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en tire des raisonnemens et des considérations qu'il s'approprie, sans indiquer la source où il les a puisées.

Nous aurons des lois nouvelles! Vous venez d'en faire deux très-récentes: l'une pour les municipalités, l'autre pour les corps administratifs. Voyez quelle foule immense de questions elles occasionnent sur leurs dispositions même les plus claires! Quand le corps entier de la législation sera refondu ne croyez-vous pas qu'il s'élevera mille incertitudes, et que ce sera par les lois, les usages, la jurisprudence ancienne que beaucoup de plaideurs voudront faire juger ce qui paraîtra douteux dans le nouveau code et ce qu'il n'aura pas décidé? Vous regardez donc, me dirat-on, la diminution et l'abréviation des procès comme impossibles. Je n'ai pas cette idée affligeante; mais je suis convaincu qu'un si grand bien ne sera pas l'effet immédiat de la refonte des lois, qui n'est pas elle-même un événement prochain. Lorsqu'une meilleure législation d'abord, ensuite le bienfait d'une éducation nationale, et des progrès de l'esprit public, auront éclairé le peuple, changé ses mœurs et assaini ses idées, c'est alors seulement qu'on pourra voir disparaître les scandales judiciaires qui tiennent autant au défaut de mœurs publiques qu'aux vices de nos lois.

Je conclus qu'il ne serait pas sage d'organiser en ce moment l'ordre judiciaire d'après l'état moral hypothétique auquel il faut espérer que la nation parviendra un jour; mais qu'il faut se conformer à l'état actuel de la législation, aux mœurs et au caractère présent du peuple.

La situation politique de la nation dans le moment actuel est une seconde considération qui mérite d'être pesée avec exactitude. Pendant qu'un peuple travaille à sa constitution, tous les ressorts de l'ordre public sont dérangés, et il faut que la révolution qui produit un si grand mouvement soit marquée à des caractères de justice et d'intérêt public bien frappans pour que tous les malheurs de l'anarchie ne s'établissent pas entre la destruction des anciens pouvoirs et la création des nouveaux. C'est par là que la régénération qui s'opère en France sera éternellement mémo

rable. Mais n'oublions pas qu'il faut pour son succès qu'au moment où la constitution va paraître, toutes les parties de la machine politique soient remises non-seulement en place, mais encore en activité. Or, la véritable et utile activité du pouvoir judiciaire, le plus important de tous pour l'entier (rétablissement de l'ordre, ne naîtra pas de cela seul que ce pouvoir sera organisé par des décrets; elle dépend absolument de ce que le mode de l'organisation accueilli par la confiance publique et rendu efficace dès les premiers momens de son exécution, rétablisse dans l'opinion le respect pour les juges et la soumission aux jugemens : sans cela il n'y aura qu'un vain simulacre de justice et une stagnation absolue dans son exercice, au moment où il devient plus intéressant d'accélérer son action et d'accroître sa force. N'oublions pas encore combien, dans un temps de fermentation et au milieu des mécontentemens individuels, la prudence oblige d'être réservés dans les changemens qui pourraient, en grossissant le parti de l'opposition, augmenter l'indisposition des esprits, et par elles les forces de résistance.

Ces secondes considérations, sans être aussi absolument décisives que celle qui les a précédées, ne pourraient pas sans doute détourner de faire dans l'ordre de la justice les changemens qui y sont nécessaires pour compléter et affermir la constitution; mais elles conduisent du moins à examiner si, dans les circonstances actuelles, il serait prudent d'aller au-delà de ce qui est indispensable et suffisant, et si l'excès ou la précipitation du bien ne pourrait pas produire un grand mal.

J'en ajoute une troisième, relative à ce qu'il faut espérer ou craindre de l'opinion publique. Dans tous les temps, elle s'est montrée infiniment active et inquiète sur la matière que nous traitons; le très-grand nombre des citoyens dans les provinces prend infiniment moins d'intérêt à la manière dont la chose publique est administrée qu'à celle dont les individus sont jugés. La raison en est simplé en France les particuliers, ayant toujours été écartés de l'administration, en connaissaient peu la théorie; et comme ils n'en ressentaient la malfaisance que par des effets généraux et

secondaires dont ils ne démêlaient pas même clairement les causes, ils y étaient individuellement assez indifférens. Le service de la justice distributive au contraire a toujours fixé leur attention, parce que ce besoin est plus près d'eux, parce que les occasions qui le font sentir sont plus fréquentes, parce que chaque individu l'éprouve à son tour et s'y trouve directement intéressé pour sa fortune, pour son honneur, pour sa vie, c'est-à-dire pour ce que l'homme a de plus cher et de plus précieux. Il y a donc mille fois moins d'inconvéniens du côté de l'opinion et des affections publiques à hasarder de grands changemens dans l'ordre administratif que dans le régime judiciaire; il n'est jamais permis de tenter dans celui-ci des essais dont la réussite soit problématique : il faut avant de s'y exposer consulter avec soin les convenances, les habitudes, les mœurs et les lois de la nation, parce que toute organisation judiciaire qui n'a pas ces bases pour appui ne peut ni s'établir avec faveur, ni subsister avec confiance.

Ces réflexions générales, mais essentielles, montrent quelle disposition d'esprit il faut apporter au traitement des importantes questions que vous vous êtes prescrit d'examiner. Si ces réflexions sont aussi vraies qu'elles me le paraissent, elles établissent que ce n'est pas à ce que la théorie peut offrir de plus attrayant, mais à ce que la raison peut avouer comme suffisamment bon, et à ce que les circonstances indiquent de plus convenable, qu'il faut donner la préférence.

Je passe maintenant à l'examen du degré d'intérêt que dans notre constitution actuelle nous devons attacher au juré, soit sous le rapport de notre liberté politique, soit pour un plus grand avantage de la justice distributive, soit pour le maintien de la liberté individuelle, soit pour la séparation du droit et du fait dans les jugemens.

I. C'est sous le rapport politique que les Anglais se louent principalement de leur méthode de jugement par jurés; ils la regardent dans leur constitution comme un des principaux boulevards de leur liberté. Mais remarquez, Messieurs, qu'en Angleterre e’est le roi seul qui nomme les juges, et que dans les comtés il n'y a

pas de corps administratifs élus par le peuple. Quelle puissance l'autorité royale n'aurait-elle pas acquise contre la liberté publique, si, faute de l'institution des jurés, le pouvoir judiciaire, remis à la disposition des officiers du roi, eût été livré totalement à l'influence de la couronne! Quel contrepoids aurait balancé cette influence lorsqu'aucuns administrateurs choisis par la nation ne veillent pour dénoncer les entreprises locales qui peuvent attaquer la constitution! Les Anglais ont craint avec raison la partialité du juge envers son protecteur dans les contestations entre la couronne et le sujet : cette expression est d'un de leurs publicistes: ils ont craint encore qu'en général le juge ne prit des dispositions trop favorables à l'autorité dont la sienne dérive. Ces motifs, qui rendent le juré particulièrement précieux aux Anglais comme institution politique, sont aussi ceux qui, sous le même rapport, lui donnent un bien moindre intérêt pour nous; pour nous qui élirons nos juges et qui aurons dans toutes nos administrations de département et de district des sentinelles incorruptibles que nous élirons aussi. En général les éloges donnés par une nation aux établissemens qu'elle possède en prouvent moins la bonté réelle et absolue que leur avantage simplement relatif à l'état particulier de cette nation. Le peu que je viens de dire démontre combien la haute opinion que les Anglais ont de l'utilité politique du juré, opinion très-juste relativement à leur constitution, perd de son importance et cesse d'être décisive lorsqu'on l'applique à la nôtre, parce que leurs motifs particuliers n'existent pas pour nous, et qu'ils n'ont pas ceux qui peuvent nous déterminer.

II. L'avantage du juré pour la bonne distribution de la justice privée, c'est-à-dire pour l'équité des jugemens dans les causes des particuliers, est un second rapport sous lequel cette institution doit être examinée. En spéculation le calcul des probabilités élève un grand nombre de préjugés en sa faveur; mais cherchons les résultats de fait et les produits de l'expérience dans les pays où cette méthode est en pratique. Ceux qui ont observé de près en Angleterre les effets du régime judiciaire n'y ont pas trouvé en réalité cette excellence préconisée par quelques écrivains de

cette nation. Parmi les publicistes anglais, il en est même qui conviennent franchement des vices naturels du juré et de l'injustice qui en dérive dans les jugemens : ils mettent au nombre de ces vices principaux l'ignorance, l'inexpérience, le défaut de ce tact formé par l'habitude des affaires qui produit seul la clairvoyance et la sûreté dans les décisions judiciaires; ils y mettent surtout la propension presque invincible du juré à partager les affections et les inspirations populaires. William Palley loue comme un Anglais le systême qui unit dans son pays la judicature permanente des officiers de justice à la judicature éventuelle des jurés ; mais, en observateur exact et en écrivain véridique, il est cependant obligé de convenir que souvent le jugement par juré n'est pas entièrement conforme aux régles équitables de la justice. « Cette imperfection, dit-il, se remarque principalement dans les disputes où il intervient quelque passion ou préjugé populaire: tels sont les cas où un ordre particulier d'hommes exerce des demandes sur le reste de la société, comme lorsque le clergé plaide pour la dîme; ceux où une classe d'hommes remplit un devoir incommode et gênant, comme les préposés au recouvrement des revenus publics; ceux où l'une des parties a un intérêt commun avec l'intérêt général des jurés, tandis que celui de sa partie adverse y est opposé, comme dans les contestations entre les propriétaires et leurs fermiers, entre les seigneurs et leurs tenanciers; (ces cas se diversifient à l'infini, comme entre les artisans et ouvriers et ceux qui les emploient, entre les négocians et armateurs et les capitaines de navires, entre les assureurs et les assurés, etc.) ‹ enfin ceux où les esprits sont enflammés par des dissentions politiques on par des haines religieuses. »

L'auteur devait surtout énoncer le cas où un plaideur puissant dans le lieu, ou artificieux et intrigant, est parvenu à tromper l'opinion publique, et à élever un cri général de défaveur contre son adversaire et de proscription contre sa cause. J'en ai vu des exemples fréquens, terribles; j'en ai essuyé dans la défense de plusieurs cliens; j'ai vu qu'au-dedans toute la majesté d'un grand tribunal ne suffisait pas pour retenir la fermentation concertée

T. Y.

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