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juges; ne leur accordez donc ni la permanence, ni un ressort trop étendu. Une cour de vingt juges, renfermant quatre départemens, présenterait des corps assez nombreux pour faire craindre qu'elle n'opprimât les justiciables; et si plusieurs d'entre elles renouvelaient ce système de fédération, dont les parlemens ont donné l'exemple, peut-on prévoir les troubles qui en résulteraient? Une cour de six juges, dont la moitié seulement serait sédentaires, ne formera point de corporation inquiétante, d'association permanente, et n'aura ni force réelle ni force morale qui soient dangereuses. Jusqu'à présent, un des grands inconvéniens de l'appel était l'éloignement où les justiciables se trouvaient du tribunal supérieur : cet éloignement subsistera toujours, si vous établissez une seule cour pour quatre départemens: la justice d'appel ne sera donc rapprochée que lorsque les justiciables ne seront pas obligés de l'aller chercher hors de leur département? La mesure territoriale du département n'a-t-elle pas été proportionnée aux besoins des citoyens? Ainsi donc il faudrait une cour· supérieure pour chaque département; mais quatre-vingt-trois cours permanentes seraient très-dispendieuses. La forme que j'ai proposée évite les inconvéniens, et réunit les avantages de la permanence et des assises; l'impartialité est assurée : le bon ordre politique et la bonne administration le sont également........

Le service des tribunaux d'appel ne sera jamais interrompu. Les trois juges permanens décideront ce qui requiert célérité : ce nombre sera suffisant; car les bons juges dépendent moins du nombre que de l'intégrité et de la capacité : plus il y a d'hommes, plus il y a de chances pour l'erreur: c'est le plus pètit nombre qui a reçu de la nature les bonnes qualités nécessaires à un juge; les autres, s'ils étaient dominés, seraient nuls; s'ils contrariaient les bons juges, ils nuiraient à la justice..... On doit consulter l'économie des frais. Avec des cours de vingt juges, il est beaucoup de circonstances où vous ne pourriez pas réunir plus de trois départemens : ainsi, d'après le premier plan, il vous faudrait 500 juges de cours supérieures; d'après le second, 302 seraient seulement nécessaires : voilà donc dans la dépense une

T. V.

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réduction de deux cinquièmes.... Enfin, comme il y a unité de principe et d'objet dans votre conclusion, il doit y avoir unité dans les institutions dont elle se compose; l'observation de ce principe est nécessaire pour réunir à la sublimité du fond l'excellence de la forme. Les départemens créés égaux doivent rester égaux. Vous aurez donc une organisation simple et peu coûteuse; vous éviterez le danger attaché au nombre et à la permanence; la justice d'appel sera plus expéditive, et moins exposée à la séduction enfin vous maintiendrez l'unité constitutionnelle, qui ne saurait exister avec la féunion de plusieurs départemens sous une même cour. Je conclus à ce qu'il soit décrété que, pour rendre la justice par appel, il y aura un tribunal supérieur dans chaque département, et qu'il sera composé de deux sections: l'une permanente, l'autre ambulante.

M. Tronchet. Les juges du tribunal d'appel seront-ils sédentaires? Examinons d'abord le but direct de toute organisation judiciaire, et ses rapports avec la qualité du juge. Il se présente quatre conditions absolument nécessaires : il faut que la justice soit d'un abord facile, qu'elle soit expéditive et peu dispendieuse; enfin; il faut qu'elle soit éclairée, et, si j'ose m'exprimer ainsi, 'il faut que la justice soit juste. On n'a plus besoin d'être près de son juge; la plupart des plaideurs ne viennent pas dans le lieu du tribunal, ou bien ils y viennent pour faire des sollicitations, qui sont une véritable séduction. Pour rendre facile l'abord de la justice, il n'est pas indispensable d'avoir des assises. Sans doute il convient que la justice soit briève, mais il ne faut pas qu'elle soit trop hâtive: il est souvent nécessaire d'accorder des délais aux parties. Toutes les affaires d'un tribunal ne sont pas toujours prêtes. On juge un procès pendant que l'autre s'instruit. Avec des assises, celui qui pourrait être prêt quinze jours après le départ des juges, sera renvoyé à l'année suivante. Vous ne préviendrez pas cet inconvénient par des jugemens provisoires; vous ferez péricliter mes droits par un délai, pendant lequel mon débiteur deviendra insolvable. La justice ne sera donc pas plus prompte. Sera-t-elle moins dispendieuse? Il faut sans doute sous

traire les plaideurs à l'avidité des avocats et des procureurs, qui s'abreuvent du plus pur de leur sang. Les assises ne remédieront pas à ces abus: la réforme du code peut seule les détruire. C'est l'intégrité, ce sont les lumières du juge qui peuvent conduire à une bonne justice.

Si le juge n'est point intègre, vous aurez beau le faire changer de lieu, la séduction, qui saura pouvoir l'atteindre, le suivra au galop. Il faut aux juges des lumières extérieures, des lumières personnelles, et des qualités morales. Les lumières extérieures tiennent à l'instruction de l'affaire. Vous concevez que si l'appel a lieu dans le même endroit où la première instance a été intentée, si les défenseurs ont mal instruit, ils instruiront mal encore. L'appel deviendra donc un bénéfice inutile. Quant aux lumières personnelles, l'étude est un magasin; mais il est des cas nouveaux où le juge le plus instruit est obligé de consulter les livres. Mais qu'ai-je dit, les livres? on prétend qu'il faut les brûler ; qu'il faut livrer au feu tous ces gros in-folio qui garnissent nos bibliothèques. Heureusement pour nos libraires, que l'on n'a pas dit qu'il fallait livrer aux flammes les livres d'histoire, de science et de littérature. Quant à ceux que vous avez rendus inutiles, j'en ferais volontiers le sacrifice; mais je demande grâce pour quelques autres, parce que je leur dois le peu que je vaux. Je n'aurai jamais de confiance dans un juge qui viendra décider de ma fortune, en portant toute sa science en croupe sur son cheval.

Considérons maintenant la question sous son rapport avec l'ordre politique. Voici à quoi se réduisent toutes les objections si vous faites des tribunaux souverains sedentaires, ce scront des parlemens, et vous n'en voulez pas; je n'en veux pas plus que vous; mais des tribunaux sédentaires, tels que je les conçois, ne ressembleront pas à des parlemens : les causes qui rameneraient cette ressemblance ne peuvent plus exister, puisque ces causes sont l'origine des parlemens; la qualité des personnes, l'influence de ces tribunaux dans la législation, et leur autorité sur les tribunaux subalternes. Quant aux trois premières causes, l'impossibilité de leur réexistence me paraît démontrée. J'observerai seulement,

à l'égard de la quatrième, que les juges des cours n'auront pas de supériorité sur les autres juges: en effet, c'est le hasard de l'élection qui fera parvenir à tel ou tel tribunal, Il y aura aussi de grands obstacles à toute entreprise dangereuse : la résistance à l'oppression, autorisée par la déclaration des droits et la présence perpétuelle de la législature. Je conclus à ce que les tribunaux d'appel soient sédentaires.

La séance est levée.]

SÉANCE DU 3 MAI.

[L'assemblée après avoir entendu deux orateurs, l'un pour l'opinion de Thouret, l'autre contre, décréta que les juges d'appel seraient sédentaires. Elle passa ensuite à la question sui

vante :

Les juges seront-ils établis à vie ou pour un temps déterminé?

M. Brocheton. Il faut établir des juges qui réunissent les lumières et l'intégrité : pourra-t-on trouver ces juges dans tous les temps? On craint le pouvoir des juges à vie. La liberté des citoyens ne sera-t-elle pas assurée par les bons choix qu'ils auront faits.... On pourrait, en déclarant inamovibles les membres des cours supérieures, les soumettre, tous les six ans, à un scrutin d'épreuve, par lequel la destitution des juges s'opérerait à une majorité des deux tiers des voix. Je penserais cependant que les membres du tribunal de révision ne devraient être en fonction que pendant six ans, sauf à être continués.

M. d'André, conseiller au parlement d'Aix. Je n'entrerai pas dans de grands détails; il n'est pas douteux que des hommes qui seraient juges pour la vie, regarderaient leurs offices comme des propriétés, et chercheraient à étendre leurs prérogatives: il n'est pas douteux qu'à la longue, l'esprit de corps attaquerait la liberté. La seule objection qui puisse d'abord paraître raisonnable est celle-ci : des juges à temps ne seraient pas de bons juges ; je crois au contraire que des juges à vie seraient de mauvais juges. Il est certain qu'un magistrat assuré de conserver son état toute sa vie, se fait une routine et n'étudie plus: on peut sur ce point en croire mon expérience. Les juges honorés du choix du peuple

croiront n'avoir plus rien à apprendre et n'avoir plus qu'à juger; ainsi l'inamovibilité est un moyen sûr d'avoir de mauvais juges. Le magistrat à temps désirant se faire continuer travaillera et rendra bonne justice. Vous exciterez encore les gens de loi à se conduire avec désintéressement et probité pour obtenir les suffrages du peuple.... Sans entrer dans de plus grands détails, je conclus à ce que les juges ne restent en fonction que pendant cinq ans, et puissent cependant être réélus.

On demande à aller aux voix.

M. Buzot. Mettre en question si les juges seront amovibles, c'est supposer d'avance que des juges pourront abuser de leur pouvoir, et devenir incapables de remplir leurs fonctions. Il y a plusieurs sortes d'incapacités, l'incapacité naturelle, dont personne ne peut se garantir, je veux dire les infirmités qu'amène l'âge. Il est une autre incapacité moins ordinaire, mais plus funeste; la négligence qu'on apporte à s'instruire, quand on ne peut rien perdre par cette négligence.... Le peuple peut être trompé, séduit; et si les juges étaient inamovibles, vous le puniriez de sa faiblesse et de son erreur, ou plutôt de l'erreur de ceux qu'il aurait chargés de ses intérêts; car il ne peut élire que par des représentans.... Je ne suis pas rassuré par la responsabilité des juges, car cette responsabilité doit avoir des bornes; il faut que les juges n'abusent pas de leur ministère; mais il ne faut pas les empêcher d'en user.... En examinant la question sous les rapports de la liberté publique, j'entrevois les plus grands dangers; l'inamovibilité dégénérerait en un traité entre le monarque qui voudrait gouverner arbitrairement et les juges qui asserviraient leur conscience aux vues du monarque. Vous avez déjà adopté une partie des principes du comité; il serait possible que vous crussiez devoir en adopter l'application: combien ces juges n'auront-ils pas de créatures qui s'attacheront aux magistrats, et les appelleront aussi les pères de la patrie! Ces juges exerceront un grand empire sur les esprits, ils auront dans les élections une influence directe ou indirecte, mais qui n'en sera pas moins dangereuse. Si les magistrats inamovibles se coalisent

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