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eivils. Les citoyens qui se sont consacrés dès l'enfance et qui ont passé toute leur vie à étudier les intérêts des hommes, craignent encore de n'être pas justes; et des jurés, tout neufs pour les affaires, croiraient pouvoir juger des contestations difficiles sans autre règle que le bon sens!...

L'établissement des jurés est, dit-on, une base de la constitution: eh bien! reconnaissez cette base, vous le pouvez sans inconvénient, en vous y prenant ainsi. Voici la première question : Y aura-t-il des jurés? Décrétez l'affirmative; le principe constitutionnel sera établi. Voici la seconde question: Etablira-t-on des jurés tant en matière civile qu'en matière criminelle? Décrétez qu'il sera, quant à présent, établi des jurés en matière criminelle seulement, et dans les cas indiqués par M. Thouret. • On applaudit; on demande à aller aux voix.

Plusieurs personnes montent à la tribune. Les applaudissemens se prolongent.

M. Charles de Lameth y paraît. - De nouveaux applaudissemens étouffent sa voix. Vous devez m'entendre, s'écrie-t-il, quand il s'agit de l'intérêt du peuple.... Vous allez déshonorer l'assemblée nationale.

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M. de Montlausier demande que M. de Lameth soit entendu. M. Charles de Lameth. Je ne demande la parole que sur la manière de poser la question. J'observe cependant que la défaveur avec laquelle on accueille à la tribune un membre de l'assemblée nationale, qui peut se glorifier de n'avoir jamais porté un intérêt particulier.... Lá rumeur qui s'élève presque généralement en ce moment, est une preuve qu'on sacrifie l'intérêt public à quelque intérêt particulier....

M. de Lameth est interrompu par des applaudissemens et par des murmures.

M. de la Chèze s'oppose à ce qu'il soit entendu, et demande qu'on consulte l'assemblée à ce sujet.

L'assemblée décide qu'on entendra M. de Lameth.

M. Charles de Lameth. J'ai l'honneur d'observer à l'assemblée qu'à mesure qu'elle avance dans ses travaux, tous ses rapports

politiques et moraux changent. J'ai l'honneur de l'avertir, dût cet avertissement être reçu avec peu de faveur, qu'elle se trouve au moment où elle va donner la mesure de ses lumières, de son patriotisme et de sa vertu, sans laquelle il n'y a point de constitution, sans laquelle l'État est perdu sans ressource. Je me suis, dès le premier jour, déclaré ennemi de toute aristocratie. Je m'explique ; j'entends par aristocratie le désir de dominer; désir contraire à l'égalité politique qui se trouve dans les Etats despotiques, où les hommes sont égaux, parce qu'ils ne sont rien, et qui est la base de notre constitution, dans laquelle les hommes sont égaux, parce qu'ils sont tout...... Je faisais autrefois partie d'un ordre qui avait quelques avantages aristocratiques; j'ai renoncé à ces avantages; je me suis fait ainsi des ennemis de gens que j'estimais beaucoup, et je cours risque dans ce moment d'en trouver encore parmi ceux que j'avais pour amis. Je ne puis que m'étonner de l'empressement extraordinaire qu'on met à étrangler la discussion sur le juré, malgré les avantages reconnus de cette institution pour l'intérêt du peuple. Je retrouve ici une précipitation, présage toujours fâcheux pour la liberté. M. Thouret, dont les opinions et la personne sont en grande recommandation parmi nous, M. Thouret a dit qu'on pourrait toujours, dans la suite, établir les jurés au civil: cela ne détruit point l'opinion de M. Barnave. Il est impossible de juger légitimement, même au civil, sans jurés : c'est comme si on disait au peuple : nous voulons bien vous laisser le droit de défendre votre vie, mais votre fortune est une branche de commerce que les villes ne veulent pas laisser aux campagnes. Si l'on m'entend, je dis que c'est un forfait de fermer une discussion d'où doit sortir la nécessité d'une institution qui est un grand bienfait pour le peuple.... Si nous devons être opprimés par les juges qui remplaceront ceux qui nous opprimaient, ce n'est pas la peine de détruire des corps dont la destruction coûtera 500,000,000 à l'Etat, des corps qui, après tout, ont rendu de grands services; ce n'est, dis-je, pas la peine de les détruire, si vous voulez établir des tribunaux qui, dans vingt ans, seraient plus vicieux qu'eux.

Si une idée aussi funeste pouvait séduire la majorité de cette assemblée, j'inviterais ceux qui tiennent encore aux souvenirs de l'aristocratie, ceux qui perdent à la destruction de la magistrature, je les inviterais à une pieuse, à une sainte récrimination. MM. le comte de Mirabeau et Thouret vous ont parlé de l'empire des circonstances. Et depuis quand l'assemblée nationale capitulet-elle avec les circonstances, sans qu'elle les maîtrise toutes? Je demande à M. de Mirabeau, à tous les députés, qu'on appelait députés des communes, quand il n'y en avait pas d'autres, si, dans le moment où l'assemblée était entourée de 30,000 soldats étrangers, elle a capitulé avec la circonstance. Je demande si, pour détruire les ordres, pour limiter les pouvoirs, on a attendu les circonstances, et si, depuis le temps que l'assemblée triomphe des circonstances, elle a acquis ce droit de s'en autoriser. On a parlé de l'opinion publique : elle nous soutient; c est elle que j'invoque ; c'est elle qui vous commande de discuter avec maturité, avec précaution. L'opinion publique se forme de ce qu'il y a d'utile pour les peuples. L'opinion de la capitale influe sur les provinces; elle s'est déjà manifestée; elle ne cessera jamais d'être favorable à l'établissement des jurés en toute matière. Si cela n'était pas, il faudrait éclairer l'opinion; il faudrait la régir pour lui rendre les bienfaits que nous tenons d'elle. On a voulu vous effrayer en parlant des intérêts particuliers que froisserait une institution salutaire : l'assemblée peut-elle à présent craindre des ennemis qu'elle a si long-temps méprisés. Je pourrais ajouter d'autres considérations; mais j'ai dit ce que ma conscience me commandait impérieusement de dire. Que pouvez-vous craindre des aristocraties dont on vous menace de l'aristocratie des villes, de celle des avocats, de toutes les aristocraties subalternes?...Je supplie, au nom de la patrie, de ne pas précipiter une importante discussion, afin que du moins on prouve l'impossibilité de cette ¡nstitution avant de l'abandonner. Si l'on ne veut pas discuter,qu'on décrète toujours le principe; sauf à l'exécuter quand on pourra.

On demande que la discussion soit fermée. L'assemblée décide qu'elle sera continuée.

M. Perrot. Mais avant de discuter, qu'on définisse donc ce

que c'est que des jurés!

M. de Robespierre. D'après tout ce qui a été dit, il semble que, pour fixer l'opinion, il suffit de répondre à la question du préopinant, en définissant l'essence et en déterminant le principal caractère de la procédure par jurés. Supposez donc à la place de ces tribunaux permanens auxquels nous sommes accoutumés, et qui prononcent à la fois sur le fait et sur le droit, des citoyens jugeant le fait, et des juges appliquant ensuite la loi. D'après cette seule définition, on saisira aisément la grande différence qui se trouve entre les jurés et les différentes institutions qu'on voudrait vous proposer. Les juges des tribunaux permanens, investis pour un temps du pouvoir terrible de juger, adopteront nécessairement un esprit de corps d'autant plus redoutable que, s'alliant avec l'orgueil, il devient le despotisme. Il est trop souvent impossible d'obtenir justice contre des magistrats, en les attaquant, soit comme citoyens, soit comme juges. Quand ma fortune dépendra d'un juré, je me rassurerai en pensant qu'il rentrera dans la société. Je ne craindrai plus le juge qui, réduit à appliquer la loi, ne pourra jamais s'écarter de la loi. Je regarde donc comme point incontestable, que les jurés sont la base la plus essentielle de la liberté; sans cette institution, je ne puis croire que je sois libre, quelque belle que soit votre constitution. Tous les opinans adoptent l'établissement des jurés au criminel. Eh! quelle différence peut-on trouver entre les deux parties distinctes de notre procédure? Dans l'une il s'agit de l'honneur et de la vie; dans l'autre, de l'honneur et de la fortune. Si l'ordre judiciaire au criminel, sans jurés, est insuffisant pour garantir ma vie et mon honneur, il l'est également au civil; et je réclame les jurés pour mon honneur et pour ma fortune. On dit que cette institution au civil est impossible. Des hommes qui veulent ètre libres, et qui en ont senti le besoin, sont capables de surmonter toutes les difficultés ; et s'il est une preuve de la possibilité d'exécuter l'institution qu'on attaque, je la trouve dans cette observation, que beaucoup d'hommes instruits ont parlé dans cette af

faire, sans présenter une objection soutenable. Peut-on prouver qu'il est impossible de faire ce que l'on fait ailleurs, qu'il est impossible de trouver des juges assez éclairés pour juger des faits? Mais partout, malgré la complication de nos lois, malgré tous nos commentaires, les faits sont toujours des faits; toute question de fait sur une vente se réduira toujours à ce point: La vente a-t-elle été faite? (Il s'élève quelques murmures: on interrompt l'orateur.) J'éprouve en ce moment même que l'on confond encore le fait et le droit. Quelle est la nature de la vente? voilà ce qui appartient à la loi et aux juges. N'avez-vous pas vendu? Cette question appartient aux jurés.... Quoi! vous voulez donc que le bon sens, que la raison soient exclusivement affectés aux hommes qui portent une certaine robe?.... On a dit que notre situation politique ne permet pas l'établissement des jurés. Quelle est donc notre situation politique? Les Français, timides esclaves du despotisme, sont changés, par la révolution, en un peuple libre, qui ne connaît pas d'obstacles quand il s'agit d'assurer la liberté. Nous sommes au moment où toutes les vérités peuvent paraître, où toutes seront accueillies par le patriotisme. On dit que nous ne connaissons pas les jurés : j'en atteste tous les gens éclairés. La plupart des citoyens connaissent les jurés et en désirent l'établissement. On veut vous faire redouter les obstacles des gens de loi; c'est une injure qui leur est faite. Ceux qui n'ont porté au barreau que le désir d'être utiles à leurs concitoyens, saisiront avec enthousiasme l'occasion de sacrifier leur état si l'utilité publique l'exige.... Suffit-il donc de se borner à opposer des convenances aux principes? Rappelez-vous ce que vous avez fait; souvenez-vous que quand vous avez changé ce mot servile et gothique Etats-Généraux, en cette expression Assemblée nationale; qui a consacré tout à la fois vos droits et les principes les plus sacrés de la constitution, les mêmes convenances ont été apposées par les mêmes personnes. Je conclus et je dis que, différer jusqu'à 1792 l'établissement des jurés au civil, c'est peut-être y renoncer pour toujours ; c'est aider à la renaissance de cet esprit aristocratique qui se montre chaque jour avec cette assurance

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