs des beaux>> arts les superbes coupoles des temples les >> plus magnifiques. Un de nos jeunes villageois » nommé Pierre, passoit assez souvent le fleuve‹ » à la nage, pour réclamer mes secours pour » un mourant, ou pour faire un baptême, >> ou afin de me demander mon jour pour » la célébration d'un mariage, car tous vou➡ >> loient recevoir la bénédiction nuptiale à » l'autel du rocher, devenu pour eux l'église » paroissiale. Dans ces courses, Pierre étoit » toujours chargé d'ex voto, aussi touchans que >> simples, qu'il suspendoit au baldaquin de >> pampre; c'étoient des bouquets, des couronnes » de fleurs, des nids d'oiseaux. Nous éprouvions » un grand plaisir quand nous voyions arriver » à la nage ce jeune garçon, d'une jolie figure, » paré de ces douces offrandes, la tête ornée de >> fleurs et de guirlandes. Frédéric et Guillaume >> accouroient le recevoir sur la rive, et s'em>>pressoient de lui donner des vêtemens toujours >> soigneusement réservés pour lui. Nous avions

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>> encore un autre moyen de correspondance; Frédéric, instituteur assidu d'un pigeon, étoit » parvenu à force de soins à le dresser parfaite» teme et à faire une espèce de missionnaire » de cet oiseau, employé jadis à des messages » de guerre ou à servir de profanes amours. » Le pigeon partoit à tire-d'aile, traversoit le fleuve et se rendoit à la maison du jeune Pierre; là, il étoit reçu avec ravissement par toute la famille; les soeurs de Pierre le » réchauffoient dans leur sein, tous les grains » du village lui étoient offerts avec profusion; » toutes les jeunes filles accouroient de toutes » parts pour le caresser; bientôt les paysans » de tout âge survenoient en foule, car il s'agissoit de charger le pigeon d'un petit billet >> de deux lignes, contenant toutes les commis»sions du village. Pierre, qui savoit écrire," » étoit à la fois le secrétaire de l'assemblée weet le rédacteur du billet, qui ne se faisoit » pas sans discussions, parce qu'on vouloit » souvent me dire tant de choses que le feuille» ton d'un journaliste n'auroit pu les contenir." » Enfinty on attachoit la missive au cou du" » messager, qui, dans l'instant, prenoit l'essor, » et s'élevoit dans les airs aux acclamations réi» térées des villageois. L'oiseau, repassant le » Rhin ¿' rapportoit fidèlement ce petit dépôt

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» religieux, voloit dans les bras de l'impatient » Frédéric, toujours inquiet, qui, durant son >> absence, en avoit compté toutes les minutes, » et qui le voyoit revenir avec une joie et des >> transports inexprimables; alors il m'appor» toit en triomphe le billet, qui communément m'obligeoit à me rendre au village le jour » même ou le lendemain. Tous les ans, le jour » de la Pentecôte, le village entier s'embar» quoit sur de petites nacelles, et venoit enten» dre la messe à l'autel du rocher ce jour » étoit réservé pour les premières communions. » C'étoit un plaisir de voir cette petite flotte » débarquer sur notre rive et défiler ensuite >> sur les bords du Rhin; toutes les femmes » tenoient de longs chapelets; les jeunes com>> munians, garçons et filles, vêtus de blanc, » les cheveux épars et couronnés des premières >> fleurs du printemps, chantoient des cantiques » à l'unisson. L'innocente et pieuse colonie se >> rendoit ainsi à l'autel du rocher, où souvent, » ce même jour, on m'apportoit de petits » enfans à baptiser.

>> Nous avions encore une grande solennité le » jour de la Fête-Dieu. Dès la veille, on s'occu» poit à construire les reposoirs, on cueilloit » toutes les fleurs des prés et des jardins du ba>> ron, on couvroit de roses le rocher de l'autel;

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