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CHAPITRE XI.

Du voisinage et de la considération en province.

VOLNIS

OLNIS en étoit là de la lecture de sa Maison rustique, lorsqu'il reçut des lettres d'Amérique, d'un frère chéri, établi à Philadelphie avec sa famille depuis le commencement de la révolution. D'Orsaine, frère jumeau de Volnis, avoit quitté la France dès les premiers orages de la révolution; il s'étoit réfugié en Amérique avec Lucie, sa femme (l'une des plus belles personnes de l'ancienne cour), et un fils unique, âgé alors de cinq ans. D'Orsaine, expatrié depuis onze ans, brûloit du désir de revenir dans son pays, et il chargeoit son frère de faire à ce sujet les démarches nécessaires. Volnis se détermina sur-le-champ à faire le voyage de Paris, afin d'obtenir le rappel de son frère. Il fut décidé qu'il laisseroit la conduite des bâtimens, déjà très-avancés, sous la direction d'Elmire, du bon curé et de Girard, et qu'il partiroit le lendemain. Le soir, veille du départ, la conversation se prolongea jusqu'à minuit; Charles demanda à son père, si, lorsqu'il habiteroit le château, il recevroit souvent ses voisins. « Oui, mon fils, ré

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pondit Volnis, le voisinage amical tient aux bonnes mœurs; nous devons à tous nos voisins bon accueil et bons offices quand nous le pouvons. On n'a point de voisins dans les villes parce qu'il faut être isolé pour que le voisinage devienne un lien de bienveillance et d'amitié, mais dans la solitude, dans les champs, ceux qui se trouvent à de petites distances les uns des autres, semblent placés là par la Providence pour communiquer ensemble et pour s'entr'aider au besoin. Cependant, reprit Elmire, nous avons deux voisins qui ont affiché, durant la révolution, des opinions bien contraires aux vôtres, et qui, même alors, se sont montrés vos ennemis. Ma chère Elmire, répondit Volnis, voilà ce qu'il faut oublier. Des fugitifs rendus à leur patrie, des amnistiés, doivent-ils rapporter dans leurs foyers des sentimens de haine et de vengeance? Puisque nous avons demandé, obtenu grâce, faisons la nous-mêmes à nos anciens ennemis; lorsqu'après tous les maux qu'entraînent l'anarchie et la discorde meurtrière, la paix intérieure est enfin rétablie, ne seroit-il pas affreux de la troubler, autant qu'on le peut, par de vieilles rancunes et d'odieux souvenirs? Ah! pour abjurer aujourd'hui la haine, ne suffit-il pas de songer aux crimes qu'elle a fait commettre? Mais, mon père, dit Charles, des visites de voisinage nous

feront perdre bien du temps? Mon fils, répondit Volnis, il n'est pas du tout nécessaire, pour bien employer son temps, d'être sauvage, impoli, et de renoncer à tous les devoirs de société. Si nous étions à Paris, vous n'auriez pas fait cette réflexion; elle eût cependant alors été plus raisonnable, car les visites et les diners, à Paris, font perdre un temps prodigieux, parce qu'on y veille jusqu'à deux ou trois heures après minuit, qu'on est forcé de se lever tard, et qu'avec ce genre de vie, on n'a ni soirées, ni matinées libres. D'ailleurs, à Paris, les conversations des cercles, communément fort insipides, toujours frivoles, souvent dangereuses, ne sont jamais instructives; il n'en est pas ainsi en province, à la campagne. Ceux qui passent leur vie dans leurs terres, ont ordinairement, par la lecture, des connoissances solides, ou du moins l'expérience leur donne toujours de grandes lumières sur l'agriculture et sur l'économie domestique. Une visite de Paris ne m'apporte que des nouvelles de la ville, dont je ne me soucie guère; mon voisin m'entretient de ses travaux champêtres, il m'instruit en me parlant de ce qui l'intéresse; à son tour, il m'écoute avec plaisir; je puis le consulter et recevoir de lui d'excellens conseils. Le Parisien, l'homme de la Cour, ne s'amuse à la promenade que dans un vaste

jardin à l'anglaise; il lui faut de belles eaux, des cascades, de superbes fabriques. Mon voisin me suit avec joie dans mes bois, dans ma vigne ; et quand je le mène voir mes ouvriers, il ne me gêne point, ne m'interrompt point, parce qu'il prend part à tout ce que je fais d'utile, et que mes occupations lui retracent les siennes.

Je crois, dit Elmire, qu'avec de la franchise et de la bonhomie, il est facile de n'être pas importuné par les visites de ses voisins. Il suffit pour cela de se réserver toutes ses matinées, et de convenir avec ses voisins, qu'on n'ira mutuellement les uns chez les autres qu'aux heures des promenades. Il faut aussi, reprit Volnis, pour l'agrément réciproque du voisinage, régler les heures de ses repas sur celles de ses voisins; et ces heures, en province, sont toujours très raisonnablement calculées pour la santé, les occupations et les affaires. En se conduisant ainsi, lorsqu'on vit dans ses terres, on à toute la considération désirable ».

Ici, Charles pria son père de lui donner une définition claire et précise de ce mot considération: « Mon fils, répondit Volnis, vous me demandez de vous définir une chose presqu'entièrement passée de mode, et surtout à Paris, mais dont on retrouve encore une idée saine en province. La considération est l'approbation

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générale qu'on accorde à la réunion du mérite, de la conduite sage et soutenue, et d'une place éminente et honorable. Ainsi la considération est l'estime ? Non, on peut estimer un domestique, et l'on ne peut dire qu'on a de la considération pour lui. La considération ne s'obtient qu'avec un rang élevé ou un état distingué dans la société. Il est possible d'être parfaitement estimable et de n'avoir aucune considération, parce que l'inconséquence, même dans les petites choses, l'étourderie et les ridicules, de quelque genre qu'ils soient, ne pcu- : vent s'allier avec la considération; mais quand l'estime s'unit à la considération, il en résulte le sentiment de la plus juste admiration. Autrefois on vouloit de la considération, et non de la gloire. Le désir de la considération peut s'allier avec un dénûment total d'ambition, et même avec la piété la plus austère ; parce que la considération vient de la décence, de la dignité, de la sagesse, qu'elle est nécessaire pour honorer l'emploi qu'on exerce, et pour donner l'autorité la plus désirable. Quand on n'est pas dans une place très-éminente, le désir ardent de la gloire rend intrigant; il faut se faire louer au loin. Dans les particuliers, la renommée nuit toujours de quelque manière à la considération; elle excite l'envie, produit les calomnies; on devient bril

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