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des pouvoirs publics, dont l'exercice habituel aura le plus d'influence sur le bonheur des particuliers, sur le progrès de l'esprit public, sur le maintien de l'ordre politique, et sur la stabilité de la constitution. Après ce que vous avez fait, votre devoir est devenu plus impérieux sur ce qui vous reste à faire : c'est lorsqu'on est parvenu au milieu d'une longue et difficile carrière, que le courage et la vigilance doivent se ranimer pour atteindre le but. Le vœu de la France s'est fait entendre; la réforme de la justice et des tribunaux est un de ses premiers besoins; et la confiance publique dans le succès de la régénération va s'accroître ou s'affaiblir, selon que le pouvoir judiciaire sera bien ou mal organisé.

Cette matière qui, au premier coup-d'œil, présente un champ si vaste, se réduit cependant, par l'analyse, à quelques points principaux, dont la décision abrégerait beaucoup le travail.

Le comité vous a proposé, par le premier titre de son projet, de décréter les maximes constitutionnelles par lesquelles le pouvoir judiciaire doit être défini, organisé et exercé. Le motif qui l'y a porté est le même qui vous a déterminés à placer à la tête de la constitution le titre des droits de l'homme et du citoyen. L'exercice du pouvoir judiciaire a été si étrangement dénaturé en France, qu'il est devenu nécessaire', non-seulement d'en rechercher les vrais principes, mais de les tenir sans cesse présens à tous les esprits, et de préserver à l'avenir les juges, les administrateurs et la nation elle-même, des fausses opinions dont elle a été victime jusqu'ici. En décrétant d'abord les maximes constitutionnelles, vous remplirez ce grand objet d'utilité publique, et vous acquerrez pour vous-mêmes un moyen sûr de reconnaître dans la suite de la discussion les propositions que vous devez admettre ou que vous pourrez examiner, de celles qui ne mériteraient pas même votre examen.

Le plus bizarre et le plus malfaisant de tous les abus qui ont corrompu l'exercice du pouvoir judiciaire, était que des corps et de simples particuliers possédassent patrimonialement, comme on le disait, le droit de faire rendre la justice en leur nom, que

d'autres particuliers pussent acquérir, à titre d'hérédité ou d'achat, le droit de juger leurs concitoyens, et que les justiciables fussent obligés de payer les juges pour obtenir un acte de justice. Le comité vous propose, par les cinq premiers articles du titre premier de son projet, de consacrer comme maximes inaltérables, que la justice ne peut être rendue qu'au nom du roi, que les juges doivent être élus par les justiciables, et institués par le roi, qu'aucun office de judicature ne pourra être vénal, et que la justice sera rendue gratuitement.

Le second abus qui a dénaturé le pouvoir judiciaire en France, était la confusion établie dans les mains de ses dépositaires, des fonctions qui lui sont propres, avec les fonctions incompatibles et incommunicables des autres pouvoirs publics. Emule de la puissance législative, il revisait, modifiait ou rejetait les lois : rival du pouvoir administratif, il en troublait les opérations, en arrêtait le mouvement et en inquiétait les agens. N'examinons pas quelles furent, à la naissance de ce désordre politique, les circonstances qui en firent tolérer l'introduction, ni s'il fut sage de ne donner aux droits de la nation d'autre sauvegarde contre l'autorité arbitraire du gouvernement, que l'autorité aristocratique des corporations judiciaires, dont l'intérêt devait être alternativement, tantôt de s'élever, au nom du peuple, au-dessus du gouvernement, et tantôt de s'unir au gouvernement contre la liberté du peuple : ne cherchons pas encore à vérifier par la balance des biens et des maux publics que cette fausse spéculation a produits, si la violation des vrais principes a été rachetée par une suffisante compensation d'avantages réels. Disons qu'un tel désordre est intolérable dans une bonne constitution, et que la nôtre fait disparaître pour l'avenir les motifs qui ont pu le faire supporter précédemment : disons qu'une nation qui exerce la puissance législative par un corps permanent de représentans, ne peut pas laisser aux tribunaux exécuteurs de ses lois, et soumis à leur autorité, la faculté de reviser ces lois; disons enfin que quand cette nation élit ses administrateurs, les ministres de la justice distributive ne doivent point se mêler de l'administration dont le soin

ne leur est pas confié. Le comité a consigné ces principes dans les articles du titre premier de son projet ; ils établissent l'entière subordination des cours de justice à la puissance législative, et séparent très-explicitement le pouvoir judiciaire du pouvoir d'administrer.

Le troisième abus qui déshonorait la justice en France, était la souillure des privilèges, dont l'invasion s'était étendue jusque dans son sanctuaire. Il y avait des tribunaux privilégiés et des formes de procédures privilégiées, pour de certaines classes de plaideurs privilégiés. On distinguait en matière criminelle un délit privilégié d'un délit commun. Des défenseurs privilégiés des causes d'autrui possédaient le droit exclusif de plaider pour ceux même qui pouvaient se passer de leur secours; car il est bien remarquable qu'aucune loi en France n'a consacré le droit naturel de chaque citoyen, de se défendre lui-même en matière civile, lorsque la loi criminelle le privait d'un défenseur pour la protection de sa vie. Enfin, le droit égal de tous les justiciables, d'être jugés à leur tour, sans préférences personnelles, était violé par l'arbitraire le plus désolant: un président qui ne pouvait pas être forcé d'accorder l'audience, un rapporteur qu'on ne pouvait pas contraindre de rapporter, étaient les maîtres de faire que vous ne fussiez pas jugé, ou que vous ne le fussiez que lorsque l'intérêt d'obtenir le jugement avaient péri par un trop long retardement.

Une sage organisation du pouvoir judiciaire doit rendre impossibles à l'avenir toutes ces injustices qui détruisent l'égalité civile des citoyens dans la partie de l'administration publique où eette égalité doit être la plus inviolable. Il ne s'agit pas là de simples réformes en législation, mais de points vraiment constitutionnels. Le comité a réuni dans le titre 1er de son projet les dispositions qui lui ont paru nécessaires pour anéantir les priviléges en matière de juridiction, les distractions de ressort, les entraves à la liberté de la défense personnelle, et toute préférence arbitraire dans la distribution de la justice.

Toutes les maximes renfermées dans ce premier titre du pro

jet, sont les bases nécessaires d'une bonne constitution du pouvoir judiciaire; elles nous ont paru d'une vérité absolue et indépendante du parti que vous voudrez adopter ensuite sur le nombre, la composition et la distribution des tribunaux. La forme des instrumens par lesquels le pouvoir judiciaire peut être exercé, est variable jusqu'à un certain point, mais les principes qui fixent sa nature, pour le rendre propre aux fins qu'il doit remplir dans l'organisation sociale, sont éternels et immuables. Je crois, Messieurs, que vous devez commencer par proclamer ces principes salutaires qui vous guideront dans la suite de votre travail, qui éclaireront les justiciables sur leurs droits, les juges sur leurs devoirs, et qui rendront sensibles à la nation entière les moindres écarts qui menaceraient un jour d'altérer en cette partie la pureté de la constitution.

Lorsque cette première tâche sera remplie, vous aurez déjà fait un grand pas, et l'ordre naturel du travail vous appellera à déterminer le système général de l'organisation des tribunaux ; ce qui comprend surtout leur classification et la gradation de leurs pouvoirs. Le comité vous a présenté, par le titre II de son projet, un plan sur lequel vous ne pourrez prononcer qu'en décidant tout ce qui doit être regardé comme faisant réellement le fond de l'ordre judiciaire. On peut le diviser en trois grandes parties, très susceptibles d'être traitées séparément, en s'attachant d'abord à la constitution des tribunaux de première instance, en passant ensuite à celle de tribunaux stupérieurs qui jugeront par appel, et en finissant par celle de plusieurs parties du service judiciaire qui peuvent exiger des formes à part et des juges particuliers.

Ce que le comité vous a proposé entraîne la destruction nécessaire de tous les tribunaux existans, pour le remplacer par une création d'établissemens nouveaux. Là se présente cette première question: faut-il régénérer à fond l'ordre judiciaire, ou ne peut-on pas laisser subsister dans le nouvel édifice plusieurs parties de l'ancien?

La nécessité de la régénération absoluc est incontestable. Nor

seulement la constitution ne sera pas complète, si elle n'embrasse pas toutes les parties qui doivent essentiellement la composer; mais elle sera vicieuse, incohérente et sans solidité, si toutes ces parties ne sont pas mises d'accord. Or, rien ne s'accorde moins avec les principes de la constitution actuelle, que ceux sur lesquels l'ancien ordre judiciaire s'est établi.

Vous tenez pour principe que tout pouvoir public qui n'est pas nécessaire, est par cela même dangereux et malfaisant. Les tribunaux, dépositaires d'un des pouvoirs publics, dont l'influence est la plus active, se sont multipliés par l'établissement des juridictions d'exception et de privilége, à un point qui n'a eu et qui n'a pas encore d'exemple chez aucune autre nation. Les abus, inséparables de cette excessive multiplication des tribunaux, ont excité depuis long-temps les plaintes de toute la France. Vous ne pouvez donc pas conserver les tribunaux d'exception, encore moins ceux de privilège.

C'est une autre maxime constitutionnelle, que tout pouvoir public est établi pour l'intérêt de ceux à qui son exercice est nécessaire; d'où il suit que les tribunaux doivent être composés et distribués de la manière la plus favorable à l'intérêt des justiciables. Après la suppression des justices seigneuriales déjà décrétée, et celle des juridictions d'exception indispensable à décréter, la plupart des tribunaux ordinaires ne se trouvent ni composés ni distribués convenablement pour la nécessité de leur service, pour la facilité des justiciables, ni pour s'assortir au nouvel ordre politique dont ils doivent faire partie. Ils ne peuvent donc pas être conservés dans leur état actuel. Et quant aux cours supérieures qui s'appelaient souveraines, leur composition calculée plutôt pour l'éclat que pour la bonté réelle du service, plutôt pour soumettre à l'autorité de ces cours d'immenses territoires, que pour mettre l'exercice de cette autorité à la portée de ceux qui en ont besoin, plutôt pour exciter l'intérêt, les préjugés et l'esprit de corps, que pour rappeler aux tribunaux la place qu'ils occupent dans l'ordre des pouvoirs publics, et dont ils ne peuvent sortir sans blesser l'harmonie politique, cette composi

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