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rang, la plus utile, la plus bienfaisante des institutions, est celle qui met l'égalité à l'abri de l'invasion de tous les jours, de toutes les heures..... Quel est l'inconvénient? Les haines.... Mais quand le jugement sera rendu par douze jurés, le sentiment de la haine, divisé entre tous, ne s'attachera fortement à aucun. Nous avons d'ailleurs, pour nous rassurer, l'exemple des tribunaux dans l'ancien ordre de choses.

Dans le quatrième rang, l'avantage est certain; l'inconvénient a la même certitude. Les fonctions des jurés enleveront un temps précieux à l'industrie; elles auraient pu nous priver du métier à faire des bas, de la boussole, des pompes à feu; mais si une pareille crainte détournait de l'établissement des jurés, elle empêcherait aussi les citoyens de se livrer à toutes les fonctions de la société. Si les arts sont utiles, le patriotisme est nécessaire au bonheur de la patrie. Dans le cinquième rang, l'avantage est inestimable, il est certain; l'inconvénient disparaîtra lorsque nous aurons un nouveau code. Je crois avoir tout pesé dans la balance. J'ai toujours trouvé, tantôt des avantages certains et des inconvéniens qu'on ne peut éviter, tantôt des avantages inappréciables et des inconvéniens légers. Je conclus donc de cette première partie que la somme des avantages est plus grande que celle des inconvéniens, et que par conséquent il faut établir des jurés.

Permettez-moi maintenant d'appliquer ces idées aux deux autres questions. Au criminel, il n'y aurait que deux partis à prendre sans jurés: ou laisser subsister la procédure criminelle, et l'on frémit à cette idée, ou se contenter des adjoints notables; mais ces adjoints peuvent écouter, regarder, parler, et rien de plus. Ils ne font rien; ils ne peuvent conduire à rien, et nous laissent dans l'ancien état. Il nous faut donc des jurés ; il nous en faut dès ce moment. Nous n'avons à choisir qu'entre eux et cette procédure contre laquelle s'élèvent les sages et crie le sang de tant de victimes....

M. Duport dit qu'il n'y a rien de si simple qu'un fait que tout le monde peut juger; mais la simplicité n'est pas un attribut essentiel des faits; il y en a qui sont simples, d'autres qui ne le

T. V.

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sont pas du tout. Un meurtre a été commis, le corps sanglant est exposé à tous les régards; ce n'est pas sur ce fait qu'il faut prononcer. Un homme est accusé; est-il coupable? Voilà la question. Pour marcher à travers les ténèbres dont les coupables s'enveloppent toujours, il n'y a d'autres guides que les indices. Parmi toutes les opérations de l'esprit, il n'en est pas qui exigent plus de raison et de logique. L'indice se dérobe aisément à l'esprit le plus attentif, le plus méthodique, le plus éclairé; c'est le rapport entre un fait connu et un fait inconnu.... Il ne fallait pas dire que tout le monde est capable de juger d'un fait ; ce jugement ne peut être rendu que par les classes les plus éclairées de la société. Je ne dis pas qu'on doive n'appeler au jury que des gens de loi; la connaissance de la loi n'est pas absolument nécessaire; mais une bonne logique est indispensable.... Quelle que soit la nature de ces jurés, la vie des citoyens n'est pas assez garantie, si l'on n'exige l'unanimité pour la peine de mort; notre jurisprudence, quelque barbare qu'elle soit, demande des preuves plus claires que le jour en plein midi : ont-elles ce caractère, ces preuves qui ne sont pas claires, qui n'existent pas pour deux des juges qui composent ce tribunal? Rien n'absout la société qui fait périr un homme, si elle n'a constitué des tribunaux d'après la meilleure forme possible, si elle n'a pris tous les moyens d'éviter l'erreur. La meilleure forme, c'est l'institution des jurés. Mais ayez-vous pris tous les moyens d'éviter l'erreur? Si le jugement peut être prononcé aux cinq sixièmes des voix, deux citoyens que vous avez honorés de votre confiance vous crient: Cet homme est innocent, et vous l'envoyez au supplice. -Ainsi donc, 1° il faut dès ce moment des jurés au criminel; 2° il faut qu'ils soient unanimes; 3° ils ne doivent être pris que dans les classes éclai-` rées,

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Les jurés doivent-ils, dès ce moment, être adoptés au civil?

On a dit qu'il n'y a aucune parité entre le civil et le criminel; on a dit que dans l'un et l'autre, il faut faire la distinction du fait et du droit on a exagéré ces deux opinions. Au civil, pour distinguer le fait, il faut connaître la loi, car c'est elle qui imprime

au fait son caractère. Il y a une différence très-notable au criminel; les faits se jugent dans la jurisprudence par les mêmes mots que dans la société. Au civil, les questions roulent sur des choses, et l'on parle une langue que tout le monde ne connaît pas : il ne suffit donc pas, en matière civile, d'avoir un cœur droit, un sens juste, une saine logique ; il faut connaître les lois; et tout ce qui n'est pas légiste les ignore.

Je pense donc que pour avoir des jurés au civil, il faut avoir un nouveau code civil; mais, en attendant, ne serait-il pas possible de trouver quelque forme propre à réunir les avantages et à écarter les inconvéniens? Je crois que ce moyen existe; je le trouve chez un peuple que les gens de loi estiment beaucoup. A Rome, chaque préteur entrant en fonctions traçait sur un tableau le nom de quatre cents citoyens pour les affaires ; les plaideurs pouvaient récuser, et les citoyens assistant le tribunal jugeaient le fait sans les préteurs; le préteur, législateur lui-même, faisait l'application de la loi. Je propose de placer dans tous les chefslieux trois juges qui tour à tour présideront les tribunaux permanens ; ils ne seront que des juges du droit. Au civil, ils formeront leur liste de tous les hommes de loi; au criminel, ils prendront des jurés dans les classes éclairées.

M. Tronchet. Messieurs, devons-nous admettre dans la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire la forme du jugement par jury? Devons-nous l'admettre pour les causes civiles comme pour les causes criminelles? Voilà la grande et importante question qui vous occupe depuis plusieurs jours, et qui est digne de ́ toute votre attention.

De la bonne ou mauvaise organisation du pouvoir judiciaire dépend la liberté individuelle de chaque citoyen, puisque c'est le pouvoir judiciaire qui doit garantir à chaque individu la jouissance de ses biens, sa liberté personnelle, son honneur et sa vie.

C'est au moment où il s'agit de constituer cet instrument de la liberté civile, que de vrais citoyens, des législateurs, des représentans de la nation, doivent recueillir toute leur attention, se dé

pouiller de tous préjugés, se défendre de toute impression d'intérêt personnel; c'est ici, qu'élevés à la hauteur d'une opération qui intéresse l'ordre et la tranquillité publique, nous devons nous armer de toutes lés précautions qui peuvent nous préserver d'une erreur dont les consequences pourraient être incalculables.

C'est avec la timidité que m'inspire un si grand intérêt que je vais hasarder de vous présenter mes réflexions sur le projet d'introduire en France le jugement par jury, même dans les causes civiles.

Si je me borne à ce seul point de vue, ce n'est pas que je sois intimement convaincu qu'il soit aussi nécessaire, aussi utile que bien des personnes le croient, d'admettre, au moins dès à présent, le jugement par jury dans les causes criminelles.

Je pense que vous avez procuré au peuple tous les avantages qu'il peut espérer des jurés en matière criminelle par ces quatre établissemens salutaires que vous avez formés provisoirement ; les adjoints avant le décret, le conseil donné à l'accusé, l'instruction publique après le décret, et enfin le jugement sur un rapport public..

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Je pense que le moment où la révolution s'opère est peu propre à garantir le jugement par des jurés des inconvéniens dont les Anglais eux-mêmes le reconnaissent quelquefois susceptible.

Je pense enfin qu'il serait très-difficile d'introduire cette forme dans les causes criminelles, avant d'avoir réformé le code de la procédure criminelle et des lois pénales.

Si je ne m'oppose point directement à cet établissement, c'est uniquement parce que je n'y aperçois pas autant d'inconvéniens que j'en trouve dans son extension aux causes civiles.

Voilà mon opinion prononcée; je dois vous en exposer les motifs, et d'abord je dois fixer bien clairement l'état de la question.

Demander si l'on admettra ou non en matière civile le jugement par jury, c'est ne présenter qu'une question vague; c'est

s'exposer à des discussions aussi vagues que la question même, tant qu'elle ne sera point appliquée à un fait clair et précis.

Le jugement par jury peut être proposé, et nous est dans le fait proposé sous des formes différentes. Il faut donc distinguer ces formes et ces plans différens; il faut appliquer à chacun de ces faits les réflexions qui lui sont propres : c'est l'unique procédé qui puisse éclaircir la question, et conduire à des résultats clairs et précis.

On a paru jusqu'ici réduire à trois plans différens les divers modes de jugement par jury qui vous ont été proposés.

Admettrez-vous des jurés tels qu'ils sont usités en Angleterre ? C'est ainsi que M. Gossuin paraissait avoir posé une première question.

Admettrez-vous les jurés dans le mode particulier que présente le système de M. Duport, c'est-à-dire des jurés dont la fonction soit bornée au jugement du point de fait? Voilà une seconde question.

Enfin admettrez-vous le mode et le système qui vous sont présentés par M. l'abbé Sieyès, c'est-à-dire des jurés auxquels vous confierez le double jugement du fait et du droit? Voilà une troisième question qui vous est proposée.

Quant à moi, je ne vois véritablement que deux questions à poser, parce que je ne vois proprement que deux plans proposés.

Si l'on écarte dans le jugement par jury ce qui n'en forme que des accessoires et des modifications qui peuvent varier sans en changer le fond, les jurés d'Angleterre ne sont essentiellement que les jurés proposés par M. Duport.

Voici, en effet, à quoi se réduit essentiellement le mode du jugement par jurés en Angleterre Pierre forme une demande contre Paul, et pose le fait ou le titre de sa demande; Paul pose pour défense une dénégation du fait ou du titre; le juge fixe l'état de la question, ordonne au shérif de convoquer et former la liste du jury; le jury assemblé entend, en présence du juge du tribunal ou de l'assise, les preuves respectives et les plaidoyers

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