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les affaires judiciaires et de les terminer? Le jury, tel que je l'ai conçu, tel que je l'ai combiné, se prête à tous les besoins; il évite toutes les difficultés, tous les embarras. On ne peut pas lui opposer qu'il ne sera pas en état de juger les matières difficiles; car ce serait dire que personne ne pouvait juger sous l'ancien régime. Songez que ce sont les mêmes hommes qui continueront à juger sous le nom de jurés, et qu'il n'est pas possible de marquer autrement le passage de l'ancien au nouvel ordre judiciaire. Remarquez en même temps que quoique le service de la loi se fasse par les mêmes hommes, cependant l'avantage de ce changement se fera sentir dès le premier jour.

Tous les hommes de loi seront appelés à juger; d'où il suit que les décisions seront l'ouvrage, non pas seulement de ceux qui, instruits ou non, siégeaient en qualité de juge, mais de tous ceux des légistes que la confiance publique appellera à partager cette belle fonction. Ainsi, déjà il faut m'accorder que le corps d'un jury sera composé de membres plus véritablement instruits, plus en état de juger que ne l'était le tribunal lui-même. Cette certitude est la suite naturelle d'un choix fait sur la totalité des hommes de loi. Vous remarquez aussi qu'en introduisant dans les jurés d'autres membres que les légistes, quoique vous ne les appeliez d'abord qu'en petit nombre, vous ne laissez pas cependant que de produire un très-bon effet, par l'espèce de surveillance sur eux-mêmes que les étrangers accepteront de la part des anciens légistes. Ajoutez à ces considérations, que nul ne sera dans un jury que d'après le choix de l'homme du peuple ; je veux dire du procureur-syndic; et enfin que si, parmi les anciens praticicns ou juges, il en était dont on eût à se défier, lors même que vous supposeriez qu'ils ont passé par les divers cribles dont je viens de faire mention, ils se trouveraient encore arrêtés à la porte du jury, par la faculté de récusation accordée aux parties. Ainsi, nous devons déjà regarder comme une vérité démontrée, qu'un jury bien organisé est non-seulement praticable en ce mo ment pour les matières civiles, que non-seulement il est à l'abri de toutes les difficultés qu'on lui a opposées, mais encore que ce

changement aura dès aujourd'hui mille avantages sur les anciens tribunaux.

On vous a beaucoup dit, Messieurs, que l'état politique de la France, en ce moment, est tel qu'il y aurait du risque à hasarder la belle institution du jury en matière civile.

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L'état intérieur de la France, relativement à la justice, le voici 1° les justices seigneuriales sont abolies: et n'étant pas encore remplacées, on peut dire qu'il n'y a pas de justice primaire dans la presque totalité de la France: 2° les tribunaux royaux, d'une part s'attendent à leur destruction; de l'autre, les événemens ont suspendu ou ralenti leur exercice ; 3° les cours souveraines, vous connaissez leur position et leur conduite. Faites-y attention, Messieurs, il ne s'agit pas d'introduire plus ou moins de nouveautés dans une machine toute montée. La machine judiciaire n'existe plus, et pourtant la justice est le premier besoin des peuples: il est pressant d'y pourvoir; rien n'est plus urgent. Dans cet état de choses, vous convenez que les jurés seraient une belle institution, tant au civil qu'au criminel, et pourtant vous voulez les retarder, sous le prétexte que son établissement actuel occasionnerait une trop forte secousse. Je sais quelles impressions vives on doit faire sur les esprits en ce moment, toutes les fois qu'on prononce les mots de changement, d'innovations; et les préopinans se sont beaucoup servis de ce moyen pour jeter de la défaveur sur la cause du jury civil: mais il est permis de demander au moins le sens de ce qu'ils ont voulu dire.

Il est de fait que le système judiciaire est désorganisé en France. Il est de fait que les principaux ministres de l'ancienne justice passent pour n'être point les partisans de la révolution. Vous ne pouvez vous dispensér de reproduire un ordre quelconque de justice et de police dans le royaume. Ainsi, Messieurs, je vous supplie de faire attention à cette vérité ;'il ne s'agit pas de laisser à une machine actuellement montée la continuation de son jeu; il s'agit d'en former une, parce qu'il n'en existe point ou à peu près; il s'agit de la former ou sur l'ancien modèle, ou d'après une combinaison plus appropriée à votre nouvelle constitution.

Au milieu des grands changemens que cette opération suppose dans le régime entier de la justice, n'est-il pas étrange qu'on veuille vous faire considérer le jury au civil comme fait pour bouleverser la monarchie entière?

Nos adversaires veulent une nouvelle justice primaire dans les cantons; ils veulent un nouvel arrangement de tribunaux ou d'assises dans les districts et les départemens; à cette occasion ils veulent s'exposer aux réclamations multipliées qui vont arriver de toutes les villes de la France, pour avoir le tribunal du ressort; ils veulent substituer aux anciennes cours des moyens nouveaux quelconques; ils veulent l'institution du juré pour les procès criminels; c'est-à-dire, ils veulent tout changer, ils veulent très-véritablement un nouvel ordre judiciaire. Cependant les innovations leur paraissent peu de chose ; ils ne conçoivent des alarmes que pour le jury au civil; c'est le jury civil tout seul qui suppose un grand changement, et une secousse telle qu'on ne répond plus de rien, si on essaie de l'adopter pour ce moment.

J'ose croire que le juré dont j'ai donné l'organisation n'a rien d'impraticable pour le moment, pas plus au civil qu'au criminel; mais j'ajoute, pour ceux qui veulent les jurés au criminel, qu'il est certainement bizarre de craindre les embarras, les difficultés qu'entraînerait l'institution des jurés pour les procès civils : car vous ne pouvez pas monter un ordre de choses propre à vous donner des jurés au criminel, sans avoir tout ce qui vous serait nécessaire pour fournir les jurés au civil: soit que vous n'exigiez qu'un de ces deux jurés, soit que vous les adoptiez tous les deux, il vous faut, dans l'un et l'autre cas, un tableau d'éligibles, des règles pour appeler, pour assurer les membres du juré, des juges appropriés à cette nature de décision; en un mot, il vous faudra le même établissement que si vous adoptiez l'un et l'autre jurés. Permettez-moi donc cette comparaison: en refusant les jurés civils par les considérations des difficultés qui les accompagneraient, vous vous conduiriez comme un manufacturier qui, ayant, je suppose, mille pièces à vendre, se bornerait à en fournir cinq cents, par la crainte d'avoir à doubler son atelier,

quoique très-suffisant déjà pour la totalité de son débit. Cette comparaison est juste, si voulez bien vous rappeler que, quant à l'effet du jury civil, il est bon, il ne peut être que bon, si vous commencez par y admettre, comme je l'ai fait, les gens de loi.

Ainsi, Messieurs, je crois pouvoir dire qu'il reste démontré pour tout homme raisonnable, que tout ce qu'il y a à redouter de l'établissement d'un nouvel ordre judiciaire est commun et à ceux qui veulent et à ceux qui ne veulent pas le juré au civil. Je dis plus, que les embarras du nouveau régime judiciaire seront bien plus nombreux pour ceux qui veulent se borner au juré criminel; car, d'une part, il faudra qu'ils conservent les anciens tribunaux ; et de l'autre, qu'ils établissent un ordre nouveau, c'est-à-dire, qu'ils veulent vous procurer tout l'attirail, tout le fatras de l'ancien régime, et toutes les difficultés, en même temps qu'ils paraissent craindre du nouveau. S'il est bien vrai que nous soyons unis pour la liberté, nous devons l'être pour le jury civil comme pour le jury criminel; si, au contraire, nous ne sommes dignes de la liberté, convenons-en, l'un et l'autre jurés sont également prématurés. Je conclus, en adoptant l'établissement du jury organisé ainsi que je l'ai indiqué.

Les articles de Sieyès, relatifs à l'établissement des jurés, ont été lus dans la forme suivante :

Des jurys.

Toute cause d'instance, tant au civil qu'au criminel, portée soit aux assises, soit aux chambres d'un tribunal de département, ne pourra être jugée que par le ministère d'un jury.

Nul citoyen ne pourra être appelé à faire partie d'un jury, s'il n'est inscrit sur la liste des éligibles, qui sera formée pour ce genre de fonctions.

Ces éligibles pourront être distingués par le nom de conseillers de justice. Leur liste sera commencée par le corps électoral de chaque département, qui doit s'assembler au mois de mai prochain.

Ensuite les corps électoraux auront soin d'augmenter cette

liste, ou de la diminuer une fois par an, suivant les besoins du ressort, et les convenances de l'opinion publique.

Ces éligibles ou conseillers de justice seront pris parmi les citoyens actifs de toutes les assemblées primaires du département, de telle sorte qu'il y en ait un nombre plus que suffisant pour les besoins dans toutes les parties du ressort, mais surtout aux chefslieux des districts et du département.

Quant à présent, et jusqu'à ce que la France soit purgée des différentes coutumes qui la divisent, et qu'un nouveau Code complet et simple ait été promulgué pour tout le royaume, tous les citoyens connus aujourd'hui sous le nom de gens de loi, et actuellement employés en cette qualité, seront de droit, inscrits sur le tableau des éligibles pour les jurys.

Mais l'inscription des gens de loi, statuée par l'article précédent, ne doit pas empêcher, même pour cette année, celle des autres citoyens qui, recommandables par leurs lumières et leur sagesse, paraîtront aux électeurs propres à bien remplir les fonctions de conseillers de justice.

Lorsque les gens de loi, inscrits sur le tableau, seront appelés dans un jury, ils seront payés de leurs vacations, ainsi que l'étaient ci-devant les juges, aux dépens des plaideurs; et cette continuation de frais judiciels aura lieu jusqu'après l'établissement d'un nouveau Code civil.

L'élection des citoyens, autres que les gens de loi, pour le tableau des conseillers de justice, se fera dans les formes sui

vantes.

A l'assemblée électorale d'un département, les électeurs-députés du même district auront en commun le droit de présentation pour tous les éligibles de leur district; mais nul citoyen ne pourra être présenté par eux qu'après qu'ils en seront convenus aux deux tiers des voix.

Les noms des présentés seront tous rangés sur une liste, par ordre de numéros; cette liste sera exposée, au moins pendant deux fois vingt-quatre heures, dans la salle d'assemblée.

Au moment du scrutin, et tous les électeurs s'étant disposés

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