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qu'il avait perdue depuis plusieurs mois. Le moment le plus favorable pour cette belle institution était venu. Vous, différez: qui vous a dit que ce moment reviendra? Et si vous n'êtes pas sûrs de son retour, de quel droit hasarderez-vous le bonheur du peuple?

M. Desmeuniers. L'institution des jurés, en matière criminelle, est le fondement le plus solide de la liberté politique et de la liberté individuelle: il est de votre devoir de consacrer cette institution dans la constitution. Cette consécration peut se faire sans aucuns dangers; et s'il y avait des dangers, il le faudrait encore. Mais l'établissement des jurés, au civil, ne tient point à la constitution. Je n'examinerai pas s'il est praticable. Tout le monde convient qu'il faudrait réformer les lois civiles, les habitudes et les mœurs des hommes. L'assemblée n'est plus divisée que sur ce point: faut-il, dès à présent, décréter constitutionnellement l'établissement des jurés en matière civile? On a demandé ce que c'est qu'un juré. J'observe d'abord que le principe n'est pas le même en matière civile qu'en matière criminelle. Le premier principe, en matière criminelle, est qu'il vaut mieux laisser échapper dix coupables que de punir un innocent; le second, que le coupable doit être condamné de la manière la plus claire possible. En Angleterre il y a deux jurés: le grand et le petit juré. La loi ordonne, quand il y a un délit, que l'accusé soit conduit à l'officier de justice qui, dans l'espace de six heures, lui donne la copie de la plainte ou de l'accusation. On appelle alors vingt-quatre grands jurés, qui sont des francs-tenanciers payant une certaine imposition: douze suffisent pour juger s'il y a lieu à l'emprisonnement. Ici commence le petit juré, qui est le seul dont on ait parlé dans cette assemblée. Le schérif, officier du roi, fait la liste des citoyens qui composeront le petit juré: si cette liste est mauvaise, le greffier en fait une autre; si celle-ci est mauvaise encore, le commis-greffier en fait une nouvelle.

Deux jours avant le jugement, l'accusé peut, sur une liste de quarante-huit jurés, en récuser trente-six: ainsi le petit juré se trouve composé de douze personnes qui ne peuvent juger qu'à l'u

nanimité. Vous aurez besoin d'une liste plus nombreuse, parce qu'il faudra accorder une récusation plus étendue; parce que vous ne pouvez exiger l'unanimité, mais tout au plus les cinq sixièmes des voix. - Dans la procédure par jurés, tout est verbal à l'instant du jugement. Il n'y a pas d'appel, il ne peut y en avoir. Ainsi, en décrétant l'établissement des jurés, vous pourriez être embarrassés, ayant préjugé bien des questions, celles de l'appel, de l'ambulance des juges, des assises, etc. Il y a en Angleterre des tribunaux plus multipliés encore qu'en France; ainsi donc l'institution des jurés en matière civile, n'exige pas qu'on détruise tout. Parmi les tribunaux anglais, le banc du roi est composé de quatre juges, l'un desquels est milord Mansfield, le plus grand publiciste de l'Angleterre. Ce tribunal a le droit d'évoquer toutes les affaires. On ne marche, en Angleterre, comme chez les Romains, que par formules; le banc du roi a le droit de faire des formules, il a le droit d'annuler et de faire recommencer le verdict. Il est pour ainsi dire le remède de la loi; il est le remède des inconvéniens et des abus. Vous n'aurez pas ce remède. Je ne sais comment les préopinans ont pu croire qu'en matière civile l'institution par jurés devait influer sur la liberté et sur la constitution. Il est une autre méthode de juger séparément le fait et le droit en matière civile: M. Thouret vous l'a indiquée. On s'effraie des tribunaux permanens; mais les tribunaux de la constitution seront-ils semblables à ceux que vous détruisez, que vous devez détruire? —- Je parlerai aussi de notre situation politique, puisqu'on vous en a occupés. Il s'est présenté devant vous quatre grandes opérations. Premièrement, la division du royaume, qui seule assurerait la gloire de l'assemblée nationale. Eh bien ! que de difficultés, que d'obstacles se sont présentés! Cette division n'est pas encore consommée, puisqu'il y reste encore des difficultés à résoudre. Secondement, vous avez décrété quarante-huit mille municipalités: vous savez comment les élections ont été faites; vous savez qu'elles occasionnent une extrême agitation jusque dans le dernier village. Troisièmement, les administrations de district et de département ne sont pas encore formées. Qua

trièmement, les finances vous ouvrent une carrière immense dans laquelle vous êtes à peine entrés.... Ainsi, combien de précautions sont nécessaires dans notre situation! Ne faut-il pas renoncér aux théories d'autant plus dangereuses qu'elles intéressent le cœur? Je rappellerai cette pensée de Solon, qu'il ne faut pas chercher les meilleures institutions, mais les moins mauvaises possibles, et qu'on doit renoncer à une perfection chimérique.... -Je conclus à ce que l'institution des jurés en matière criminelle soit décrétée, sauf aux législatures à la décréter en matière civile, si elles la trouvent praticable.

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M. Roederer. Le principe qui sollicite l'établissement des jurés est absolument le même que celui qui veut que la puissance de faire des lois soit toujours aux mains du peuple seul, et qu'au peuple seul appartienne la liberté nationale. Le pouvoir d'appliquer les lois est, dans toutes les circonstances, le pouvoir d'abuser des lois. Il ne doit donc pas être tiré des mains du peuple; il ne peut être permis à une classe d'hommes de défaire chaque jour, par leurs jugemens, ce que les législateurs ont fait par leurs décrets. Il faut donc qu'ainsi que les législateurs représentent le peuple, le peuple ait ses représentans pour juges. Comment peut-on organiser les tribunaux où la justice sera rendue par des pairs ou jurés? On vient de vous dire ce qu'ils sont en Angleterre en matière criminelle : on aurait dû donner des notions générales. Les jurés sont partout les représentans du peuple; ils sont souvent nommés par le peuple et toujours pris dans toutes les classes. Comment les jurés seront-ils rassemblés? (Voyez ci-après le plan de M. l'abbé Sieyès, page 200). Le tribunal formé, il juge, et l'acte de la justice est consommé; mais, et c'est la grande objection des contradicteurs du juré au civil, comment réunir assez d'hommes instruits et capables? Les lois, en principe général, étant censées l'ouvrage du peuple, seront censées connues du peuple. Tous les citoyens sont obligés d'obéir aux lois, donc ils doivent connaître les lois. Je ne crains pas d'avancer chose qui paraît un paradoxe : il est indifférent de vivre dans un pays où tout le monde connaît les lois, ou dans un

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pays où personne ne les connaît.... J'ai exercé des fonctions de magistrature, et je demande à tous ceux qui, comme moi, avaient trouvé leur instruction dans les provisions de leur office, je leur demande si ce ne sont pas les avocats qui nous apportent la nourriture de chaque jour. Ce sont eux qui, s'étant partagés les différentes branches de la jurisprudence, que le juge sans eux serait obligé de posséder toutes, ce sont eux qui nous fournissent les connaissances dont nous avons besoin pour juger. Les rapports sont pour la plupart préparés par les avocats, et il est trop vrai de dire que ce sont les roues d'acier qui font aller les aiguilles d'or. Ainsi, les juges pour les neuf dixièmes des affaires, sont des jurés, et jugent comme le feraient les jurés peu instruits, sur des lumières qui ne sont point à eux, mais qu'ils ont recueillies. On objectera la difficulté de connaître la procédure et les formes. Eh bien! le système qui nous propose des jurés, vous offre ce qui est nécessaire pour répondre à cette objection. Les tribunaux ne seront pas seulement composés de jurés, mais il y aura un magistrat conservateur des formes, et qui en connaîtra 'a triture. Je me réfère entièrement au projet de M. l'abbé Sieyès pour l'établissement des jurés en matière criminelle et en matière civile, non-seulement sur le fait, mais encore sur le droit.

On vous a dit que la liberté n'avait désormais rien à craindre des tribunaux ; mais on a confondu la tyrannie des tribunaux et celle des magistrats, Celle, des tribunaux est impossible, j'en conviens; celle des magistrats est toujours terrible. Un citoyen qui, arbitre de la vie d'un autre citoyen, ne rentre pas assez souvent dans la société, peut exercer une domination funeste, contraire à l'égalité et à la constitution. — Je conclus à ce qu'on entende plusieurs membres du comité de constitution, qui adoptent le plan que M. l'abbé Sieyès a fait imprimer et distribuer.]

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SÉANCE DU JEUDI 8 AVRIL

[M. Gossin. La question est de savoir si les jurés seront établis tant en matière civile qu'en matière criminelle. Je réponds

que cette institution est bonne et précieuse; j'ajoute qu'elle n'est possible en ce moment que sous un seul rapport. Pour que l'établissement des jurés ait l'effet que vous devez attendre de lui, il faut qu'il se soit répandu une grande masse d'esprit public; çar, sans esprit public, point de jurés. Nous ne sommes point encore assez avancés pour pouvoir espérer que tous les citoyens actifs seront propres à remplir les devoirs de jurés : je conclus donc à ce qu'il n'en soit établi qu'en matière criminelle.

M. Gossin développe ensuite les raisons de son opinion: elles seront aisément devinées, parce qu'elles ont été souvent énoncées. Il propose à l'assemblée nationale de décréter que les jugemens des jurés en matière criminelle seront établis dès à présent, et que la question relative à l'établissement des jurés en matière civile est définitivement ajournée.

N...... pense qu'il faut renvoyer au comité de constitution la question de régler les pouvoirs des jurés en matière criminelle, et renvoyer ensuite aux législatures suivantes l'établissement des jurés en matière civile.

M. Buzot. Je crois qu'il est nécessaire d'établir des jurés, tant au civil qu'au criminel. Je crois que sans l'établissement des jurés, point de justice et point de liberté. Mon opinion n'est peut-être pas celle de toute l'assemblée, et je ne dois en accuser que les orateurs qui ont parlé sur cette question, et qui tous ont défini d'une manière différente la signification du mot juré. Mais de quelle espèce de jurés voulez-vous parler? quelles sont les idées que vous attachez à ce mot? Si vous parlez des jurés tels qu'ils sont en Angleterre, je n'en adopte ni au civil ni au criminel. Si au contraire vous voulez vous faire une idée exacte de cet établissement, peut-être serons-nous d'accord ensemble; car, encore une fois, dans mon opinion, point de justice sans jurés.

M. Thouret a pensé, avec quelques autres membres de cette assemblée, qu'il ne fallait point établir de jurés en matière civile. M. l'abbé Sieyès, dont tout le monde connaît la profondeur des idées, a pensé le contraire dans un plan qui n'est pas connu de

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