Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Aucune combinaison ne répondait en effet aussi complétement à l'impérieux besoin qui dominait les âmes en cet instant suprême. La régence, nous l'avons établi, n'aurait été considérée que comme une halte dans le système belliqueux de l'empire, et c'était avec ce système lui-même que la nation, lasse de la guerre et humiliée de sa défaite, cherchait alors à rompre par un acte éclatant. Un retour à la vieille monarchie était assurément le gage le plus formel qu'elle pût donner au monde de ses volontés pacifiques; l'instinct public le devina, et, sous cette seule impression, il accepta la restauration sans en discuter d'abord ni le titre ni les conséquences. En 1814, la France était affamée de paix, comme nous l'avons vue depuis affamée d'ordre : dans de tels moments, l'on sait qu'elle va droit devant elle et ne marchande aucune condition.

Aux premiers jours, tout le monde acclama donc les Bourbons, qui semblaient plus en mesure que personne de garantir la France contre les conséquences de sa défaite, et l'on accueillit cette solution par esprit d'égoïsme et point du tout par sentiment de fidélité.

Plus de conscription, plus de droits réunis ! s'écriait le comte d'Artois en passant la frontière, mot imprudent peut-être, mais qui assurait au prince un accueil chaleureux au sein de populations qui ne savaient rien ni de sa famille ni de lui-même. Ce programme était, en avril 1814, l'expression du vœu populaire jusque dans ces campagnes de l'Est qui, dominées par de, vieilles

appréhensions plus vives que de récentes souffrances, devaient, une année plus tard, porter sur leurs bras, de Grenoble à Paris, le guerrier redevenu pour elles le vivant symbole de la révolution et de la nationalité française. Quand l'auguste fille de Louis XVI était accueillie avec enthousiasme à Bordeaux, la part des intérêts froissés était plus grande dans cette manifestation que celle des opinions politiques, et la ville du 12 mars, ruinée par la chute du commerce maritime et colonial, faisait aux promesses de la restauration l'accueil qu'elle réservait trente ans plus tard aux doctrines du libre échange. Le conseil municipal de Paris, qui, devançant les résolutions du sénat, affichait, le 2 avril, une proclamation dans laquelle il indiquait comme vœu national le rétablissement de l'ancienne monarchie, cédait à la pression d'intérêts financiers et commerciaux beaucoup plus qu'aux souvenirs d'un passé disparu de la mémoire de la génération contemporaine.

Si la restauration fut pour M. de Talleyrand une intrigue, pour le sénat une spéculation, elle fut donc pour la bourgeoisie un calcul, et pour les masses une halte bénie dans la voie sanglante où elles avaient épuisé leurs forces.

Mais tandis que le rétablissement de la maison de Bourbon se présentait aux yeux de la plus grande partie de la nation sous cet aspect tout positif, cet événement revêtait un caractère très-différent pour les fidèles serviteurs dont les cheveux avaient blanchi au service et

dans l'attente de la royauté exilée. C'était l'accomplissement de leurs longues croyances soudainement réalisées, la sanction imprimée par le ciel aux espérances de toute leur vie, la captivité de Babylone miraculeusement terminée. La restauration des Bourbons devenait à leurs yeux la condamnation implicite des actes consommés depuis vingt-cinq ans ; c'était un arrêt porté par le ciel contre les hommes qui avaient ou servi ou défendu la révolution dans toutes ses phases et sous toutes ses formes, depuis la terreur jusqu'à la gloire.

De là deux écoles en même temps que deux partis, de là deux manières d'envisager le rétablissement de la royauté, d'entendre son droit, d'expliquer son origine et de comprendre ses devoirs envers la France et envers elle-même. Pour les uns, Louis XVIII était appelé au trône comme frère du dernier roi des Français, et son autorité ne préexistait point à l'acte du sénat qui lui conférait la royauté sous l'expresse condition de jurer les institutions dont cet acte déterminait les bases, institutions qui devaient être d'ailleurs formellement soumises à la sanction de la nation; pour les autres, le sénat et la France elle-même ne pouvaient que reconnaître un droit antérieur qu'aucune puissance humaine n'avait créé, et qu'on ne constituait pas en lui rendant hommage plus qu'on ne l'infirmait en le niant. Louis XVIII était roi dans l'exil aussi bien qu'aux Tuileries, et l'empire avait passé avec ses victoires, comme la république avec ses bourreaux, sans retrancher un seul jour de ce règne,

déjà vieux de dix-neuf années. Son titre inamissible n'avait besoin ni d'être reconnu ni d'être sanctionné, car il résultait de l'acte suprême par lequel le Dieu de Tolbiac et de Bouvines avait constitué la nationalité française; la royauté capétienne était la base de cette constitution séculaire, et la nation était aussi inséparable de son roi que nous le sommes du principe qui constitue notre vie et notre identité personnelle.

Si cette doctrine n'était pas comprise à Paris, si elle y était à peine soupçonnée, elle régnait sans contestation à Hartwell. Les nobles compagnons qui n'avaient pas déserté la royauté, lorsqu'elle était abandonnée de l'Europe, ne pouvaient renier la foi de toute leur vie au moment où la Providence semblait lui apporter une si foudroyante confirmation; et le prince qui, depuis la mort du jeune orphelin du Temple, se tenait pour investi de la royauté, devait répugner singulièrement à accepter un acte qui, en lui rouvrant les portes de la France, le contraignait de renoncer au principe de perpétuité dont il était demeuré dans toutes les fortunes le représentant opiniâtrément convaincu. Bel esprit égoïste et sceptique, Louis XVIII n'avait ni le cœur ni les passions de l'homme de parti; il avait gardé de sa jeunesse des habitudes frondeuses et des goûts de popularité parfois satisfaits aux dépens de ses plus dévoués serviteurs. Sa lutte constante contre un frère autour duquel s'était groupée, dans tous les temps, la portion la plus ardente de l'opinion royaliste, avait fait de l'ancien comte de

Provence le point d'appui naturel des hommes de transaction, et ce prince avait pris les allures et presque le caractère d'un roi constitutionnel sans en avoir toutes les croyances politiques. Son défaut de confiance dans le personnel de l'ancien régime n'avait aucunement altéré la foi royaliste qu'avaient imprimée dans son âme son sang, son éducation et une longue suite d'épreuves. Il croyait en son droit aussi fermement que Louis XIV, et tout enclin qu'il fût, comme d'autres rois de sa race, à employer les hommes nouveaux de préférence aux grands seigneurs et à faire prévaloir la politique de conciliation sur la politique de parti, il n'admettait ni le doute ni la controverse sur l'origine et sur l'étendue de sa puissance souveraine.

La manière nette et précise dont la déclaration du sénat réservait le droit supérieur de la nation contrariait donc sensiblement Louis XVIII; mais il avait l'instinct. trop droit pour le laisser paraître alors qu'il ne pouvait encore disposer d'aucune force qui lui fùt propre. Ce prince n'était en effet rappelé ni par les efforts, ni même par l'initiative de son parti; les manifestations moins sérieuses que bruyantes de celui-ci n'avaient été d'aucun poids dans la balance des événements, et la maison de Bourbon avait, en 1814, cette heureuse fortune, de devoir plus à ses anciens adversaires qu'à ses amis éprouvés.

Si cette situation, qui dispensait la royauté de toute reconnaissance envers les siens, contrariait les alentours

« ZurückWeiter »