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tout le monde. Je pourrais vous donner des idées de ce plan; mais qui peut vous les donner mieux que M. l'abbé Sieyès luimême? En l'étudiant, ce plan, car il faut l'étudier, nous aurons une idée nette de l'ordre judiciaire et des jurés. Pour procéder avec ordre, je demande qu'avant de décréter un principe dont on ne connaît pas les conséquences, on examine un plan qui les fera connaître, celui de M. Sieyès. Je demande que lorsque ce plan sera connu, il obtienne la priorité sur tous les autres, et soit immédiatement soumis à la discussion. Je ne vous parle pas des inconvéniens qui résulteraient de l'admission du plan du comité; je dirai seulement que, par une conséquence de ce plan, l'homme qui deviendra juge deviendra mon maître. Je ne veux pas de maître, moi; je ne veux de maître que la loi. Encore une fois, Messieurs, ne travaillez pas sans méthode; adoptez un plan, et rappelez-vous que vous n'aurez absolument rien fait si vous manquez votre ordre judiciaire.

M. Rabaud de Saint-Étienne. Je dois prévenir l'assemblée que quatre membres de son comité de constitution se sont accordés à adopter le plan de l'abbé Sicyès, et à vous le présenter.

M. le Chapelier a été chargé de vous développer l'idée de ce plan, et je viens de faire écrire son nom dans la liste des orateurs qui doivent avoir la parole aujourd'hui.

M. d'André appuie fortement l'avis de M. Buzot, et est vivement applaudi comme l'avait été M. Buzot.

M. le Chapelier. Je parle non-seulement en mon nom personnel, mais encore au nom de quatre membres de votre comité de constitution, qui ont examiné et adopté le plan de M. l'abbé Sieyes sur l'établissement des jurés. Si j'énonçais mon opinion particulière, je dirais que la proposition qu'on vous a faite de décréter les principes est absolument inadmissible; j'ajouterais que le plan de M. Duport est impraticable, Je déclare cependant que mon avis est que l'établissement des jurés en matière civile est aussi pressant et non moins possible qu'en matière criminelle. J'ajoute que je ne puis adopter l'opinion de ceux qui veulent que le principe soit décrété, et que l'exécution du principe

soit retardée. Quoi! Messieurs, vous consacreriez dans un article que les jurés sont utiles en matière civile, et vous oseriez consacrer dans un article subséquent, que vous n'établissez pas dès à présent un ordre de choses dont vous reconnaissez dès à présent l'utilité! vous diriez nous voulons être libres, voilà un moyen sûr de le devenir, et cependant nous ne le serons pas encore; vous laisserez enfin aux législatures qui vous suivront, le soin de faire exécuter un principe que vous devez exécuter vous-mêmes. Mais, Messieurs, les législatures qui vous suivront seront-elles plus hardies, plus instruites que vous? Mais comment la justice sera-t-elle rendue, depuis la sanction du principe jusqu'à l'exécution du principe, par des tribunaux provisoires? Vous établirez des tribunaux provisoires qui seront proscrits par votre constitution aussitôt qu'ils seront établis par vous. Mais il serait bien inutile de supprimer, de rembourser toutes les charges de judicature existantes, si, en établissant ainsi de nouveaux impôts sur le peuple, vous ne le dédommagez par le bienfait de la jouissance des jurés. Et que penserait le peuple de cette conduite? Il vous verrait pouvoir faire le bien, il verrait que vous ne le voudriez pas; vos actions lui paraîtraient en contradiction avec vos principes; et que savez-vous, si dans l'incertitude où le jetterait votre démarche vacillante, il ne reprendrait pas la confiance qu'il vous a donnée? Je reviens au projet de M. Duport, et je soutiens qu'il est inexécutable. M. Duport commence par vous proposer l'établissement des jurés en matière criminelle et en matière civile; mais quels seront ces jurés? Des citoyens pris parmi des pairs pour séparer la question du fait d'avec celle du droit, et décider la question du fait. Je dis, moi, que la question du fait peut rarement, pour ne pas dire qu'elle ne le peut jamais, -être séparée de la question du droit; car qu'est-ce qu'un fait dans une affaire quelconque? Une convention, un contrat, un testament, etc. Pour juger s'il existe une convention, un contrat, etc., il faut savoir si cette convention, ce contrat sont valides : ainsi, la question du droit se trouve étroitement liée avec la question du fait. M. Chapelier développe longuement et clai

T. V.

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rement cette idée. Il en conclut que la première question pouvant être décidée par la vue seule de l'acte matériel, la seconde ne peut l'être que par le jurisconsulte. Sous ce rapport, dit-il, le plan de M. Duport est inexécutable; et je dirai, comme quelques-uns, que c'est un beau rêve, en supprimant l'épithète. Le plan de M. l'abbé Sieyès ne présente aucune de ces difficultés : les jurés seront pris, selon lui, parmi les hommes de loi; ils décideront la contestation, sans séparer la question. du fait de celle du droit; et, sans m'appesantir sur ce système que je crois le meilleur, je demande que, par questions préliminaires, on décide ce que seront les jurés qu'on admettra, avant de décider si l'on admettra des jurés.

M. l'abbé Sieyes monte à la tribune, il est vivement applaudi par la grande majorité de l'assemblée.

Je ne me présente point, Messieurs, pour soutenir ou pour développer le plan que j'ai fait imprimer, et qui vous a été distribué. Un plan est un ensemble; vous nous avez interdit de vous en présenter aucun, du moment que vous avez obligé les opinans à ne donner leur avis que sur la question partielle : établira-t-on, n'établira-t-on pas des jurés?

Je ne sortirai point de cet état de question, et même je crois qu'au point où en est dans cet instant la discussion, on peut la resserrer encore. Tout le monde pourrait être d'accord sur l'adoption des jurés en matière criminelle; il serait superflu de continuer à en montrer la nécessité. Il ne s'agit plus que de savoir si l'on étendra cette institution aux procès en matière civile. Cette question peut même se réduire à un point plus précis. Je ne crois pas me tromper, la grande majorité de l'assemblée convient assez que les jurés doivent être établis en matière civile, si ce n'est en ce moment, au moins dans un autre temps. On trouve l'institution bonne en elle-même; on veut seulement la reculer à une époque plus favorable. Il suffira donc que je dirige ce que j'ai à dire sur la question ainsi réduite à ses derniers termes : l'institution des jurés en matière civile est-elle bonne, est-elle praticable en

ce moment?

Les difficultés que l'on oppose à l'établissement des jurés en matière civile, sont tirées de l'état actuel de nos lois et de notre procédure, ou des circonstances dans lesquelles nous nous trou

vons.

Je conviens que nos lois sont compliquées, que l'étude des différentes coutumes multiplie infiniment les difficultés pour tous ceux qui veulent acquérir des connaissances en ce genre, que notre procédure est longue et embarrassée. Tous ces inconvéniens sont un mal de plus, qui sollicite plus puissamment encore l'établissement d'une législation simple, claire et uniforme. Mais je conviens de la réalité du mal, et je sens très-bien que pour ceux qui ne se représentent l'institution des jurés en matière civile que comme un simple déplacement d'hommes, c'est-à-dire, comme l'art de substituer aux hommes de lois, des citoyens étrangers à ce genre d'étude, souvent même grossiers et ignorans; ję sens, dis-je, qu'un tel changement ne se présente qu'hérissé de mille et mille difficultés. Mais qu'il me soit permis de le dire, ceux qui aperçoivent sous ce point de vue l'établissement des jurés civils, sont entièrement hors de la question ; et ici vous sentez déjà l'inconvénient de se servir d'un mot susceptible de plusieurs sens, sans être convenu d'avance de celui qu'il faut y attacher : car ne doutez pas, Messieurs, que dans cette discussion la plupart des difficultés, que les opinans s'opposent à l'envi, ne viennent de ce que chacun attache à ce mot des idées particulières.

J'entends par jurés un corps de citoyens choisis, et appelés de manière qu'il est toujours propre à décider avec connaissance et intégrité, snr toutes les questions qu'il importe de résoudre, pour appliquer la loi. Si nous pouvions nous transporter tout à coup à l'époque plus ou moins éloignée où les lois seront à la portée de ceux qui doivent les observer, seront plus en état de les connaître, vous m'accorderiez, sans doute, non pas seulement que les jurés seront très-propres à décider les questions judiciaires, mais encore qu'ils vaudront bien mieux pour cette fonction que les juges eux-mêmes. En effet, placez-vous au moment où un citoyen commettra un délit, soit contre la propriété, soit

contre la liberté, c'est-à-dire, au moment où il manque à la loi, n'est-il pas clair que les hommes les plus propres à connaître la loi qu'il enfreint en ce moment sont ses pairs, c'est-à-dire, ceux qui se rapprochent de sa position par une similitude de devoirs et de relations? Ainsi, celui qui manquera à la loi militaire, sera jugé en connaissance de cause par ceux qui, placés dans la même position, doivent être instruits des devoirs qu'elle impose. Ainsi, un cultivateur, un manufacturier, un commerçant, connaissent, outre les lois générales qui frappent à la fois sur tous les citoyens, celles qui sont particulières à leurs professions; et voilà pourquoi un jury doit être composé, autant qu'il est possible, des pairs de l'accusé ou des plaideurs. Il faut, relativement aux lois générales, que tout citoyen puisse dire, dans un cas donné : A la place de l'accusé, je ne me serais pas conduit de même; il a mal fait, il est coupable. De même pour les lois qui frappent sur des professions particulières, il faut que ceux qui se trouvent particulièrement appelés à les observer, et par conséquent à les connaître, puissent dire: A la place de cet homme, j'aurais fait autrement; il a manqué à la loi, il est dans le cas de la peine. Vous sentez, Messieurs, quelque idée qu'on veuille se former d'une loi en particulier, puisqu'elle est destinée à être exécutée, il faut qu'elle soit connue au moins par ses véritables exécuteurs ou observateurs, c'est-à-dire, par les citoyens que cette loi regarde spécialement; sans quoi l'on pourrait soutenir qu'il n'y a pas d'infraction à la loi, et que les délits dénoncés ne sont pas imputables.

Mais c'est trop parler d'une autre époque que celle où nous vivons. Il faut songer à passer de l'état actuel à celui que nous ambitionnons tous d'atteindre. Il est sûr que les lois ne sont pas en ce moment à la portée de ceux même qu'elles regardent le plus. Que s'ensuit-il? Que le juré d'aujourd'hui ne doit pas être composé des mêmes hommes qui le formeront au temps d'un meilleur ordre de choses.

Mais qu'est-ce qui empêche de le composer momentanément des mêmes hommes qui sont aujourd'hui en possession de suivre

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