Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

qui professent ces incroyables principes; l'assemblée nationale peut-elle laisser entre leurs mains le dépôt des lois, peut-elle souffrir que la constitution soit menacée par une ligue parlementaire? Votre comité se borne cependant à vous proposer le projet de décret suivant:

« L'assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, etc., décrète que le président de la chambre des vacations et le procureur-général du parlement de Bordeaux seront mandés à la barre, pour rendre compte des motifs de leur conduite; charge en outre son président de témoigner aux citoyens de la ville de Bordeaux, aux officiers municipaux et à la milice -nationale, la satisfaction avec laquelle l'assemblée a reçu les nouvelles preuves de leur zèle et de leur patriotisme. »

M. Mathieu de Montmorency. M. Dudon fils m'a écrit pour me demander s'il pourrait être admis à la barre pour défendre son père. Il vient, par une seconde lettre, d'insister sur cette demande.

M. le Chapelier. M. Dudon fils n'est absolument rien dans l'affaire. Un intérêt de cœur ne peut donner à un homme le droit de défendre des actions qui lui sont personnellement étrangères.

M. l'abbé Maury. Si l'assemblée croyait pouvoir accorder à M. Dudon fils sa demande, ce serait en ce moment qu'il faudrait le recevoir, pour ne pas interrompre la délibération. Je ne dirai pas, comme le préopinant, qu'un intérêt de cœur ne peut donner, etc. Je dirai qu'il s'agit d'un devoir sacré de piété filiale; qu'il est digne des législateurs de respecter ce sentiment, parce que la morale est le fondement des lois. Je dis que tout homme qui a un père et qui sait combien cet être est sacré, doit respecter un fils qui veut partager les malheurs de l'auteur de ses jours. Il est beau de faire marcher avant tout les droits de la nature. Il n'appartiendrait qu'à des âmes insensibles et qui redouteraient la vérité, de repousser un fils qui vient parler pour son père, en lui opposant des fins de non-recevoir.

M. de Mirabeau l'aîné. Il me semble que le préopinant se trompe également et dans l'objet qu'il nous suppose et dans les

motifs de sa compassion vraiment généreuse. L'assemblée juget-elle lorsqu'elle demande des motifs? Au contraire, elle suspend sa délibération. Nul autre ne peut rendre compte des motifs du magistrat que le magistrat lui-même. Je vais plus loin; si le réquisitoire est un délit, vous avez le corps de délit, et quels que soient les motifs qui ont dicté cet acte, il n'en est pas moins ce qu'il est; vous pourriez le juger. On vous propose de demander les motifs; cette modération convient toujours à une assemblée législative. Je ne crois pas que le président de la chambre des vacations mérite le même sort que le procureur-général. Je ne trouve qu'une faute dans l'arrêt; l'injonction faite aux municipalités est'inconstitutionnelle; il faut apprendre aux parlemens qu'ils n'ont rien à enjoindre ni à ordonner aux municipalités.

M. de Cazalès. Si la ville de Bordeaux s'était bornée à dénoncer ce réquisitoire, et n'avait pas interprété ses expressions, je serais de l'avis de M. de Mirabeau. Le fils du magistrat accusé vient défendre son père contre des interprétations calomnieuses: il paraît extraordinaire que quand tout citoyen est admis à dénoncer, le fils d'un citoyen accusé ne puisse prendre sa défense. On ferme la discussion.

[ocr errors]

L'assemblée délibère. M. Dudon fils est admis à la barre. Il entre avec rapidité.

M. Dudon fils. Je savais bien, Messieurs; que la nature serait la plus forte, et si quelque chose peut nuire à mes moyens, c'est la sensibilité dont je suis affecté. Je ne prendrai point la raideur de la discussion pour justifier ici mon père. Je regrette qu'il s'en soit servi dans son réquisitoire, puisqu'elle a donné lieu à d'aussi fâcheuses interprétations. S'il s'est livré à quelque expression trop forte, il faut donner quelque chose à la faiblesse humaine... (On entend quelques murmures.) Vous ne pourrez, par ces improbations, atténuer mes réclamations.

M. le Président. Je vous prie de continuer, purement et simplement, l'apologie de votre père.

M. Dudon. Je pourrais l'excuser en vous retraçant sa vie tout entière. Le peuple qui le maudit aujourd'hui, est trompé. Quand

les parlemens se sont opposés avec vigueur au despotisme, quand mon père bravait les violences et les injustices des ministres, on l'applaudissait, on lui préparait des triomphes. Ce n'est pas un mauvais citoyen qui a employé toute l'autorité de sa place pour alimenter la ville de Bordeaux pendant l'hiver dernier. Si vous considérez le grand åge de mon père, si vous savez qu'il est malade en ce moment, vous le dispenserez d'un voyage qui altérerait encore sa santé.-M. Dudon ajoute, que les improbations qui se sont manifestées, ne lui permettent pas d'entrer dans de plus grands détails sur la justification de son père. — Il se retire.

Ñ........ Vous venez d'entendre M. Dudon fils; en rendant hommage à sa piété filiale, on ne peut se déguiser qu'il n'a pas justifié son père. Il nous parle de l'opposition des parlemens au pouvoir arbitraire, il me semble qu'ils ont moins été les ennemis du despotisme que ses rivaux.... Il faut, pour rendre la justice, être honoré dans l'opinion publique; il faut que la justice soit rendue, et les provinces en sont presque privées. Je voudrais que par une mesure provisoire, les parlemens fussent remplacés par des tribunaux qui méritassent la confiance des citoyens.

M. l'abbé de Barmont. Si je croyais qu'il fût nécessaire de disculper le parlement de Bordeaux, je rappellerais à l'assemblée qu'elle ne peut être juge dans sa propre cause; mais je ne crois pas que cette cour ait besoin d'être défendue. Elle a enjoint aux municipalités d'user de tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour ramener l'ordre. Quel était alors l'état du ressort du parlement de Bordeaux? J'étais membre du comité de rapport; nous recevions des procès-verbaux effrayans, qui constataient des brigandages, des massacres, des incendies.... On confond le réquisitoire, qui n'a rien de commun avec l'arrêt, et cet arrêt n'a rien de coupable. Voilà donc l'affaire réduite à un seul particulier, et ici la cause devient bien belle; elle a été plaidée par le fils de l'accusé, par un fils troublé par le respect que vous lui avez inspiré. Je dénie toutes les intentions qu'on croit voir dans

[ocr errors]

son réquisitoire; il n'a pas attaqué la constitution qu'il a juré de maintenir : il a demandé que la force publique fùt employée pour arrêter les brigandages...... C'est un citoyen respectable, âgé de quatre-vingts ans, et qui, pendant cette longuè carrière, arendu de grands services à la patrie : il n'y a que quatre ans qu'il gémissait sous une lettre de cachet, pour avoir défendu avec courage les intérêts de ses concitoyens... Sa réponse est dans la dénégation que je fais en son nom des interprétations qu'on donne à une phrase de son réquisitoire.

M. le Chapelier. Toutes les expressions du réquisitoire annoncent l'intention de s'élever contre vos décrets. Il est certain que les troubles étaient calmés lorsque le réquisitoire a été prononcé.

-Cette dernière assertion est fortement déniée.

L'assemblée commence à devenir très-tumultueuse.

On demande que la discussion soit fermée, qu'elle soit continuée, qu'elle soit ajournée.

Après de longs débats, l'ajournement est rejeté.

[ocr errors]

Plusieurs projets de décrets sont présentés. La priorité est accordée à celui du comité.

M. de Sèze. La faiblesse de la santé de M. Dudon, et son grand âge, ne nous permettent pas, en quelque façon, de le mander à la barre.

M. Lachèze demande la même grâce pour le président de la chambre des vacations.

M. de Cazalès est d'avis que l'on supprime la partie du décret qui comprend les témoignages de la satisfaction de l'assemblée pour le zèle patriotique de la milice nationale et de la municipalité de Bordeaux.

M. de Menou. Personne n'ignore les manoeuvres des parlemens contre les opérations de l'assemblée. Je demande que le parlement de Bordeaux soit supprimé, et les membres de la chambre des vacations déclarés incapables d'exercer les droits de citoyen actif.

Les mouvemens d'une partie de l'assemblée augmentent.

1

M. Alexandre de Lameth. L'assemblée est très-décidée à ne pas abandonner cette question sans la traiter; il faudrait donc la laisser délibérer paisiblement. Ne vous aveuglez pas ; on peut frapper la liberté dans sa naissance. Si l'assemblée faisait bien, elle renverrait cette affaire au Châtelet. Sous peu de jours, d'autres parlemens nous occuperont encore; qu'on ne nous parle pas des prétendus services des membres du parlement de Bordeaux, quand ils sont coupables de délits certains.

M. le président de Frondeville. Il est temps de délivrer les parlemens des persécutions véritables qu'ils éprouvent; c'est une persécution que de les accuser sans preuve. Je fais la motion que dèsce moment toutes les chambres des vacations soient supprimées.

La question préalable est demandée sur divers amendemens, successivement présentés et rejetés ou adoptés. Après des débats longs et tumultueux, l'assemblée décrète que le président de la chambre des vacations et le procureur-général du roi du parlement de Bordeaux seront mandés à la barre pour rendre compte des motifs de leur conduite, et qu'ils s'y rendront dans l'intervalle de quinze jours, à compter de la notification du présent décret: et cependant l'assemblée nationale, prenant en considération le grand âge du sieur Dudon, procureur-général, le dispense de se rendre à la barre et lui ordonne de rendre compte par écrit des motifs de sa conduite.

L'assemblée nationale charge en outre son président de témoigner par une lettre aux officiers municipaux, à la milice nationale et aux citoyens de la ville de Bordeaux, la satisfaction avec laquelle l'assemblée a reçu les nouvelles preuves de leur zèle et de leur patriotisme.

La séance est levée à une heure du matin.]

Discours de M. Thouret à l'assemblée nationale prononcé le 24 mars 1790, en ouvrant la discussion sur la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire; imprimé par ordre de l'assemblée nationale.

La matière dont vous venez d'ouvrir la discussion offre un grand intérêt à vos délibérations. Le pouvoir judiciaire est celui

T. V.

6

« ZurückWeiter »