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DU

GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF

EN FRANCE

LETTRES

A UN MEMBRE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES.

I

Esprit du parlement français '.

Vos conjectures ne sont pas rassurantes, monsieur, et malgré la confiance inspirée à tout Anglais par ces fortes institutions qui s'enlacent si étroitement à toutes les existences, l'avenir vous apparaît menaçant à la lueur des feux de Birmingham. Sans vous exagérer ses résultats actuels, vous entrevoyez dans le mouvement chartiste une unité d'efforts et de direction qui avait jusqu'à présent manqué à ces nombreuses émotions populaires, accessoire habituel des gouvernements aristocratiques, et auxquelles celui de la Grande-Bretagne semblait insulter par une indifférence dédaigneuse. Cette tentative, tout avortée qu'elle soit pour le moment, s'est fait remarquer par un caractère nouveau de confiance et de cynisme, où les théories les mieux arrêtées semblent se combiner avec les passions les plus

1 15 septembre 1839.

brutales. Vous comprenez que pressée par des périls dont elle n'avait pas encore soupçonné la gravité, l'Angleterre pourra se trouver conduite à modifier son organisation politique, à renforcer tout son système administratif, en empruntant à ses voisins des institutions et des formes pour lesquelles ses publicistes professèrent longtemps un dédain dont il faudra désormais revenir.

Cependant, au milieu de ces pénibles préoccupations, votre pensée se reporte vers la France avec une sollicitude plus vive encore. Confiant dans ce qui survit chez vous de foi politique et de religieux respect pour l'œuvre des ancêtres, vous pensez que d'immenses ressources sortiront de l'évidence même du péril, du jour où l'existence de la constitution serait manifestement compromise.

Cette sécurité, monsieur, vous ne l'avez pas pour la France. Vous y croyez le gouvernement représentatif exposé à des dangers que l'anarchie parlementaire et le scepticisme national rendront un jour difficile de conjurer. En suivant de près le jeu et l'avortement de tant d'intrigues, en contemplant avec une haute et impartiale sagacité le spectacle de mobilité, d'égoïsme et d'impuissance, si tristement étalé parmi nous, des doutes graves se sont élevés dans votre esprit sur la consolidation de notre établissement politique. En vain cherchez-vous, dans la confusion présente des hommes et des choses, un élément de permanence, une idée respectable et respectée de tous, quelque signe de durée ou quelque gage d'avenir en mesure de résister, dans une heure de crise, à l'éternel ouragan qui soulève et roule l'une sur l'autre ces vagues de sable sans consistance et sans repos.

Vous aimez la France, la fécondité de son sol et de son génie, ses mœurs douces et faciles, et cette égalité partout répandue qui semble la consacrer comme le domaine de

l'intelligence. Tout fier que vous soyez de la grande nation à laquelle vous appartenez, vous avez foi dans l'initiative réservée à la France sur les destinées de l'humanité; vous y voyez le creuset où viennent se fondre toutes les idées, pour s'empreindre d'un cachet d'universalité philosophique. Cependant cette puissance pleinement admise par vous dans le passé, vous appréhendez de la voir s'évanouir dans l'avenir; inquiet des misères au sein desquelles nous nous traînons si péniblement depuis deux sessions, vous craignez que l'Europe ne doive renoncer à une impulsion qui lui est si nécessaire, et que la France ne descende audessous du rôle glorieux marqué pour elle par la Providence. Des luttes politiques abaissées au niveau des plus vulgaires ambitions; des noms propres substitués aux intérêts des partis; des tentatives hardies jusqu'à la témérité aboutissant à des résultats mesquins jusqu'au ridicule, des colères d'écoliers et des susceptibilités de femmes recouvrant un fonds permanent de cupidité ou de jalousie, toutes les situations faussées, tous les hommes politiques brouillés sans qu'il y ait entre eux l'épaisseur de la plus mince idée, voilà le triste tableau tracé par vous de cette France que vous saluâtes longtemps, sinon comme le berceau, du moins comme l'école pratique de la liberté constitutionnelle en Europe.

Vous éprouvez le besoin d'être rassuré, monsieur, et vous voulez bien m'exprimer le désir de connaître mon opinion sur la crise que traverse en ce moment en France le gouvernement représentatif. Libre d'engagements au sein du parlement comme dans la presse, n'ayant ni l'espérance ni la volonté de profiter de ces victoires éphémères que quelques hommes remportent les uns sur les autres. sans résultat pour le pays et presque sans bénéfice pour eux-mêmes, vous pensez que je suis en mesure d'apprécier

avec quelque justesse une position qu'il est assurément bien facile de contempler avec le plus parfait dégagement d'esprit,

Je l'essayerai, monsieur, certain à l'avance de toute la liberté de mon jugement, que ne viendra troubler ni la mémoire d'aucun bienfait, ni celle d'aucune injure. Je m'efforcerai de saisir les idées sous les hommes, là du moins où les hommes représentent encore quelque chose, et de remonter au principe d'un mal dont je confesse toute la gravité, mais que pourtant je ne crois pas, comme vous, absolument incurable.

Loin de Paris par la distance, plus loin encore par le repos qui m'environne, la tête à l'ombre des grands chênes, les pieds humides de l'écume de nos grèves bretonnes, n'entendant d'ici que le bruit des vagues, harmonieux accompagnement de la pensée, je vous communiquerai mes impressions sur le présent, quelquefois mes rêves sur l'avenir; heureux de continuer le commerce que vous me permîtes de commencer dans le Lobby de la chambre des communes, alors qu'assis à vos côtés, j'étudiais dans leur vérité sévère ces nobles formes politiques dont vous êtes si justement fier.

Un tel emploi de mes loisirs me sera doux, puisque vous m'y conviez je ne le crois pas, d'ailleurs, inutile. Il est bon de faire une pause après tant de chemin parcouru, de s'orienter un peu au sein de cette brume épaisse, et de se demander jusqu'à quel point l'exemple et la théorie du passé peuvent servir de boussole et de règle pour la suite de notre carrière. Je vous donnerai ma pensée tout entière, sans m'interdire ces aperçus vagues et lointains, qui ne seraient ni convenables ni mûrs pour une assemblée délibérante. La presse sérieuse et réfléchie doit être l'avantgarde et l'éclaireur de la tribune: c'est ainsi que vous le concevez si bien chez vous.

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