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est assez déraisonnable pour raisonner quand on lui nie sa majeure? Cet homme, c'est le juge; il faut donc d'abord constater le fait, ensuite comparer le fait à la loi : c'est ce qu'on appelle le jugement. La première opération doit-elle être confiée aux mêmes personnes, aux personnes d'un même état que celles auxquelles serait confiée la seconde? Non sans doute; et certes, celui qui n'aurait pas vu le fait ne pourrait, sans renoncer à tous les sentimens de justice et d'humanité, opiner sur la peine. Vous verrez disparaître tous ces commentaires, ces arsenaux de chicane, et la loi rendue à sa simplicité sera le code du juge et du citoyen. Ces deux opérations ne peuvent être confiées aux personnes d'un même état. Il faut redouter l'esprit de corps qui se forme par opposition à l'esprit général de la société. La véritable perfection de l'administration de la justice est de rendre impossible la réunion des hommes sur un préjugé: ainsi il est nécessaire d'avoir des jurés pour le fait et des juges pour l'application de la loi. Il n'y a nul doute sur l'utilité de cette institution pour le criminel: vous verrez qu'il n'y en a pas non plus pour le civil. Il est naturel, lorsqu'il s'agit d'une propriété, de consulter les amis et les voisins: c'est ainsi que se décidaient les contestations dans les premiers âges de la société. Les lois ont ensuite été. créées, elles se sont ensuite multipliées ; il a fallu des hommes qui s'en occupassent continuellement: voilà l'origine des juges, voilà l'origine des abus. L'obéissance éclairée est la seule véritable obéissance; comment peut-on l'espérer quand les lois sont obscures et que le peuple ne les connaît pas? En un mot, il faut accorder le soin d'établir le fait aux jurés conduits et éclairés par un officier de justice, le reste appartient aux juges. Vous savez que les hommes ne sont que le produit de leurs mœurs et de leurs habitudes; que la véritable manière de les modifier pour la société, est de leur donner des habitudes heureuses; dès-lors est-il moyen plus sûr d'attacher les hommes à la justice elle-même, et de mettre, pour ainsi dire, la vertu au nombre des fonctions publiques? Un homme qui aura pendant quelque temps été juré, n'entreprendra pas un procès légèrement; ainsi c'est un

T. V.

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moyen de détruire cet esprit de chicane qui enracine chez les hommes l'esprit de discorde et d'avarice. Vous ramènerez les hommes à des mœurs simples et pures, compagnes ordinaires de la liberté. Toute législation doit avoir pour règle le cœur de l'homme et les affections qui le meuvent. Ramener le bonheur parmi les hommes sans y ramener la vertu, c'est un problème qu'heureusement il est au-dessus du génie de résoudre.

J'examine ensuite la matière sous le rapport de la liberté : tous les pouvoirs existent pour le peuple; il ne doit se réserver que ceux qu'il peut exercer par lui-même. Il peut reconnaître le fait; il doit défendre ce droit comme sa plus précieuse propriété : s'il en jouit, il ne craindra plus d'atteintes contre sa liberté. Dans les pays libres, l'instruction est établie par jurés tant au civil qu'au criminel : nous en avons joui nous-mêmes dans les premiers temps de la monarchie. Ainsi la raison, l'expérience et les faits historiques demandent cette institution.

Tout homme est bon pour éclaircir un fait; il n'en est pas de même pour appliquer la loi : il faut donc de plus grandes précautions pour l'élection de ceux qui seront chargés de ces fonctions plus délicates. Ici se présente une question bien importante: les juges doivent-ils être à vie ou pour un temps? Quand ils sont nommés par le pouvoir exécutif, il est évident qu'ils peuvent être à vie; mais lorsqu'ils sont nommés par le peuple, la question change institués par lui et pour lui, il faut seulement que le juge puisse obéir sans crainte à la loi et à sa conscience; il faut uniquement le défendre contre l'opinion publique; l'opinion publique sera toujours la prise la plus forte que le peuple puisse avoir sur ceux qui ont l'honneur et le devoir de le servir. La règle à suivre pour organiser tous les pouvoirs, est de leur attribuer la force nécessaire pour maintenir leur institution, mais jamais cet excédant qui pourrait mettre en danger la liberté publique.... Des juges à qui il n'en aurait coûté, pour se faire élire, que quelques momens de contrainte et d'hypocrisie, seraient donc élus à vie? Ainsi l'erreur d'un choix ne pourrait jamais se réparer. Les juges sont-ils donc les propriétaires de la

justice? Les emplois à vie sont de véritables propriétés. Dans un autre ordre de choses, la perpétuité des juges était une institution utile; elle servait de barrière au despotisme: actuellement elle ne servirait qu'à détruire la liberté. Dans notre institution, le roi seul est perpétuel. Tout homme, quelque fonction qu'il ait exercée, lorsqu'il rentre dans la société, reprend l'amour de l'égalité et perd l'habitude de la domination. Les hommes qui savent qu'ils ne descendront plus, regardent les devoirs qui leur sont confiés comme des faveurs qui leur sont accordées; ils se croient d'une classe différente; ils tendent à étendre l'autorité dont ils doivent toujours jouir. Le motif qui nous rend justes envers les autres est surtout le désir et le besoin que dans l'occasion on soit juste envers nous. Des juges perpétuels seraient naturellement amenés à des idées d'inégalité. Si au contraire ils sont à temps, ils n'oublieront pas ce qu'ils étaient, et se rappelleront ce qu'ils doivent devenir. On a dit que l'état de juge demande de longues études: cela peut être; mais si les lois pouvaient être mises à la portée de tout le monde, le juge ne pourrait plus se revêtir d'un voile scientifique qui couvre quelquefois une ignorance véritable. L'honnête citoyen doit aimer la justice; le méchant doit la craindre: elle sera aimée et redoutée, si les fonctions judiciaires sont assez simples pour être exercées par tous les citoyens ; il faut fondre toutes les idées isolées dans les idées générales. Les hommes aiment à faire une science compliquée de ce qui les occupe uniquement. Si vous voulez des lois simples et claires, ayez des juges temporels et non à vie; n'ayez point de tribunaux permanens; que le juge protège ses concitoyens contre l'injustice, qu'il défende leur honneur et leur vie, c'est la plus belle de toutes les fonctions publiques; mais elle tient à de grands abus. Il est affligeant de voir quelques individus vivre de l'injustice et du malheur des autres: ceux qui vivent des querelles que se font les hommes, sont intéressés à étendre, à obscurcir les affaires ; de là est née cette horrible science de la chicane, qui cherche à étouffer le sentiment du juste et de l'injuste. Si un citoyen veut intenter un procès, il cherche dans un

livre, et non dans le fond de son cœur, si sa demande est équitable.... Avec des juges perpétuels et des tribunaux permanens, Vous ne tarderez pas à voir une opposition sourde contre la réformation des lois; un homme qui a passé toute sa vie pour un grand jurisconsulte, voit avec beaucoup de peine qu'on commence à priser des qualités qu'il n'a pas songé à acquérir...................... Voulez-vous voir si toutes ces réflexions sont justes? Faites-vous représenter ces adresses des villes qui, la plupart, demandent des tribunaux pour attirer les plaideurs et établir, sur l'injustice et la folie, le fondement d'une utile spéculation.... Je pense cependant que les juges pourront être plus long-temps en place que de simples administrateurs, et qu'ils pourront être réélus......................... Quand les jugemens sont rendus légalement, ils doivent être exécutés et appuyés par la force publique ; il faut donc placer auprès d'eux une force qui vienne du pouvoir exécutif, et qui s'y rapporte c'est dans cette vue que je propose d'établir une partie publique dans chaque chef-lieu d'assises...... La justice doit être impartiale, prompte et facile. On s'est souvent occupé des deux derniers objets: votre comité, en multipliant les tribunaux, en exigeant que la justice soit rendue gratuitement, paraît les avoir suffisamment remplis; mais ce n'est point assez, il faut encore une impartialité tellement établie, que la partialité soit impossible. Les hommes sont en général sujets à l'erreur, à la prévention, à l'injustice: ces considérations doivent fixer l'attention du législateur. Si les juges exercent leurs fonctions dans le lieu même de leur habitation, il est difficile qu'avec la connaissance trop intime qu'ils ont des personnes qui les entourent, ils se défendent de préventions générales ou particulières: mais vous avez rendu l'impartialité certaine, lorsque le fait étant établi sur les lieux, des juges viendront dans ce lieu pour y appliquer la loi; ils s'y trouveront avec toute l'indifférence nécessaire sur les personnes et sur leurs rapports: vous voyez que je veux parler des assises et des juges ambulans. On avait trouvé un remède à la partialité, par l'appel; mais on a senti qu'il était fâcheux d'enlever des citoyens à leurs foyers. L'institution que je propose peut éviter les

inconvéniens de la justice trop éloignée et d'une justice rendue sur les lieux. Dans toute constitution libre, les pouvoirs n'étant institués que pour le peuple, on doit obliger les juges à porter la justice aux peuples, au lieu de forcer les citoyens à aller la chercher comme une grâce, et la solliciter comme une faveur. Voici un autre avantage de l'institution des juges ambulans: elle offre le seul moyen d'avoir des juges et non des tribunaux. Les tribunaux permanens seront toujours dangereux; c'est par eux que la liberté peut être attaquée; c'est par les tribunaux que la justice s'altère; c'est autour d'eux que se réunit cette multitude d'affaires; ils deviennent un foyer de chicane et de procès ; ils produisent l'inégalité de la population des villes, et les haines, les jalousies, les rivalités des villes entre elles.

Il convient d'examiner présentement ce qu'on nomme appel, cassation et présidialité. Ces institutions nous ont été transmises par la paresse, et aucunes n'ont été soumises à une rigoureuse analyse.

L'appel était connu en France; c'était une ressource contre les seigneurs féodaux : il n'aura plus lieu quand les jurés seront établis et que les juges opineront divisément sur le fait et sur l'application de la loi. Sur le fait, c'est le peuple lui-même qui juge par les jurés; il n'existe aucune puissance au-dessus du peuple : il ne peut donc pas y avoir d'appel du jugement du fait prononcé par le peuple. Quant à l'application de la loi, il peut y avoir erreur ou prévarication; alors il n'y a pas lieu à l'appel, mais à la cassation. Souvent la présidialité était nulle, mais elle faisait naître de grands procès; elle était une source féconde de différens sur ́la compétence, etc.; elle pouvait être utile quand il existait de grands tribunaux; mais nous n'en sonimes pas à créer des abus. La présidialité est d'ailleurs une grande et solennelle injustice; elle établit deux classes de procès: ceux qui s'élèvent à telle somme, ceux qui s'élèvent à telle autre. Il y a pour les uns un seul degré de juridiction, pour les autres il y en a deux. Ici vous demandez sans doute avec moi s'il y a deux justices : l'une pour le pauvre, l'autre pour le riche?-Le temps de faire des ois

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